Pour tenter de comprendre un peu cet univers multi-culturel, je fais l'acquisition à la fin du séjour en Rajasthan d'un livre à l'aéroport de Delhi, en prévision du vol pour Mumbai. C'est celui de Tara Gandhi Bhattacharjee, une des petites filles de Mohandas Karamchand Gandhi, "Reflections of an extraordinary era" (Réflexions sur une ère extraordinaire). Puis, sur les conseils de Ramya qui nous emmène visiter Mani Bhavan, une maison de Mumbai où a séjourné "Mahatma" (Grande âme) Gandhi de 1917 à 1934, j'achète son autobiographie "The story of my experiments with truth" (L'histoire de mes expériences avec la vérité) éditée en 1927. Je trouve intéressant de faire le parallèle (toutes proportions gardées) entre nos impressions vis à vis de l'Inde et les siennes vis à vis de l'Angleterre où il étudie durant trois ans, de 1887 à 1890. Assez curieusement, les problèmes d'alimentation tourmentent Gandhi autant que nous, sinon plus. Ce qui nous inquiète, ce sont les maladies que nous pourrions contracter en buvant une eau polluée ou en mangeant un aliment cru rincé dans cette eau. - Photo : A Mumbai, repas végétarien sur une feuille de bananier comme en Inde du Sud (Mahesh et Cathy). -

Les quelques rares endroits où nous voyons de l'eau stagner offrent un spectacle d'horreur, puisqu'il ne pleut en Rajasthan que deux fois par an, à l'époque de la mousson. Du coup, nous ne buvons que de l'eau en bouteille (même pour nous laver les dents) et évitons les crudités. Quant à Gandhi, il a obtenu de sa mère la permission d'effectuer ses études à Londres à la seule condition de respecter une triple promesse : ne pas toucher à la viande, à l'alcool et aux femmes (il est marié depuis l'âge de 13 ans et déjà père d'un petit garçon à l'âge de 18 ans). C'est presque une gageure et il doit faire preuve d'une force d'âme extraordinaire, car, dans la société anglaise de l'époque, les gens végétariens sont en nombre insignifiant et les quelques Indiens émigrés estiment pour la plupart que leur intégration passe par l'assimilation de la culture britannique, y compris en matière d'alimentation carnée. Pour Gandhi, tout repas pris au restaurant ou en collectivité pose problème (d'autant qu'en arrivant il ne parle pas la langue et ne peut s'expliquer ni demander la composition des plats). Les autres convives, au mieux, ne le comprennent pas et ils estiment qu'il fait beaucoup d'histoires pour pas grand chose. - Photo : Ablutions avec l'eau du lac du temple sikh de Bangla Sahib Gurudwara à Dehli, miraculeusement limpide. -

Il en vient à se préparer lui-même ses repas avec les ingrédients disponibles dans ce pays, s'accoutumant progressivement, pour ne pas mourir de faim, au porridge et aux pommes de terre bouillies qu'il trouve évidemment bien insipides. En réalité, demeurer végétarien équivaut pour lui à ne pas perdre son âme, il s'agit d'une prise de position religieuse, comme il l'explique dans un article écrit le 7 février 1891. Parmi les Hindous, seules les castes Brahmanes et Vaishyas sont strictement végétariennes par conviction religieuse, ne consommant des friandises "fruits du jour" contenant du lait et du beurre qu'une fois tous les quinze jours, des produits considérés comme sacrés au même titre que la vache dont ils sont issus. Ils s'interdisent de manger des oeufs car ce sont des animaux en devenir et cela reviendrait à les tuer. Il précise que les Hindous les plus pauvres sont, quant à eux, végétariens par obligation, n'ayant pas les moyens d'acheter de la viande, quand bien même ils le souhaiteraient. - Photo : Gandhi (en bas à droite), a intégré le Committee of the London Vegetarian Society (LVS) en 1890. - Gandhi en 1906 (Afrique du Sud). -

Ainsi, la majorité des Hindous est végétarienne, ce qui n'est pas le cas des "Mahométans" ni des Parsis qui font également partie de la population indienne. La famille de Gandhi appartient à la caste Vaishya, végétarienne, et elle réside dans l'Etat du Gujarat qui héberge, conjointement avec son voisin le Rajasthan, plus de la moitié de la communauté jaïn, une religion très minoritaire en Inde (moins de 1% de la population), mais qui exerce une grande influence. Deux des principaux préceptes jaïn serviront de ligne de conduite à Gandhi : "l'ahimsa" (non-violence) ou le vœu de ne pas tuer, blesser ou faire du mal intentionnellement à tout être vivant, et "Satya" ou le vœu de dire la vérité. Son leit-motiv était 'Truth is God and non violence the path for attaining Him' (La Vérité est Dieu et la non-violence le chemin pour Le rejoindre). La forte présence musulmane dans cet Etat explique l'interdiction de l'alcool, mais elle peut aussi provenir de l'influence de la religion jaïn qui prône une vie ascétique. La mère de Gandhi avait coutume de jeûner fréquemment dans le cadre de ses pratiques religieuses, ce qui le marquera profondément. Il fera de même lors des situations difficiles de sa vie. - Photo : "Oublions que je suis Hindou et vous Musulman, ou que je suis du Gujarat et vous de Madras : plongeons le "Je" et le "Moi" dans une commune nationalité indienne : Nous sommes tous un. -

Vivant sur les subsides alloués par son frère aîné puisque son père est décédé, Gandhi en vient à analyser son mode de vie pour dépenser le moins possible. Outre les économies non négligeables obtenues grâce à son abstention de manger des produits animaux, il réduit progressivement son train de vie. Il déménage de l'hôtel à un appartement, puis loge dans une famille anglaise dans le but de s'adapter plus vite à la langue et aux moeurs, et choisit enfin de se contenter d'une simple pièce avec cuisine. Il renonce aux moyens de transport en vigueur et ne se déplace plus qu'à pied, une habitude qu'il gardera toute sa vie. Il constate qu'en vivant ainsi sainement, il ne tombe jamais malade, contrairement à son entourage. Ce n'est probablement pas pour suivre son exemple, mais nous verrons beaucoup de piétons en Rajasthan, que ce soit en ville, dans les villages, les campagnes, et même le long de la grand'route. - Photo : Ecoliers en uniforme. -

Nous sommes profondément dégoûtés par les ordures envahissantes, en ville, dans les villages et tout autour des moindres lieux habités. Le comble de l'horreur est atteint lorsque les vaches, qui traînent dans les endroits les plus invraisemblables, ruminant sur les terre-pleins au milieu des avenues bondées de circulation, se mettent à fouiller du muffle les déchets accumulés au pied des bâtiments et en bordure des routes, en quête de reliefs végétaux, et mâchonnent à la place un bout de carton. Déjà, nous estimons qu'elles n'ont pas leur place en ville, car ce n'est pas sain ni propre pour les gens. En outre, dans cette région semi-désertique, ce n'est vraiment pas l'animal qui convient, car il a des besoins en fourrage impossibles à satisfaire puisqu'il n'y a pas d'herbe. Enfin, nous les plaignons beaucoup de la triste vie qu'elles mènent dans cet univers minéral et de déchets de plastique au sein de la pollution aérienne et sonore. Elles pullulent car elles sont sacrées, mais ce n'est pas pour cela que leurs besoins élémentaires sont satisfaits ! Au bout de quelques jours, nous découvrons sur nos pieds (chaussés de sandales) et nos chevilles de multiples marques de piqûres d'insectes. Vu l'emplacement, nous supputons qu'il s'agit de puces qui doivent infester tous ces animaux (il y a aussi quantités de chiens qui dorment sur les bas-côtés et j'ai vu un gros rat en zone résidentielle à Mumbai, donc je pense qu'ils sont invisibles, mais omniprésents dans les villes). - Photos : Vache fouillant dans les ordures. - Dos de chameau ! - Ci-dessous : Chevaux à Delhi dans la rue de l'hôtel.