Organisatrice : Françoise M. - Membres du groupe Dimitri présents : Cathy et Jean-Louis, Danielle et Jean-François, (Pepita, Florence), Françoise I., Françoise R., Mag et Jean-Jacques, Xavier, Jackye, Régine et Pierre (Papi), Anne-Marie et Serge
Iraty - Le lac d'Irabia
Samedi 17 août 2013

irabiaEn ce qui concerne l'exploitation forestière, durant sa première année de vie en 1908, l'entreprise "El Irati, S.A." convient d'un contrat de trente ans avec la vallée de Salazar (un affluent du río Irati en aval d'Orbaizeta) pour exploiter le bois de la forêt d'Iraty, avec l'aval de la 'Diputación Foral' de Navarre. Les premières années, elle procède à l'ouverture de chemins, la construction de huttes pour les ouvriers, d'étables pour le bétail, de magasins pour les provisions et à l'achat de boeufs et de mules pour tirer le matériel. Au printemps et en été, le bois est coupé et en automne, il descend le torrent après une période préalable de séchage pour que les troncs s'allègent et acquièrent une meilleure flottabilité. Il atteint la scierie d'Ecay grâce à la technique dite des "ravins" qui consiste dans le transport des troncs en aval par des déstockages d'eau successifs. Pour cela, outre le barrage d'Irabia lui-même, plusieurs barrages sont construits le long de la rivière, encore debout aujourd'hui. irabiaLa société assiste chaque année aux enchères de hêtres, de pins et de chênes de la montagne "La Cuestion" qui appartient à l'Etat et gagne par adjudication la totalité des arbres (une moyenne de 2000 hêtres durant les premières années de "El Irati S.A."). Le bois noble part pour la scierie et le petit bois à la nouvelle fabrique de produits chimiques. - Photo Françoise R. : Onychogomphe. -

Le plus grand problème qui se pose, c'est que l'entreprise ne trouve pas d'opérateurs experts pour manier les machines très modernes qui ont été acquises, car, en ce début de XXe siècle, le niveau d'instruction et de formation professionnelle est bas en Navarre. Les principaux clients sont Valence et Murcia, sièges de l'industrie du meuble "incurvé", qui s'approvisionnaient jusque là en bois provenant d'Autriche-Hongrie qui avait le monopole du marché. Autre handicap de la société, c'est la déficience du réseau de transport, ce défaut d'infrastructures nationales freinant son développement. Dans les années 30, la concurrence du bois étranger sec et stérilisé se fait sentir, mais les bénéfices triplent durant la Seconde guerre mondiale qui ôte ses débouchés commerciaux à l'Europe centrale. En dehors de cette période, la concurrence du bois austro-hongrois sera forte, car il est livré dans de meilleures conditions et traité avec un matériel moderne qui sera sans cesse amélioré par des innovations et utilisera les technologies les plus récentes. La scierie de "El Irati" à Ecay qui, à l'époque de sa fondation, était à la pointe du progrès, deviendra vite obsolète, et les chiffres comptables montrent qu'après la mort d'Elizondo en 1929, le matériel n'est pas reconverti, comme il aurait été souhaitable pour la rendre plus compétitive.- Photo : Borne qui permet, paraît-il, de vérifier les mouvements de sol autour du lac de retenue et du barrage d'Irabia. -

irabiaA l'expiration du contrat de trente ans, les sources d'approvisionnement se diversifient. A partir de 1939, hêtre, pin, sapin et chêne sont extraits de Roncesvalles (Roncevaux), Orbaizeta, Roncal, Orbara, Navascués, Auzola, Aoiz et Nagore. En 1948, des frictions apparaissent entre "El Irati" et l'Etat (Patrimonio Forestal), ainsi que la vallée de Salazar qui souhaitent renégocier les contrats à la hausse, et en 1949 commencent à circuler les camions, en remplacement des radeaux sur les cours d'eau, ce qui enchérit considérablement le coût du transport du bois. En conséquence, la société acquiert en 1950 des propriétés à Santander pour exploiter le bois à meilleur prix et alimenter la nouvelle fabrique de distillation chimique de Villaverde de Pontones. Mais dans les années 60, la libération des importations de bois et la contraction du marché de la construction changeront la donne, et cette branche de la société périclitera. - Photo : Gros plan sur la tête d'un papillon (Souci, identification Françoise R.). -

irabiaUn site relate les conditions de travail des bûcherons. Les groupes de 50 à plus de 100 travailleurs employés sous contrat se déplaçaient en bus de ligne depuis leur domicile jusqu'à Orbaizeta, Otxagabia ou Isaba. Le parcours final vers le lieu de travail s'effectuait à pied, en portant les vêtements, ustensiles et outils nécessaires à la "saison" qui durait de mars "à la San José", soit la fin novembre ou début décembre, selon les conditions climatiques. La première tâche était celle de construire la txabola (cabane) de 12/14 mètres par 10 et 2 de hauteur où l'équipe allait passer ses nuits. Il fallait l'implanter près d'un point d'eau. Les pans latéraux étaient faits de rondins à partir des arbres du voisinage et le toit en "papel-brea" (papier imperméabilisé) ou, plus rarement, en plaques de zinc, les interstices étant bouchés avec des brindilles et de la paille. Les grabats (ipur arkilla) étaient constitués de bâtons formant un rectangle à 30 cm de hauteur et fixés à des pieux enfoncés dans le sol qui se terminaient par une fourche. Sur ce bâti, ils entrecroisaient des branches qu'ils recouvraient de fougère sèche et de couvertures. - Photo Françoise R. : Cordulégastre annelé (libellule que j'avais aussi photographiée sur l'Haltzamendi). -

irabiaEnsuite, ils procédaient à la construction de chemins menant de la txabola au lieu de travail qui, inévitablement, était de plus en plus éloigné. Enfin, la tâche la plus pénible et la plus risquée était le montage du câble aérien qui servait à la manière d'un téléphérique à descendre le bois de la zone de coupe à la piste la plus proche située au fond de la vallée où accédaient les camions. En début de saison, il était nécessaire de monter le câble dans la partie la plus élevée, ce qui se faisait à dos d'homme, les bûcherons le tirant de concert, souvent avec l'aide de mules et/ou de boeufs. Il était ensuite amarré à de gros troncs, tendu sur des poulies et tiré par les animaux. Sur le câble glissait une espèce de chariot à deux roues d'où pendait une chaîne et son crochet. Chaque tronc ou groupe de troncs (jusqu'à trois) était suspendu à deux chariots et l'ensemble était lancé vers le bas, mais retenu par un autre câble qui en régulait la vitesse grâce à un frein actionné manuellement au moyen d'une palanque. Une tension excessive, une charge trop lourde ou une amarre défectueuse entraînaient la rupture du câble et de sérieux risques d'accidents, parfois mortels. - Photo Françoise R. : Gros-plan sur le papillon Demi-deuil. -

irabiaDomingo Elizondo y Cajén meurt en 1929 à l'âge de 81 ans. Si l'entreprise qu'il a créée ne lui survit que vingt à trente ans selon les branches d'activité, c'est que "El Irati" était liée à l'exploitation de matières premières dépendant du climat et qu'elle fut affectée par des conditions changeantes. Les années de pluies continues ou de tempêtes prolongées rendaient plus difficile la coupe et l'exploitation des forêts. Inversement, une sécheresse prolongée provoquait l'étiage de la rivière qui ôtait de la puissance aux chutes d'eau équipées de turbines produisant de l'électricité et d'autre part, le flux insuffisant rendait impossible la descente des troncs en radeaux. Il y eut des années durant lesquelles, faute d'une eau suffisante, irabiail fut nécessaire de descendre le bois en camions, avec l'enchérissement corrélatif de tous les produits. Parallèlement, le train ne put concurrencer le transport routier, que ce soit les camions pour les marchandises ou les autobus pour les passagers. Le négoce électrique, si rentable pendant quelque temps, et qui permit d'approvisionner toute la région alentour, finit irrémédiablement par se faire absorber par FENSA. Le négoce du bois et la distillerie durent affronter des problèmes d'exploitation forestière, irabiaavec la fin des contrats initiaux très favorables avec les vallées pyrénéennes, les heurts continus avec le 'Patrimonio forestal' de l'Etat, le vieillissement des installations d'Ecay et l'absence de reconversion du matériel pour rentabiliser le négoce. Enfin, celle qui naquit en 1907 en Navarre comme une grande industrie, pionnière en même temps qu'une demi-douzaine d'autres entreprises, et qui fit travailler jusqu'à 600 employés, subit un déclin progressif et un processus fatal de désinvestissement qui aboutit à son démantèlement à partir de 1960. - Photos : La silhouette caractéristique (malheureusement floue) du Percnoptère (et non Gypaète, comme j'avais d'abord écrit, merci pour la correction Dimitri) qui survole la route lors de notre retour. - Papillon photographié par Françoise M. : "tabac d’Espagne" (Identification Françoise R.) - -

Cette rétrospective historique permet de prendre conscience d'une des causes de l'évolution de notre perception de la montagne. irabiaD'abord purement vivrière avec les agriculteurs-éleveurs, elle est devenue un atout majeur dans la course à la puissance par la maîtrise de la métallurgie tout d'abord, celle de l'énergie hydraulique, puis hydroélectrique, grâce à trois ressources, les minerais, les torrents et les forêts. Avec l'épuisement des mines pyrénéennes, le passage aux énergies fournies par le charbon, le pétrole et l'atome, la concurrence des bois étrangers, la pression industrielle sur cette montagne s'est amenuisée. Les vallées se tournent progressivement vers d'autres ressources financières et procèdent à une mise en valeur touristique de leur patrimoine agricole, industriel et naturel. irabiaLa manne des stations de ski hivernales, si destructrices d'espaces naturels, commence à se tarir à son tour, avec le réchauffement climatique qui raréfie les chutes de neige et fait fondre les glaciers. D'autres activités sont proposées, ludiques, sportives, culturelles dans cet environnement naturel dont les citoyens devenus en majorité citadins éprouvent le manque. - Photo : Aromie musquée (Aromia moschata), espèce de coléoptère capricorne au reflet cuivré qui fréquente les feuillus et en particulier les saules. Son nom provient de la sécrétion à odeur de musc très agréable que cette espèce émet. C'est la seule espèce du genre Aromia en Europe. -

Pour montrer à quel point les esprits demeurent effrayés par la nature sauvage, il suffit de lire notre législation, qui est le reflet des lois à l'échelle de l'Europe entière.

Par leur contribution à l'emploi, à l'entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité, l'agriculture, le pastoralisme et la forêt de montagne sont reconnus d'intérêt général comme activités de base de la vie montagnarde et comme gestionnaires centraux de l'espace montagnard. Code rural, art. L113-1

Il est tout de même possible de trouver des lieux plus préservés que d'autres de l'empreinte humaine. Dans cette vallée de haute Navarre, trois espaces sont désormais protégés, les réserves naturelles de Mendilatz et de Tristuibartea, ainsi que la réserve intégrale de Lizardoia. Celle-ci présente le meilleur intérêt écologique car elle conserve une forêt "vierge" de hêtres et de sapins blancs (pectinés) et accueille une multitude d'espèces animales. En particulier le mont Zabaleta n'a pas subi d'exploitation forestière depuis le XVIIe siècle. Il est peuplé de cerfs, sangliers, renards, chevreuils, mais aussi de roitelets à triple bandeau, roitelets huppés, pinsons, rougegorges familiers, ou encore d'écureuils et de lérots. La réserve naturelle de Mendilatz située sur le mont éponyme, à Orbaitzeta, occupe une surface de 119 hectares à une altitude de 1100 mètres. On en fait le tour grâce à un sentier balisé facile, de 14 kilomètres, qui part de la Fabrique d'armes d'Orbaitzeta. La réserve naturelle de Tristuibartea se trouve sur le flanc nord du mont Petxuberro à Hiriberri/Villanueva de Aezkoa , à une altitude de 940 mètres. La réserve intégrale de Lizardoia, sur le mont La Cuestion, à une altitude oscillant entre 850 et 1125 mètres, est accessible par un sentier de 7 km, peu difficile, connu sous le nom de sente de Contrasario, qui part de la queue du lac d'Irabia. Il y a aussi des gorges plus en aval, appelées Foz (Foces au pluriel), qui semblent spectaculaires, comme la Foz de Lumbier (par où passait le petit train "El Irati"). Ce seront sans doute de futurs buts de promenade pour notre petit groupe.

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