Organisatrice : Françoise M. - Membres du groupe Dimitri présents : Cathy et Jean-Louis, Danielle et Jean-François, (Pepita, Florence), Françoise I., Françoise R., Mag et Jean-Jacques, Xavier, Jackye, Régine et Pierre (Papi), Anne-Marie et Serge | Iraty - Le lac d'Irabia |
Samedi 17 août 2013 |
Le village d'Orbaizeta possède également d'autres vestiges intéressants : des greniers (en espagnol, hórreos, et en basque, gareak ou garaiak, localement, aezkera). Montés sur piliers, ils servaient à garder le grain au sec et hors de portée des rongeurs. Construits depuis l'époque romaine dans tout le bassin méditerranéen, on remarque surtout de nos jours ceux de Galice et des Asturies. Sur les 30 qui subsistent en Euskal Herria (Pays basque), la moitié se trouve dans la vallée d'Aezkoa. A Orbaizeta on peut voir celui de Larrañeta et ceux qui ont été remis en état par Etxegarai et Estanquero. Leur présence est aussi le vestige d'une société différente, moins spécialisée qu'aujourd'hui, où les céréales étaient cultivées sur tous les territoires et dans chaque village, quelle que soit l'altitude et la qualité du sol. La disparition de ces graines adaptées à ces conditions particulières constitue une perte d'un patrimoine agricole, de sélections patientes sur des générations. Juste au-dessus de la fabrique d'armes, dans la montagne Mendilatze, se trouvait Babilen etxea (la maison de Babil), qui fut habitée jusqu’au XXe siècle. C’était un lieu de rencontre pour les gens qui traversaient Iraty pour aller d’Orbaizeta à Garazi (St Jean Pied de Port). On y mangeait, on y dormait. Ses ruines ont été retrouvées, de même que les enfants des derniers occupants à y être nés et qui racontent son histoire dans un troisième petit film. - Photos : Radeau (almadías) sur le río Esca (photo du Marquis de Santa María del Villar). - Grenier, 1940 (photo d'Ortiz de Echagüe) - Ci-dessous : Radeau sur le río Esca (photo du Marquis de Santa María del Villar). -
Alors que nous longeons le lac de retenue, nous arrivons à un croisement du "Sendero local - Herri bidea" avec un autre sentier dont le nom m'intrigue, "Los paraisos - Erlan" (les paradis). Une piste et deux sentiers permettent aujourd'hui de parcourir ce recoin mystérieux, autrefois uniquement fréquenté par les bûcherons, les muletiers et les contrebandiers. Mais il y a un peu plus d'un demi-siècle, c'était encore un lieu embroussaillé et sauvage, denses futaies de hêtres et de sapins perdues au milieu de l'immense forêt, ce qui lui avait valu cette appellation connue de temps immémoriaux. A ces époques reculées, les sentes du Paradis étaient surtout utilisées par les habitants d'Orbaizeta, qui les empruntaient pour rejoindre les maisons d'Irabia txikia. - Photo : Papillon "tabac d’Espagne" (Identification Françoise R.) -Les carabiniers (appelés maintenant la 'Guardia Civil') avaient aussi coutume de se poster sur les hauteurs d'Ermuñoa, au milieu du Paradis, pour surveiller le passage vers la borne 225. Elle se trouve près du chevet du barrage actuel, à l'endroit précis où les ruisseaux frontaliers d'Egurgio et Kontrasario, rejoignaient le cours du río Irati issu de la confluence de Urbeltza (eau noire) et Urtxuria (eau blanche). «Cette rivière s'appelait autrefois río Ida, et elle dessinait ici plusieurs méandres que l'on devine encore bien qu'ils soient immergés dans le lac de retenue», rapporte l'historien de la vallée Aezkoa, José Etxegoien. Bien que la majorité des contrebandiers de Orbaizeta aient eu l'habitude de passer la frontière au col d'Azpegui - c'est-à-dire par la fabrique d'armes qui est l'accès le plus facile et direct vers la France - les sentes du Paradis furent également utilisées par les contrebandiers d'Aezkoa, qui trouvaient là un chemin plus discret pour amener ou rapporter du bétail de contrebande, ou pour conduire les Portuguais qui émigraient en France, fuyant la dictature de Salazar. Durant la seconde guerre mondiale, les câbles utilisés pour descendre le bois depuis le nord de la forêt d'Iraty (aujourd'hui en territoire français) jusqu'au barrage, furent aussi employés pour sauver les parachutistes belges qui traversaient ainsi la frontière franco-espagnole, fuyant les nazis. Dans les années cinquante passaient près du barrage des rouleaux de cuivre cachés entre les troncs entassés sur les remorques. - Photos : Barrage d'Irabia. - Ci-dessous : Lac de retenue dont le niveau est bas -
Un très beau portrait de Domingo Elizondo y Cajén, l'entrepreneur qui a fait édifier le barrage que nous venons de découvrir, a été publié en 2011 à l'occasion de la célébration du centenaire de la mise en service du petit train 'El Irati' qui reliait de 1911 à 1955 Sangüesa à Pampelune. En poussant plus loin mes recherches, j'ai trouvé une excellente étude réalisée par María Castiella Rodríguez et intitulée "El Irati S.A., Una empresa diversificada: electricidad, montes, destilería y ferrocarril" (Une entreprise diversifiée : électricité, montagnes, distillerie et transport ferroviaire). Elle a aussi écrit entre autres "Un Caso de la emigración navarra y sus efectos : la repatriación de capitales y la creación de empresas" (Un cas de l'émigration navarraise et ses effets : le rapatriement de capitaux et la création d'entreprises). C'est en effet dans ce cadre que Domingo Elizondo y Cajén a pu investir et contribuer à la transformation et modernisation de l'économie navarraise au début du XXe siècle. - Photo : Papillon Souci (identification Françoise R.). -
Voici tout d'abord quelques éléments de sa biographie. Il naît à Aribe, localité de la vallée d'Aezkoa, le 14 novembre 1848. Les conditions sociales de l'époque conjuguées à son caractère entreprenant comptent dans sa décision de partir dès l'âge de 18 ans, en 1866. Quasiment sans bagages, il embarque à Bayonne sur un navire de commerce à destination de l'Argentine. On sait que dès son arrivée à Buenos Aires, nécessité faisant loi, il se met aussitôt à travailler dans le port. Puis il devient berger, un métier qu'il connaît très probablement déjà, en raison de ses origines. Il s'initie ensuite au commerce du fer, commençant aux postes les plus humbles, et gravissant peu à peu les échelons de l'entreprise. Il se constitue ainsi un capital qui lui permet d'investir. Il s'associe alors à d'autres émigrants originaires de la même vallée navarraise, Francisco Chiquirrín et Ciriaco Morea, et ils créent une quincaillerie, Ferretería El Ciervo, qui prospère.
Il épouse Graciana Duhalde dont il a deux filles, Micaela et Graciana. Devenu veuf et souffrant de problèmes de santé, il laisse son négoce aux mains de ses associés et amis et retourne dans sa Navarre natale avec ses enfants en 1888. - Je fais un petit aparté pour évoquer la figure de Ciriaco Morea qui donnera à son négoce, rebaptisé "Morea, Aróstegui y Cía", une envergure internationale, avec des succursales à Paris et New York. Devenu très riche, il montera la première fabrique d'avions du pays. Resté fidèle à Domingo Elizondo, il deviendra actionnaire de sa future société navarraise "El Irati S.A.". - Photos : Longicorne - Ci-dessous : Le lac de retenue "montre ses molaires" à la fin de l'été, car son eau est ponctionnée pour les besoins de l'irrigation (?). -
Pour mieux apprécier l'oeuvre de cet homme, il faut garder en mémoire qu'aux alentours de 1900, la Navarre n'a aucune infrastructure industrielle. Domingo Elizondo y Cajén pense tout d'abord à exploiter le bois (la forêt d'Iraty est la seconde d'Europe en surface après la Forêt noire allemande). Pour cela, il dispose d'une voie naturelle magnifique, le río Irati, issu de la confluence des eaux de l'Urtxuri, l'Urbeltza, l'Urrío et de ruisseaux à l'intersection de la chaîne pyrénéenne et de la sierra de Abodi. - Cette rivière, qui s’écoule vers la Méditerranée, a la particularité d'être peuplée de truites zébrées à bandes sombres alors qu’ailleurs au Pays Basque, les poissons sont de souche atlantique -. Elizondo fonde tout d'abord une 'serrería' (négoce de bois) à Aribe. Il fait nettoyer les cours d'eau pour faciliter le flottage du bois jusqu'à Ekai (Ecay), deux kilomètres en aval d'Aoiz, où il monte une scierie avec les meilleures machines du moment. En 1902, il crée la société "Electra-Aoiz" et achète toutes les chutes d'eau le long du torrent (Ayanz, Betolegui, Oroz, Artozqui et Aoiz), plaçant partout des turbines. - Photos : Barrage d'Irabia - Centrale hydroélectrique en contrebas. -
Elizondo effectue des déplacements en Allemagne pour voir sur le terrain les plus récentes usines de produits chimiques (acétone, goudron, acide acétique, etc.) élaborés à partir des sous-produits du bois (sève, branchages, écorce). Ils débouchent sur la construction en 1911 à Aoiz d'une usine de produits chimiques obtenus par pyrolyse et distillation sèche du bois qui a un grand succès. Elle fournit du carbone, de l'alcool méthylique, de l'acétone, de l'acide acétique glacial (pur), de l'acide acétique industriel et du charbon végétal. Puis il fait construire un four en fonctionnement continu pour produire la chaux vive, nécessaire à l'obtention d'acétate, grâce au voisinage du massif crayeux de la Foz de Lumbier. Ce sera un bon investissement, d'autant plus qu'entre 1907 et 1960, il y aura deux guerres en Europe et une guerre civile en Espagne qui nécessiteront des produits de la distillerie, concrètement pour la fabrication d'explosifs. La destruction des usines d'Europe centrale durant la Seconde Guerre Mondiale et la disparition de beaucoup de concurrents explique aussi l'augmentation des commandes et des bénéfices au cours de ces quarante premières années. - Photo : La technique dite des "ravins" consiste dans le transport des troncs en aval par des déstockages d'eau successifs d'un barrage à l'autre. -
Afin de réduire la main d'oeuvre nécessaire au transport de matière première, un réseau étendu de voies 'Decauville' est réalisé. - Paul Decauville, un industriel français, inventa un type de transport ferroviaire par voies ferrées démontables et étroites (droites ou courbes), sur lesquelles circulaient des wagons et wagonnets pour les marchandises. - Durant la Première guerre mondiale, la demande de produits chimiques augmente, étant donné que l'Espagne demeure hors du conflit. Puis les produits se diversifient en fonction des débouchés possibles qui se multiplient et deux nouvelles distilleries sont construites, à Villaverde de Pontones près de Santander en 1940, et dans la vallée pyrénéenne de Roncal en 1944. Dans les années 50, une quinzaine de produits sont fabriqués et en 1961, cette branche est cédée à une autre société, marquant la disparition de l'ancienne société "El Irati" de Domingo Elizondo. - Photo : Machinerie du barrage pour le fonctionnement des écluses. -
L'idée d'un tramway électrique pour transporter les produits de la scierie et de la distillerie apparaît dans des documents de la société "Electra-Aoiz" datés de 1905, afin de relier la capitale (Pampelune) aux localités de Urroz, Aoiz, Lumbier et Sangüesa. Domingo Elizondo est déjà conscient à l'époque du fait que ses investissements ne seront jamais rentabilisés et qu'il ne les accomplit que "pour le bien-être de son cher pays" (la Navarre). Le journal "El Pensamiento Navarro" commente à ce sujet le 24 février 1906 "que le pays a bien besoin d'entreprises qui créent de la richesse à exporter et dans lesquelles puissent s'employer les initiatives et les bras. Si l'on suit le quiétisme actuel, notre ancien Royaume se dépeuplera petit à petit, tandis qu'augmentera l'émigration, et cette saignée lente mais continue enlèvera une grande partie de notre vitalité." - Photo : Ecluses et mécanismes sur le bord du barrage d'Irabia. -
Le 6 novembre 1907 est constituée la société industrielle et commerciale "El Irati, S.A.", la première société anonyme navarraise. Le 30 juin 1908, le 'Ministerio de Fomento' accorde à l'entreprise une concession de 99 ans pour l'exploitation d'un train électrique de Pampelune à Sangüesa et Aoiz. L'entreprise Altos Hornos (hauts-fourneaux) de Bilbao se charge de la confection des rails, tandis que les traverses sont réalisées à Pampelune et Aoiz. La partie électrique et le matériel mobile sont pris en charge par 'le Français', un ingénieur industriel de San Sebastian, Carlos Lafitte Martínez, qui introduit des modifications au projet, choisissant notamment le courant alternatif monophasique et la substitution des traverses de pin par du hêtre. Le montage de la ligne nécessite un personnel qualifié qui vient de Madrid, de Barcelone et d'Allemagne. C'est en effet AEG Siemens qui fournit le système de suspension caténaire. Les poteaux sont livrés par Evaristo San Martín du Guipuzcoa et le ballast est formé de cailloux extraits du río Erro. - Photo : Le train Irati à son passage par Uharte (Photo Diario de Navarra) -
Durant les travaux de création du tracé, les constructeurs doivent affronter des problèmes de glissements de terrain, d'inondations, d'écroulement des voies, etc. Il faut réaliser des ponts et des 'cajeas' (passages transversaux pour l'eau au-dessous de la voie ferrée) qui mobilisent beaucoup de matériaux, pierre, sable et bois pour les cintres. Des travaux d'aplanissement de terrain sont effectués sur toute la longueur du tracé. L'une des nouveautés les plus intéressantes de cet ouvrage est l'utilisation du courant monophasique à haute tension. C'est la première fois que cela se fait en Espagne, et l'une des premières en Europe. Domingo Elizondo parvient enfin à réaliser son projet et une étroite voie ferrée pour la circulation d'un train à traction électrique, "El Irati", est inaugurée en 1911, c'est le premier train électrique national. Passagers et marchandises circulent sur une ligne Pamplona-Aoiz-Sangüesa de 30 km de longueur. - Photos : El Irati devant l'église de San Ignacio, 1911 © Revista La Avalancha- Ci-dessous : El Irati sur le Paseo de Sarasate, 1911© Revista La Avalancha -
Toutes ces activités sont finalement regroupées sous l'entité "El Irati S.A." qui crée une centrale hydro-électrique à Aoiz en 1910 et absorbe la société Electra-Aoiz en 1911. Cette branche Electricité sera toujours la plus productive, malgré la généralisation à partir de 1915 des ampoules à filament métallique qui consomment moins de courant que le carbone. En 1918, l'entreprise signe un important contrat avec "La Papelera Española" pour la fourniture exclusive de bois destiné à produire de la pâte à papier, et qui est transporté directement à l'usine de Villava par le train "El Irati". - Photo : Troncs d'arbres coincés dans des espaces vides du barrage. -
Accompagnant l'accroissement de son marché, une nouvelle centrale entre en fonctionnement à Usoz en 1932 et un contrat avec la 'mancomunidad' de l'Ebre est signé pour fournir l'énergie nécessaire à la construction du Canal de las Bardenas et du lac de retenue de Yesa. La capacité de production d'électricité s'avérant de nouveau insuffisante, il réaménage la chute d'eau d'Artozqui dont la conduite forcée est modifiée. Dans ces années 30, les centrales de "El Irati" produisent dix millions de kilowatt-heure. Malgré sa forte rentabilité et les investissements successifs pour augmenter la puissance et suivre l'évolution de la demande, la branche électricité de "El Irati, SA" ne pourra tenir face à la concurrence et elle sera absorbée en 1962 par une filiale d'Iberduero, Fuerzas Eléctricas de Navarra S.A. (FENSA). De même qu'Orbaizeta avec l'ancienne fabrique d'armes, Aoiz se bat actuellement pour mettre en valeur sur le plan touristique, à titre de patrimoine industriel, cette centrale qui fonctionna jusqu'à la fin des années 90 et conserve encore intacte toute sa machinerie. - Photos : Aconit napel. - Françoise et le longicorne. -
Par ailleurs, afin de régulariser le débit permanent du torrent (pour le bois et l'électricité), Elizondo projette la réalisation d'un lac de retenue dans la partie amont du cours de l'Irati, ce qui sera l'une des oeuvres de plus grande envergure de la société. Il y adjoint une puissante centrale électrique. La première allusion à ce projet remonte à 1921. L'objectif est de régulariser le flux du río Irati, d'augmenter le volume d'eau en période d'étiage où le torrent se tarit presque, afin d'obtenir plus d'énergie aux chutes d'eau et faciliter le flottage du bois. Apat, un ancien garde forestier, se souvient de l'époque de sa construction : «J'ai entendu ma mère raconter qu'en 1922, c'était à dos de mule que le ciment était apporté depuis Aribe jusqu'au site du futur barrage. A cette époque, comme il n'y avait ni voitures, ni routes, on se déplaçait à pied ou à cheval par des sentiers pleins de ronces et d'épineux. C'est aussi par les chemins perdus du Paradis que les muletiers d'Orbaizeta venaient pour vendre aux travailleurs du pain, du vin, de l'huile et d'autres marchandises." En 1925, Elizondo fait ériger un barrage de 12 mètres de hauteur qui sera surélevé postérieurement à quatre reprises jusqu'à atteindre 40 mètres en 1943. En effet, dès 1921, l'ingénieur Cornelio Arellano avait analysé le terrain et déconseillé, en raison de sa grande perméabilité, de réaliser l'oeuvre en une seule fois, afin d'observer les résultats et les fuites d'eau qui se produiraient. - Photos : Transport des troncs par câble. - Travailleurs forestiers de RENFE transportant un camion en radeau sur le lac de retenue Irabia à Irati (Années 66) - Ci-dessous : Gros plan sur la tête d'un papillon "tabac d’Espagne" (Identification Françoise R.) - . -
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