Organisatrice : Françoise M. - Membres du groupe Dimitri présents : Cathy et Jean-Louis, Danielle et Jean-François, (Pepita, Florence), Françoise I., Françoise R., Mag et Jean-Jacques, Xavier, Jackye, Régine et Pierre (Papi), Anne-Marie et Serge | Iraty - Le lac d'Irabia |
Samedi 17 août 2013 |
Lac d'Irabia à Iraty (Espagne) (photo aérienne de Google Earth)
Y a-t-il surpopulation humaine sur Terre ? C'est une question qui était restée en suspens après une discussion animée entre Cédric et moi lors de notre dernier séjour à Tenerife. Cédric affirmait que non, donnant en exemple tous les vastes espaces dépourvus de constructions et de présence humaine apparente, et je soutenais le contraire en mettant en avant la quasi-disparition des forêts vierges de l'île, suite à une exploitation intensive de toutes les ressources naturelles. - Photo : Vue sur le lac Irabia -
Elle me revient à l'esprit à propos de notre balade en Pays basque autour du lac Irabia d'Iraty, sur le versant pyrénéen espagnol. C'est Françoise M. qui l'a organisée en réunissant une quinzaine de membres du groupe Dimitri. Vivant en Chine depuis plus d'un an, elle est en manque de nature sauvage. Il n'y a plus d'oiseaux là-bas, déplore-t-elle, sauf en cage. Ce n'est pas une question de climat, mais de politique. Ainsi que le rapporte Yang Jisheng, journaliste et historien, dans un article paru au Nouvel Observateur à propos de son livre "Stèles" (traduit aux éditions Le Seuil), lors du Grand bond en avant qui s'est déroulé de 1958 à 1962, Mao Ze Dong avait lancé la campagne des Quatre Nuisibles qui encourageait l'élimination des rats, des mouches, des moustiques et des moineaux friquets. - Photo : Aconit napel ou casque de Jupiter repéré le mercredi avant par Françoise M. au bord de la route menant au point de départ de la balade -
Il était reproché à ces oiseaux de manger les graines des céréales. Les citoyens reçurent alors la consigne de faire du bruit (en frappant des pots et des casseroles ou des tambours) pour les effrayer et les empêcher de se poser, les forçant ainsi à voler jusqu'à ce qu'ils tombent du ciel d'épuisement. Les nids furent démolis, les œufs cassés et les oisillons tués. En avril 1960, les dirigeants chinois se rendirent compte que les moineaux ne mangeaient pas que des céréales, mais également une grande quantité d'insectes. En l'absence de moineaux pour les manger, les populations de criquets s'étaient dangereusement accrues et faisaient des ravages dans les cultures. Ce fut l'un des facteurs de l'immense famine qui causa la mort de millions de personnes dans le pays. - Photo ci-dessous : Peut-être un Demi-deuil (identification Françoise R.) -
Mais des perturbations écologiques peuvent être engendrées par des causes beaucoup plus insidieuses, qu'il n'est pas toujours évident de diagnostiquer. Je pense par exemple à la quasi disparition des insectes qui pullulaient dans les prés autour de la maison d'Arcangues où j'ai passé ma jeunesse, et la raréfaction corrélative des hirondelles qui s'en nourrissaient. En forêt d'Iraty, ce sont des oiseaux, Pivert et Pic noir, qui servent de repères pour juger de sa bonne santé, ainsi que la quantité d'eau disponible en plaine. C'est ce qui est expliqué sur deux panneaux signalétiques dressés en bordure du lac Irabia :
Les forêts sont de grands capteurs de précipitations, qui les évacuent par les ruisseaux ou dans l'atmosphère sous forme d'humidité. Ainsi, elles ralentissent le cycle de l'eau et la rendent accessible. Elles fonctionnent aussi comme fixateurs de gaz carbonique CO2, absorbant la pollution de l'air produite dans les domaines industriels. La forêt d'Iraty joue un rôle primordial dans le climat de la région et met à la disposition de toute la Navarre de grandes quantités d'eau par son réseau fluvial.
Le hêtre est un arbre à larges feuilles caduques qui forme des forêts dans le Sud de l'Europe entre 500 et 1800 m d'altitude. Il supporte des taux élevés de précipitation mais exige des sols bien drainés. La source de la rivière Irati abrite une des hêtraies les plus vastes d'Europe (17 195 hectares). Les piverts creusent leurs nids dans les vieux arbres parce qu'ils se nourrissent de larves d'insectes xylophages, mangeurs de bois, absents des plantations et forêts ayant trop subi l'intervention de l'homme. La présence entre autres du grand pic noir dans la forêt d'Iraty indique que son exploitation est respectueuse de sa conservation. - Photos : Arbres coincés dans le barrage Irabia. - Pic mar (?) (Itarinatura)-
Situé au nord-est de la Navarre, le lac de retenue Irabia se niche en amont de la vallée d'Aezkoa, limitée au nord par la vallée de Cize (St Jean Pied de Port et les communes alentour). Avant d'y arriver, nous voyons des vaches errer placidement au milieu de la route, peu pressées de nous céder le passage, des brebis qui se déplacent en file indienne à l'horizontale sur les flancs escarpés et des chevaux qui agitent leur queue pour chasser les mouches importunes. Suite au traité des Pyrénées du 7 novembre 1659, ratifié sur l'Ile des Faisans au milieu de la Bidassoa à l'issue de la guerre franco-espagnole et toujours renouvelé depuis cette date, un accord entre la "Junta" espagnole et la commission syndicale française est signé chaque année pour que les animaux transhumants circulent et broutent librement tant sur les estives de Cize que sur celles d'Aezkoa du lever au coucher du soleil. - Photos : Signature de l'accord de pâturage transfrontalier en juillet 2011 - Aconit napel -
Mais la montagne n'est pas réservée exclusivement au bétail dont les pâturages jouxtent la forêt. Les arbres servent pour la construction, et autrefois les glands, faînes et feuilles assuraient un complément alimentaire aux animaux domestiques. Au XVIIIe siècle, les Marines françaises et espagnoles utilisèrent les troncs droits et élevés des hêtres et des sapins pyrénéens pour en faire des mâts. Par ailleurs, le massif pyrénéen est riche en minerais. Depuis l'antiquité, on sait que la chaleur dégagée par le bois est insuffisante pour en extraire le métal. Il faut passer par l'étape préalable de la fabrication du charbon de bois, dont l'énergie est essentiellement produite dans les pores au lieu d'être dispersée dans de longues flammes et on peut augmenter la puissance tant que l'on veut en augmentant le "vent" alors qu'un feu de bois est éteint par un "vent" trop fort. - Photos : Le 8 août, c'est le Jour du Charbonnier, une fête qui réunit les charbonniers issu de Navarre, Rioja, Catalogne et Extremadura en vallée de Lana, dans le petit village de Viloria, à 27 km d'Estella en Navarre. - Papillon "tabac d’Espagne" (Identification Françoise R.) -
Le carbone contenu dans le charbon de bois permet la réduction des oxydes de fer contenus dans le minerai pour donner de la fonte. L'activité croissante des forges a provoqué des déforestations qui ont touché la Chine antique, puis l'Europe romaine et médiévale. Il a fallu légiférer pour laisser le temps aux bosquets de se reconstituer par semis naturels ou plantations, ainsi que pour répartir les coupes entre les différents utilisateurs de la ressource. La découverte par Abraham Darby en 1709 de la possibilité d'utiliser du coke dans les hauts-fourneaux a mis fin à l'usage intensif du charbon de bois par l'industrie sidérurgique. Mais l'emploi du coke ne se généralisera que lentement. Ainsi en France en 1860, un tiers de la fonte était encore produit dans des hauts-fourneaux au charbon de bois dont le dernier en France a fonctionné jusqu'en 1930. - Photo : Barre à mine de fer, époque romaine (mine d'argent d'Arditurri, Oiartzun) -
Ainsi, les sentiers que nous parcourons durant cette balade autour du lac Irabia, si bien balisés pour les touristes, ont été aménagés à l'origine dans un tout autre but. De même, il faut bien prendre conscience que ce que nous voyons n'a rien de sauvage ni de naturel : l'Irati était un torrent qui franchissait en cascades et jets bouillonnants les roches qui lui barraient le passage. S'il est aujourd'hui ponctué d'un chapelet de lacs, c'est l'oeuvre de l'homme. La forêt était autrefois formée d'arbres de tous âges, y compris d'arbres morts, debout ou couchés, et d'essences plus variées que ce que nous observons aujourd'hui. Son sous-bois était plus dense et plus fréquenté par la gens animale, dont certaines espèces ont été éradiquées purement et simplement. Le processus qui a conduit à cette transformation, cette "anthropisation" du paysage a été long. Il est possible d'en reconstituer une partie grâce à deux passionnés, Basile Ibanez, de St Michel, et Eñaut Etxamendi, d’Estérençuby (en basque, Ezterenzubi signifie "Pont des gorges"), qui se sont intéressés à l'histoire de la vallée d'Aezkoa. Sur leur proposition, la télévision participative Kanaldude de TV 3 les a suivis et filmés en automne 2010 alors qu'ils allaient à la rencontre de personnages qui conservaient encore la mémoire d'un passé révolu. Six petits films ont été réalisés sur le thème "Les secrets d'Iraty", que je n'ai malheureusement pas réussi à télécharger à partir du site en lien. J'ai repris ci-dessous les bandes annonces dont j'ai dû compléter les informations en puisant à d'autres sources.
L'un des films rappelle que le massif d’Iraty est très riche en métaux. Le long de la rivière de Xangoa (Regata Echasakese Txangoa) se trouvent des vestiges de grandes mines. Elles ont été sûrement exploitées dès l’époque romaine, mais la première trace écrite remonte à 1432, lorsque la reine Blanche de Navarre donna son accord au "merino" (?) de Sangüesa d'installer des forges à "Yxasacoa, Legarza, Garaiza, Arive et sous Vasola", en vallées d'Aezkoa et de Erro. En 1781, comme les ressources de la fabrique royale d'Eugi (près du col pyrénéen de Dancharia) s'épuisaient, les délégués du roi supervisèrent la forge d'Orbaizeta (le premier village que l'on trouve en aval du lac Irabia autour duquel nous avons marché), qui était alors louée par la vallée d'Aezkoa au comte Etxauz de Baigorri. De nos jours, les ruines d’une grande forge à cuivre et argent se nichent sous la mousse et les branchages. - Photo : Des hêtres aux longs fûts clairs, sensiblement de même diamètre, caractéristiques d'une forêt exploitée. -
Un autre film rapporte que se trouvent, également près du village d’Orbaizeta, les ruines d’une ancienne fabrique d’armes. Deux spécialistes, Joxe Etxegoien et Jakes Cazaubon, racontent son histoire dont je lis les détails (qui ne figurent qu'en espagnol et en basque) sur le site Internet du village dont voici la traduction. Il débute ainsi, "Voici comment un agent secret français décrivait en 1835 le port de Pasajes : il est situé à deux lieux de la Bidassoa, près de la forêt d'Iraty, si renommée pour l'abondance et l'excellence de ses bois de construction et entourée de nombreuses industries qui produisent le meilleur fer connu, vendu à un très bas prix." - Photo : Ruines de la fabrique d'armes -
Bien que de courte existence (1784-1884), la "Real Fábrica de Armas y Municiones de Orbaizeta" (Fabrique royale d'armes et munitions d'Orbaizeta) eut une histoire intense et mouvementée et son importance militaire se mesure à l'aune des protagonistes qui y furent impliqués (les généraux Morillo y Reille, Espoz y Mina ou Zumalacárregui) et ultérieurement celle de ses illustres visiteurs comme les écrivains Valle Inclán et Hemingway ou les photographes Ortiz de Echagüe et Santa María del Villar. L'ancienne forge de la vallée d'Aezkoa mentionnée plus haut et ses montagnes communales furent cédées gratuitement à la Couronne espagnole, en échange de la construction de l'usine et du travail qu'elle génèrerait. Mais malgré ses quatre fours, elle n'eut qu'une faible production, à cause des interruptions continuelles durant les guerres (cinq guerres qui s'échelonnèrent de 1793 à 1875), des destructions et des incendies fortuits. Des années durant, elle produisit des munitions, et à un moment donné, même des canons. Il faut avoir à l'esprit que le charbon de bois était un composant de la poudre à canon dont la qualité était déterminée par l'essence forestière utilisée pour sa fabrication, ainsi que par sa proportion dans le mélange avec le soufre et le salpêtre. C'était le charbon d'aulne qui était apprécié dans les poudreries françaises. Au milieu du XIXe siècle, elle se mit à fabriquer un fer de qualité qui était ensuite transformé dans les usines de Trubia et d'Oviedo dans les Asturies. Vivotant plutôt mal depuis l'incendie de 1869, elle finit par fermer ses portes en 1884, tandis que les "Altos Hornos" (Hauts-Fourneaux) prenaient leur essor. - Photo : Ruines de la fabrique d'armes : arcades au-dessus du río Legartza dont les eaux refroidissaient le matériel et actionnaient les martinets. - Ci-contre : Un des fours de la fonderie, au coeur de la fabrique, envahi de broussaille et, ci-dessous, nettoyé en vue d'une mise en valeur touristique. -
Dès l'ouverture de la fabrique d'armes, la vallée d'Aezkoa avait dénoncé cette cession qu'elle jugeait frauduleuse. Un rapport de 1790 alléguait différentes irrégularités, comme la falsification de documents ou le fait que l'on avait profité "de l'innocente candeur de ceux qui assistèrent à cet octroi, leur ignorance ou faible connaissance de la langue espagnole, que l'on avait fait miroiter des avantages imaginaires..., si bien qu'ils n'avaient pu détecter les préjudices." Durant des années, ce fut l'unique édifice de la zone, où il était interdit d'édifier des maisons ou des "bordes" (granges, bergeries). En outre, les habitants de la vallée d'Aezkoa reçurent le contrecoup de ce voisinage. L'usine constituait un enjeu stratégique dans les batailles, et les gens de la vallée subirent la pression des troupes, amies ou ennemies : obligation de payer plus d'impôts, de donner des rations, céder aux réquisitions d'animaux ou de personnes pour le transport, incendies des maisons, expropriations... Le reste du temps, la vallée demeurait très fréquentée : bergers, charbonniers, muletiers, contrebandiers..., mais elle gardait un côté sauvage, car on trouve mention par exemple de voleurs sévissant à Arrataka vers 1820, de plus de 300 hommes des vallées d'Aezkoa et de Cize chassant des ours en 1816 ou 1823, ou en 1895, du porcher du village, âgé de sept ans, gravement blessé par un loup. - Photo : Sigle de la fabrique d'armes d'Orbaizeta -
La vallée d'Aezkoa lutta durant des années, par le truchement d'avocats et force voyages dispendieux à Madrid, pour obtenir la restitution de ses montagnes. En 1851, elle recourut à la justice ordinaire navarraise, mais échoua également. Elle continua auprès du Parlement de Madrid, mais ce fut inutile. La guerre civile de 1936 ferma la porte à toute restitution. Ce ne fut que dans les années 1975-79 qu'elle finit par être écoutée, et les montagnes furent restituées à ses habitants au cours de la période 1979-82, soit deux siècles plus tard. - Photo : Travaux de préparation des arbres abattus (lrati 1934) (Photo du Marquis de Santa María del Villar) -
Il n'en demeure pas moins que la fabrique est désormais considérée comme un joyau de l'archéologie industrielle péninsulaire, car elle fut construite au XVIIIe siècle sous l'influence des Encyclopédistes français, avec une vision moderne où, en plus de la production, on se préoccupait de la santé et de la vie quotidienne des travailleurs. Elle épousait le terrain dont ses trois niveaux épousaient la pente, les deux supérieurs comportant au sud des magasins implantés de l'autre côté de la rivière, et au nord une zone résidentielle comprenant l'église, l'école, la cantine, la boulangerie, les logements du commandement militaire et des ouvriers, du médecin, du chapelain et des maîtres... Le niveau inférieur était réservé à la fabrication, le passage d'un niveau à l'autre se faisant par des escaliers couverts afin de se préserver de la neige et de la pluie. Il y avait des zones couvertes de tuiles de fer forgé, et on raconte qu'ils tirèrent profit des plaques pour construire un petit fronton de fer. Plus de 150 ouvriers et leurs familles, de pair avec des troupes de surveillance, vécurent durant des années dans ce recoin boisé et perdu de la forêt d'Iraty. - Photo : Schéma de canon qui était produit à la fabrique d'armes -
Aujourd'hui, après avoir récupéré ses montagnes, la vallée d'Aezkoa aspire à reprendre aussi possession de la fabrique, qui est dans un état lamentable et dont les ruines continuent de se détériorer. En 2007, elle a été déclarée "Bien d'intérêt culturel", car elle est désormais considérée comme un pan de l'histoire des Fabriques Royales au niveau péninsulaire. Un article de novembre 2009 signale que des travaux de nettoyage (enlèvement des arbres et broussailles) ainsi que de consolidation de quelques murs qui menaçaient de s'écrouler ont été financés à 80% par le département de la Culture et le Gouvernement de la Navarre et le reste par la Junta de Aezkoa. Ils complètent les travaux préliminaires amorcés dans les années 1980 en vue de la mise en valeur touristique de ce patrimoine industriel. Il est prévu que d'autres travaux soient entrepris chaque année en fonction du budget disponible : recherches archéologiques pour une meilleure description de chacune des parties de l'usine, construction de passerelles pour les visites touristiques, aménagement d'un lieu d'accueil au "palais", propriété de la Junta d'Aezkoa, qui n'est pas trop détérioré car il fut occupé jusqu'à une date récente par les guardes forestiers de la 'Diputación Foral'. D'ores et déjà, des visites sont organisées. - Photos : Traînage des arbres en forêt d'Irati en 1934 (Photo du Marquis de Santa María del Villar) - Ci-dessous : Travaux forestiers en forêt d'Irati durant les années 1920 (Photo du Marquis de Santa María del Villar) -
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