Dimitri repère à l'oreille, puis à la vue, un petit venturon reconnaissable à ses plumes jaunes de la gorge à la queue, puis un bec croisé des sapins dont les deux mandibules sont spécialement adaptées pour lui permettre d'extraire les graines des cônes de pin et il cherche le long de la falaise l'emblématique tichodrome échelette dont le vol un peu semblable à celui d'un papillon est rendu possible par des ailes qui le stabilisent dans les courants d'air. Il niche entre 1000 et 3000 m et en hiver, il descend en plaine : un individu a été vu sur la cathédrale de Bayonne. Le pic noir est aussi présent, de même que la grive draine et le merle à plastron. Plus facile à observer pour moi, une chrysomèle aux reflets métalliques splendides se promène nonchalamment sur une feuille. - Photo : Chrysomèle. -

Alors que nous cheminons sur les Balcons de Glandasse (de triste mémoire pour la pauvre Catherine qui a été prise d'une crise de vertige et de terreur irrépressibles), nous voyons les restes d'une ancienne charbonnière où les bûches fines étaient savamment assemblées à l'oblique en forme de yourte pour laisser un couloir de tirage de l'air à l'intérieur. Elles étaient ensuite recouvertes de terre et de feuilles. L'allumage était difficile et la combustion durait plusieurs jours. Le volume se contractait jusqu'à obtenir du charbon de bois léger et aisé à transporter. Comme en forêt de Sare au Pays basque, l'association Atravercors fait annuellement une démonstration de cette ancienne technique à titre pédagogique en forêt de Luire. Cette industrie de transformation du bois pour en retirer de l'énergie a été une grande cause de destruction des forêts partout en Europe.

Une mélampyre du Dauphiné offre la curiosité de ses fleurs jaunes enserrées dans une corolle de bractées violettes, comme les bougainvillées, en moins spectaculaire cependant car la plante est petite et peu volumineuse. Dimitri nous fait remarquer de curieuses rainures sur une feuille : c'est le résultat de l'activité dévoreuse de la larve d'une mineuse. Elle creuse une galerie (ou mine) juste sous le limbe de la feuille qui prend l`aspect d'un petit sillon blanc qui s'élargit au fur et à mesure de sa croissance. En fait, Mineuse est un nom vernaculaire ambigu désignant en français des chenilles de lépidoptères, d'hyménoptères ou des asticots de diptères phytophages. La géométrie de la mine (linéaire, ramifiée, en spirale, etc.) et la disposition du "frass" (excréments et vermoulure) permettent en général une détermination précise du ravageur en général monophage (qui consomme une seule espèce de plante). Dans ce cas précis, Dimitri estime qu'il doit s'agir de la larve d'un micro-lépidoptère. Les plantes atteintes non seulement perdent leur éclat, mais elle sont également affaiblies. Un bouquet de feuilles grandes comme des nénuphars est attaqué par un prédateur qui ne mange que le vert tendre, délaisse soigneusement toute la structure fibreuse ramifiée, et les abandonne à l'état de squelettes encore vivants, puisque les canaux d'irrigation sont intacts. - Photo : Feuille grignotée par la larve d'une mineuse. -

Le matin du troisième jour, quartier libre ! Nous en profitons pour visiter Châtillon-en-Diois dont la partie haute, médiévale, a le charme des vieilles pierres et une longue histoire. Dès l'arrivée, un détail nous avait étonné : un grand arbre est planté en plein carrefour où il prend tant de place que c'est tout un problème pour enfiler la voiture dans une des quatre rues qui s'y déversent. Ce n'est pas étonnant que les villageois y tiennent, quelque dérangement qu'il occasionne : il s'agit de l'arbre de la Liberté, planté en 1848 sur cette place du Reviron (où les charrettes venaient «revirer»). Le peuplier d'origine a été remplacé aujourd’hui par un tilleul. Deuxième sujet d'étonnement : le nom des rues, où une lettre manquante ôte l'idée d'une vocation musicale de leurs habitants et choque au contraire en faisant imaginer le pire. En réalité, c'est simplement une déformation du bas-latin qui signifiait ruelle et qui est dérivée de Via : ce sont les "viols", du Roux, de l'Hôpital, Truchenud, Trempe Saure ou de la Blache. Il y a aussi, il faut le dire, un Passage de la Pitancerie où l'on regrette de ne pas y trouver un lieu pittoresque où manger... - Pins à crochets sur une crête calcaire. -

Autre curiosité, trois clochers se font concurrence dans un tout petit périmètre, celui de l'église, celui du temple dont la fondation remonte à 1561, lorsque la moitié de la population devient protestante, signe de son animosité à l'égard de l'évêque de Die, et le beffroi, construit comme partie intégrante d'un hôtel particulier de style nordique cité en 1625 dans l'inventaire des biens du baron de l'Argentière. Pourtant, à partir du XIe siècle, la construction d'un tel édifice avait une grande force symbolique. C'était le fait des communes libres qui avaient obtenu de leurs seigneurs le droit de s'administrer elles-mêmes par des chartes. Elles marquaient ainsi leur autonomie et leur puissance. De plus, une horloge sonnant les heures symbolisait un changement dans le découpage du temps. Auparavant, la journée était rythmée par les cinq prières sonnées par les clochers des églises : matines, nones, vêpres, etc. Le temps que marquaient ces sonneries était un temps divin. La construction d'un beffroi sonnant les heures marque le passage à un temps profane, consacré au commerce, et donc consacre l'avènement de la bourgeoisie urbaine. J'ignore si c'est le cas ici, mais les Châtillonnais étaient régis par la Charte de Die. Ils élisaient le procureur et les syndics pour la gestion de la ville (qui se tenaient dans la Maison des Consuls). Ainsi nombre de libertés étaient inscrites sur un acte fondateur seigneurial dont la légitimité reposait sur une coutume d’émancipation très ancienne. - Photos : Vues de Châtillon en Diois. -

Nous lions connaissance avec un couple qui arrose ses fleurs sur un pont qui mène droit à leur porte. La maison nous paraît énorme. En plus, elle est bâtie sur le roc dont un morceau déborde, personne n'ayant jugé bon de le raboter. Le bas est aménagé en cave, comme dans tout le village, car le vignoble occupe depuis 1000 à 2000 ans une bonne partie des terres alentours (80 ha) : tout dépend si ce sont les Romains ou les moines qui ont mis l'accent sur cette culture qui se pratique jusqu'à 700 m d'altitude. Encore aujourd'hui, l'activité dominante du Diois est la viticulture d'appellation (Clairette de Die, Vins de Châtillon) soit 20% des exploitations et 45 % de la marge brute. Nous irons en goûter la production locale sur la place au Tilleul, chez Kiki, qui fait consommer discrètement la Clairette ou le Muscat de Die, accompagnée de quelques noix. Les rues étroites, tortueuses et ombragées sont calmes et pourvues de plantes qui grimpent, retombent ou se dressent au pied des murs ou en encadrement des portes, au point que nous ne savons pas toujours si nous nous engageons dans une cour intérieure privée ou dans une impasse. Parfois, la façade est flanquée d'un pesureau, c'est à dire d'un escalier extérieur sous lequel se trouvait l'entrée des écuries. - Photos : Vues de Châtillon en Diois. -

Nous enchaînons avec la visite de Die, un nom bizarre qui provient peut-être aussi du latin comme les rues de Châtillon, et nous retrouvons Dimitri à l'heure du pique-nique que nous faisons non loin de l'abbaye de Valcroissant dans un site magnifique où nous marchons l'après-midi. La végétation fait un grand écart entre le fond de la vallée très humide, où s'écoule un ruisseau qui alimentait autrefois le moulin, et les versants sud des contreforts montagneux, résolument méditerranéens, dominés par une barrière rocheuse, la montagne de Glandasse derrière laquelle se trouve le cirque d'Archiane, ponctuée à une extrémité par la Dent de Die. - Photo : Die - Détail d'une mosaïque du XIIe s. -

Les moines avaient bon goût : ce cadre me fait penser à l'abbaye de Fontfroide, non loin de Perpignan, où la communauté religieuse avait également su trouver l'isolement, mais aussi le luxe d'un fond de vallée abrité et fertile. Valcroissant est encore une exploitation agricole aujourd'hui, où l'on élève 300 brebis et l'on cultive les plantes aromatiques. Il y a aussi un gîte de 18 places dans ce qui fut autrefois l'église, puis une étable, après les vicissitudes des guerres de religion et l'appauvrissement du domaine. Le calme, au moins, y est préservé (contrairement à Fontfroide), et nous n'avons guère de peine à nous imaginer le lieu qui n'a sans doute que peu changé depuis le XIIe s, si ce n'est la disparition du toit et du dallage de lauzes et la suppression de l'enduit chaulé de blanc qui recouvrait les murs de pierre. - Abbaye de Valcroissant : le gîte. -

L'atmosphère près du ruisseau est si humide que les arbres qui poussent sur ses berges sont envahis de longues chevelures de mousses pendantes. C'est bizarre, d'ordinaire ce sont les lichens qui donnent des barbes filandreuses aux branches. Les rochers aussi en sont recouverts, de même qu'une ancienne auge ou abreuvoir. Quelle drôle d'ambiance, un peu magique, un peu feutrée, on s'attendrait presque à trouver entre deux mèches vertes l'oeil curieux d'un gnome farceur. Cette promenade sera de loin ma préférée de tout le séjour. Je crois que ce qui m'a le plus marquée, c'est ce passage sans transition aucune entre une végétation humide et un paysage méditerranéen, à chaque fois que nous passions d'un flanc exposé au nord à un autre exposé au midi. Nous nous penchons sur un bouquet de feuilles larges : il pourrait appartenir soit à du muguet, soit à une orchidée épipactis, option la plus probable selon Dimitri, bien qu'elle soit dépourvue en cette fin septembre de sa grande hampe de fleurs dont il cherche des vestiges en fouillant dans les feuilles et taillis alentour. Un cornouiller mâle est couvert de fruits rouges (des drupes) pourvus d'un noyau comme les cerises dont ils rappellent le goût lorsqu'on les mange blets (sinon ils sont trop astringents). Dimitri nous montre une feuille déchirée sur toute sa largeur, qui est capable de tenir quand même grâce à sa sève qui s'étire comme du latex. - Abbaye de Valcroissant. -

Au cours de notre progression, nous passons donc sans cesse d'un versant ombragé, où nous retrouvons les mousses et une atmosphère humide, renforcée par une forte dominante de couleurs vertes, à un versant ensoleillé, où dominent des plantes déjà observées en Provence, comme par exemple l'afilante de Montpellier à la floraison violette, dépourvue de feuille, et dont la photosynthèse s'effectue tout le long de ses tiges souples réunies en bouquet. Le thym embaume l'air et des germandrées des rochers (Teucrium aureum) offrent de curieuses surfaces cotonneuses blanches, ressemblant à des structures tissées. Dimitri nous explique que ces poils blancs réfléchissent la lumière, enferment un matelas d'air et font se condenser l'humidité en rosée, trois propriétés qui leur permettent de se protéger de la canicule et de la sécheresse. Nous voyons un genévrier de Phénicie aux baies prisées par les renards, alors que nous utilisons celles du genévrier commun pour parfumer la choucroute. Le hêtre a disparu, bien sûr, et il est remplacé par le chêne pubescent. Deux aigles royaux planent haut dans le ciel rayé plus bas par le vol rapide des hirondelles de rocher. Ces dernières hivernent en partie dans le sud de l'Europe, où elles se nourrissent des rares insectes et araignées encore actifs. Elles quittent alors les lieux d'altitude et migrent près des rivières et des grands lacs. Nous observons leur manège : elles sont en train de harceler un autour des palombes, de la taille d'un gros épervier, pourtant, les petits ont dû quitter le nid, à cette date. - Photo : Germandrée tomenteuse (Teucrium polium) -

Dimitri attrape un magnifique phasme vert aperçu je ne sais par quel miracle. La pauvre bête a une patte avant qui lui a été arrachée : sa maigreur et son mimétisme ne l'ont pas protégé. Un faucon plane dans le ciel. Pour savoir s'il s'agit d'un faucon pèlerin ou d'un faucon crécerelle, il faut étudier son comportement : le premier étant plus lourd chasse les oiseaux en vol, alors que le second attrape les mulots. Pour que les narines ne créent pas une surpression en vol, il possède une petite excroissance osseuse appelée "le frelon" ; sur Internet, elle est décrite comme un déflecteur créant une petite turbulence qui lui permet de respirer pendant ses vols en piqué. La technique d'attaque des oiseaux consiste à effectuer un vol parabolique, c'est à dire qu'il descend à pic plus bas que l'oiseau et freine en remontant pour le saisir avec les griffes. Pour s'en protéger, le réflexe des palombes est de descendre. Justement, nous en apercevons deux, ainsi que deux grands corbeaux qui s'annoncent en criant. - Photos : Phasme et fourmilion. -

Dimitri repère sur le sol de petits entonnoirs de sable où se cache la larve du fourmilion, qui ressemble à une libellule à son stade adulte. Il recule pour s'enterrer et piéger les fourmis dont il se nourrit. Lorsque l'une d'elle se hasarde au bord de son trou, il la bombarde de sable, ce qui provoque une mini-avalanche dans laquelle elle se trouve entraînée et se fait dévorer. A un détour du sentier, la dépouille d'un sanglier gît dans un ravin. Tout l'intérieur a été mangé, il ne reste pratiquement que la peau, le crâne déformé par les chocs subis pendant sa chute et les pattes. Dimitri essaie de reconstituer l'accident : il a dû être acculé en haut de la falaise qui nous domine et s'est sans doute jeté dans le vide pour échapper aux chiens des chasseurs pendant une battue. Un pic épeichette vient fort heureusement faire diversion, tandis que nous redescendons vers le fond de la vallée.

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Organisateur guide naturaliste, Dimitri Marguerat, avec un groupe d'une dizaine de personnes
Diois et Vercors
18 septembre 2010