A
partir des années 1970, préoccupés par la désertification
des espaces montagnards, les décideurs politiques au niveau de la
Communauté Européenne mettent en place le système
de délimitation des zones de handicaps et les indemnités
compensatrices de handicaps naturels accompagnantes (aides structurelles)
pour aider au maintien de
l’élevage dans ces zones, entretenir
ces paysages à forte valeur touristique et ralentir l’exode
rural menaçant de produire des déserts humains. La reconquête
des estives à ce moment-là se
réalise sans berger (sauf dans le système laitier),
par manque de main d’œuvre. Si l’on regarde l’évolution
du cheptel en estive de 1970 jusqu’à 2004, les effectifs de
bovins triplent alors que ceux d’ovins n’augmentent que
de 50 %. Dans les Pyrénées atlantiques (Béarn + Pays
basque), les bovins augmentent ainsi que les ovins qui restent dominants
(70% du cheptel ruminant sous forme de races laitières, 70% également
de l’ensemble des ovins du massif y sont concentrés).
-
Je rappelle que la protection des vautours est décrétée en 1972, qu'elle
s'applique
à partir de 1976, et que cette croissance de cheptel sans berger (accompagnée
de la croissance de la population de vautours) explique les tensions qui
sont apparues après les mesures d'interdiction de charniers à ciel ouvert
prises à la suite de la crise de la vache folle -. -
Photo : Rosée sur toile d'araignée entre les épines
d'un ajonc en fleur. -
L'universitaire
préconise le retour à la conduite active du troupeau
par le berger dont il détaille les nombreux avantages. Par exemple,
elle permettrait de préserver la santé du bétail
grâce à la
diversification du pâturage
et l’exploitation
judicieuse des plantes riches en tanins comme les
plantes ligneuses (genêt, pin, noisetier,
chêne, châtaignier, éricacées -bruyères-, etc.)
et leurs fruits, ainsi que de certaines légumineuses fourragères,
telles le sulla (sainfoin d'Espagne), le lotier pédonculé,
le lotier corniculé ou
le sainfoin, qui possèdent
des vertus anthelminthiques,
contre les strongles notamment
qui parasitent les intestins des ruminants et deviennent résistants
aux traitements vermifuges.
Les animaux laissés en libre pâture
entraînent
sur le long terme une fermeture du milieu dans les parties d’estive
délaissées
et créent également des zones de surpâturage et
même
d’érosion, particulièrement en crête. Une
conduite peu rationalisée entraîne l’évolution
de l’espace
vers l’apparition de landes de transition de moins en moins pénétrées
par les animaux, au détriment du potentiel fourrager (landes à bruyère
et myrtillers puis à rhododendrons et/ou genêts, genévriers
rampants etc…). On peut
rationaliser la conduite des troupeaux bovins grâce à l’implantation
de clôtures et faire des rotations dans des zones qui ne sont pas
trop pentues, mais cela ne marche pas chez les ovins.
En
effet, pour qu’une
brebis engraisse, il faut susciter sa gourmandise en proposant une offre
alimentaire diversifiée.
L'agronome souligne que le déclin de la production
ovine, en France et en Europe, sur les trente dernières années,
est à relier
au fait qu'historiquement et jusqu'à ce jour, elle a été insuffisamment
prise en compte dans la Politique Agricole Commune, au regard de son
importance
environnementale. Jusqu'en 1980 le marché français bien qu'au
sein de la CEE est
resté très protégé contre la concurrence étrangère.
Les importations de viande ovine anglaise, irlandaise ou néo-zélandaise
sont restées très limitées du fait de l'absence de règlement
communautaire ovin. Le déclin a de fait commencé avec l'adoption
du règlement communautaire ovin en 1980, les aides compensatrices (primes à la
brebis) se sont révélées insuffisantes, au moins jusqu'en
2010, pour compenser la chute des prix à la production, contrairement à ce
que l'on a pu constater pour l'élevage bovin allaitant. En
1994, une directive
européenne impose une mise aux normes des locaux de fabrication de fromage
dans les cabanes d'estive. Cette mesure est ressentie par les producteurs béarnais
comme une menace pour les petits ateliers, face aux investissements à faire.
Ils reformulent la mesure de mise aux normes en une mise en conditions de vie.
Ils
se
mobilisent pour obtenir des aides financières et aménagent les
cabanes en ateliers et lieux de vie modernes. - Photos
: Orchidée. Innombrables jeunes araignées sur une toile (me semble-t-il). -
Marc
Laffont complète ce tableau de l'élevage. Au début
des années
1990, la viande
ovine indigène et la viande ovine importée se répartissaient
le marché à parité presque égale. Léger
avantage à l'import depuis 1990 : aujourd'hui, c'est 58 % de viande
ovine qui est importée, soit une baisse de 7%, mais là n’est
pas le plus important...
En 1995, chaque Français consommait 5,5 kg d'agneau par an. Aujourd'hui,
c'est à peine 3,5 kg/an. C'est uniquement cette baisse de consommation
qui explique la quasi stagnation des importations en 15 ans, et non la reconquête
de la production locale.
La France produisait en 1995 presque 150 millions de tonnes équivalent
carcasses, elle en produit à peine 100 en 2010.
Le
cheptel français en 15 ans est passé de 10 millions de brebis à 7,5
millions. Les 2,5 millions de brebis disparues viennent de la filière
viande, tandis que les brebis laitières se maintiennent.
Depuis
1995, le nombre d'exploitations a été divisé par
deux et la dépendance
aux subventions s'accroît.
Un éleveur de brebis laitières local m'a donné
son interprétation du marché de cette viande. Les Français, contrairement
aux
habitants
du
Maghreb,
n'aiment pas le fort goût du mouton, mais ne consomment guère plus de jeune
agneau,
en
raison de son prix élevé. Ils lui préfèrent
le broutard (un agneau de 10 à 12 kgs) importé d'Angleterre, Australie
ou Nouvelle Zélande. En ce qui le concerne, il vend à bon prix ses agneaux
élevés sous
la
mère,
âgés de 3 à 4 semaines, à un commerçant d'Espelette qui les exporte en Espagne
pour
la boucherie et
il ne
conserve que les futures brebis laitières.
Gérard Bozzolo, l'agronome, envisage de façon originale le renforcement économique de la filière ovine liée au pastoralisme d'altitude. Les primes actuelles étant insignifiantes, elles n'encouragent pas les éleveurs à pratiquer la transhumance. Selon lui, il faudrait instaurer une nouvelle prime dédiée à «l’animal tondeur» qui permettrait de financer l'emploi de bergers : en quelque sorte, les troupeaux font œuvre de cantonnier. Ce serait une contribution partagée par les bénéficiaires qui jouissent de la qualité environnementale du Massif pyrénéen, soit au premier chef l’industrie du tourisme et ses consommateurs.
Toutes ces considérations sur l'occupation
montagnarde humaine, dont dépend étroitement semble-t-il le sort du
vautour fauve, enseignent au moins une leçon qui ne m'apparaissait
pas évidente au premier abord. Il s'agit de l'incidence immense - et
insoupçonnée
- de notre culture, de notre façon de penser, de notre mode de vie
sur ces endroits reculés et difficilement accessibles. Nos goûts culinaires,
notre envie de nature, nos besoins d'énergie électrique, de bois d'oeuvre
ou de
pierres,
l'industrialisation généralisée de la production, y compris alimentaire,
l'internationalisation et l'accroissement des échanges commerciaux,
tout interfère sur l'aménagement montagnard, et, par ricochet, sur
la survie
ou la
destruction
d'espèces
animales
ou
végétales.
Un
nouveau
paramètre va bientôt influer sur nos montagnes : c'est le problème
de l'eau. Les glaciers se réduisent comme peau de chagrin. En l'absence
d'un couvert forestier suffisant, la neige qui tombe en moindre abondance
fond aussi plus vite, et la montagne exerce moins son rôle de château
d'eau qui va pourtant être de plus en plus sollicité, dans la perspective
d'un réchauffement climatique qui montre ses prémices. Tant que nous
continuerons à faire la politique de l'autruche, nous subirons
la brutalité des soit-disantes "catastrophes naturelles" avec un
étonnement toujours renouvelé. Pourtant, en Europe, il n'y a plus grand
chose
de naturel, une inondation, une tornade, une avalanche ou un glissement
de terrain sont très souvent la conséquence de nos "aménagements"
et n'ont des impacts aussi graves que parce que nous n'avons pas anticipé
sur des phénomènes effectivement naturels comme la pluie, le vent
ou
l'érosion pour nous en prémunir.
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Cathy et Jean-Louis | Peñas de Itsusi |
13 avril 2011 |