Visite amicale de Dimitri Marguerat qui offre 4 balades naturalistes aux membres du groupe qui porte son nom. Y participent ce lundi : Jean-François et Dany Gr., Alain, Cathy et Jean-Louis, Maguite, Jacques, Margaitta, Françoise I., Pascal, Jean-François Gl. et Amandine, Jean Pierre et Reine, Fabienne |
Peñas d'Itsusi |
Lundi 21 octobre 2013 |
"J'ai une surprise pour vous." Dimitri nous connaît tous et il sait que personne ne va bondir ni pousser des cris d'horreur. Effectivement, chacun s'approche, fort intéressé par la bête qu'il vient de sortir de son sac et soulève par la queue pour nous montrer sa taille. "C'est une Couleuvre verte et jaune (c'est son nom) que j'ai trouvée morte hier sur la route à Ustaritz. Celle-ci n'est pas très grande, certains individus peuvent atteindre 1,50 mètre de longueur." De la partie inférieure de son corps fuselé s'échappe par une blessure béante une portion d'intestin sanguinolente. Comme beaucoup de serpents, elle est à l'aise sur terre comme dans l'eau, elle peut même grimper sur les arbres, et on la trouve dans tous les types d'habitat. Son régime évolue avec sa croissance. Jeune, elle se contente d'insectes, de petits lézards, et à l'âge adulte, elle chasse des souris, rats, lézards, oiseaux et parfois d'autres serpents. Elle a un caractère très batailleur et n'hésite pas à s'élancer gueule ouverte sur son agresseur, se débat et tente de mordre, bien qu'elle soit dépourvue de venin.
Il souffle un fort vent du Sud sur le col de Méhatché, à flanc d'Artzamendi ; il n'est pas vraiment froid, mais il nous oblige à nous emmitoufler. Les oiseaux planeurs en profitent pour s'élever plus tôt que d'habitude, et nous admirons le ballet des corbeaux noirs, d'un épervier et de toute une cohorte de vautours fauves qui glissent en souplesse, alors que nous nous sentons bousculés au sol par les rafales. Nous passons devant le grand menhir couché qui marquait, dans les temps anciens, les limites de pâturage, bornage monumental en pleine montagne. Des informations à ce sujet figurent à la rubrique "Monolithe de Méatsékobizkarra, commune d'Itxassou" sur le blog de Jacques Blot qui a inventorié durant des années les monolithes, dolmens et cromlechs du Pays basque.
Un peu plus loin, le groupe se penche au-dessus d'une flaque pour y chercher des oeufs de grenouilles et je remarque une mante religieuse qui flotte sur le ventre, immobile, apparemment noyée. Dimitri s'en empare et nous découvrons avec effarement qu'elle se débat aussitôt ! Il vient de la sauver d'une mort qui semblait inéluctable, mais elle ne lui en est pas reconnaissante pour autant. Alors qu'elle essaie de se dégager en repoussant de ses pattes antérieures griffues les doigts qui l'enserrent, il la manipule délicatement pour nous en faire observer ses caractéristiques. Il s'agit d'un mâle, car il est beaucoup plus mince et plus petit qu'une femelle. Son abdomen est aussi beaucoup moins gonflé. Il nous montre à l'aisselle des pattes antérieures des ocelles clairs. Ils ont une fonction originale. Lorsque l'insecte se sent menacé par un prédateur, il se dresse sur toute sa hauteur en écartant les "bras". Sa silhouette se métamorphose, et il semble fixer l'oiseau qui veut le dévorer avec ces ocelles qui figurent des yeux effrayants, évoquant ceux d'une chouette. - Photo : Menhir couché. - Mante religieuse -
A la fin de l'accouplement (ou même parfois pendant la copulation), la mante religieuse femelle a coutume de manger le mâle. - Les araignées femelles ont le même comportement -. On pensait autrefois que les mâles, ayant accompli leur oeuvre de reproduction, contribuaient ainsi à compléter l'apport en protéines nécessaires à la maturation des oeufs. Il semblerait toutefois que ce cannibalisme n'ait pas vraiment de justification biologique. En septembre, octobre ou novembre, la femelle pond 200 à 300 œufs, en plusieurs lots. A chaque fois, elle dépose une soie blanche sur un support comme une tige rigide, une pierre ou un mur. Émise sous une forme crémeuse, elle est brassée jusqu'à obtenir une consistance proche de la mousse de polyuréthane sous l'effet des mouvements de barate des valves génitales. Les œufs jaunes, très allongés, sont régulièrement disposés au fur et à mesure de l'élaboration de l'oothèque. Ils n'en occupent que la partie centrale et sont logés dans des cellules très étroitement accolées qui forment une sorte de noyau dense et résistant. Le reste de l'oothèque est essentiellement lamellaire, très aéré, nettement moins rigide. Une fois durcie et brunie par oxydation, elle protège les œufs jusqu'au printemps (mai - juin). - Photos : Ocelles (Nicolas Alric) - Oothèque fixée à deux tiges de jonc. -
Nous sommes en période de migration des oiseaux. En ce qui concerne les palombes, tellement chassées depuis les cols pyrénéens, Dimitri nous apprend que certaines d'entre elles changent de comportement depuis quelques années. Celles qui nichent le moins loin effectuent un tout petit trajet vers le Sud pour hiverner dans les Landes où elles apprécient le maïs. Les autres qui nichent plus au Nord (Scandinavie et Sibérie) continuent de migrer au-delà des Pyrénées, mais leur nombre décroît. D'après les échanges sur un forum de Grives.net, 5,5 millions de palombes migraient dans les années 1980, et l'on n'en compterait plus que 1,2 millions actuellement. Un autre interlocuteur mentionne des passages migratoires évalués pour 2011 à 917 000 palombes, 2010, 1 028 000 palombes, 2009, 1 310 000 et 2008, 2 208 000 palombes. Désormais, les restaurants du Pays basque s'approvisionneraient toute l'année dans les Landes et ne dépendraient plus des prises d'automne dans les pantières (filets) du col d'Osquich. Les palombes de Grande-Bretagne sont sédentaires. On constate qu'en moins de trente ans, les pigeons ramiers (autre nom des palombes) se sont fixés et ont colonisé toutes les régions d'Europe, s'installant même au coeur des grandes villes où ils nichent dans les parcs, sur les poteaux électriques etc., et perdent leur instinct migrateur. Il y a donc davantage de sédentaires et moins de migrateurs, avec des effectifs totaux en constante augmentation. - Photo : Traces d'oiseaux en bord de flaque. - La mante religieuse "ressuscitée". - Ci-dessous : Deux grands corbeaux sur un arbre perchés. -
Il en est de même pour les Grues cendrées. Durant des milliers d'années, elles ont fait escale dans la lande humide. Dimitri nous explique qu'auparavant, au XVe, XVIe, XVIIe siècle, elles étaient présentes dans toute l'Europe et le bassin méditerranéen. Cette période est comprise dans le "Petit âge glaciaire" qui a sévi en Europe et en Amérique du Nord entre 1303 et 1860, mais c'est une simple constatation de ma part, sans que je sache s'il y a un lien avec l'aire de répartition des Grues. Puis elles sont devenues nordiques, la Grèce conservant sa population de Grues cendrées plus longtemps. Félix Arnaudin (1844-1921), poète, photographe et ethnologue natif de Labouheyre, révèle même leur présence à la belle saison. Au début du XIXe siècle, elles nichaient dans le marais de May-de-Brout entre Sabres et Labouheyre, et des bergers capturaient parfois des poussins pour les élever. Après 1857, c'est le boisement massif de la région, les marais sont partiellement asséchés, les lagunes entourées d'arbres, les landes ouvertes laissent place aux semis. La plupart des oiseaux grillent l'étape et passent les Pyrénées. Leur aire de répartition se réduit comme peau de chagrin et leur démographie est en chute libre. En 1967, l'espèce est finalement "protégée" sur le territoire français. Mais ce qui va considérablement modifier les modalités de sa présence, c'est une nouvelle mutation du paysage qui prend de l'ampleur dans les années 1970. Le "Pin roi" est progressivement détrôné par le "prince Maïs". D'immenses secteurs dégagés et humides mettent l'oiseau à l'abri des prédateurs et lui offrent une abondance de ressources alimentaires. - Photo ci-dessous : Joncs, fougères et prairies sur l'Artzamendi. -
Les effectifs stationnant lors des migrations augmentent et un premier hivernage timide est constaté en 1973-1974 sur le camp du Poteau. En 1994-1995, un événement climatique génère un afflux considérable d'oiseaux sur le secteur. L’ancienne mine d’Arjuzanx, dont le site a été réhabilité en 1983 et qui n'était que faiblement fréquenté, devient une halte d'importance majeure qui ne se démentira pas jusqu'à aujourd'hui. Des naturalistes de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), des chasseurs et des agriculteurs se réunissent à la réserve pour débattre des mesures à prendre. Les agriculteurs seront incités à effectuer des labours tardifs et ne pas enfouir trop tôt les grains de maïs. Des études sont entreprises sur les moeurs de l'oiseau et le public est invité à venir les observer. Durant l'hiver 2000-2001, on y comptabilise 50 000 oiseaux, et le site accueille le tiers des oiseaux vivant en Europe de l'Ouest. Pour l'hiver 2012-2013, ce sont 80 000 oiseaux qui sont décomptés. L'accroissement actuel de leur population est donc l'effet d'une restauration de leur démographie à partir d'une relique. Le Museum d'Histoire Naturelle de Perpignan, dans un article publié en 1995, offre une rétrospective plus générale sur le sort réservé à la Grue cendrée, ainsi qu'à la Cigogne blanche qui a des moeurs semblables. - Photo ci-dessous : Deux pottoks se lèchent mutuellement. -
"Dans le passé, la Cigogne blanche avait une très vaste répartition dans la zone paléarctique, et en particulier dans pratiquement toute la France. Elle a régressé en nombre depuis plusieurs siècles, surtout en Europe de l'Ouest, abandonnant des pays entiers : Belgique en 1895, Suisse en 1949, Suède en 1954. La population européenne transitant par Gibraltar, lors des migrations, a diminué de 20 % de 1974 à 1984, celle transitant par le Bosphore de 12 % pendant le même laps de temps (Rheinwald 1989). En France, elle ne demeurait plus qu'en Alsace, où elle était en constante diminution et dont elle aurait fini par disparaître dans les années 60 ou 70 sans l'action opiniâtre de quelques ornithologues (Yeatman 1976, Schierer 1989). Les causes de la raréfaction de la Cigogne blanche sont certainement multiples, comme c'est le plus souvent le cas, et de ce fait pas toujours faciles à identifier.
Sur ses sites de nidification, les destructions directes n'ont probablement pas eu de rôle important, car c'est un oiseau généralement regardé avec bienveillance. Au contraire, ce n'est pas le cas sur ses routes de migration ni dans ses territoires d'hivernage en Afrique, où il arrive qu'on la tire au fusil pour l'alimentation ou pour le «sport». Comme c'est un grand consommateur d'acridiens, elle est parfois empoisonnée lors de traitements chimiques de pullulations de «sauterelles» et elle paye aussi un lourd tribut aux collisions avec des lignes aériennes à haute tension. Enfin, la disparition des milieux naturels qu'elle fréquente, notamment les prairies humides, semble avoir joué un rôle essentiel dans sa régression (Yeatman 1971, Cramp et Simmons 1977, Hahn 1984)." - Schéma : Zone paléarctique (Ce type de projection cartographique surestime les surfaces de hautes latitudes) - Photo : Pottok -
"Quant à la Grue cendrée, elle occupait autrefois une aire de distribution fort vaste en Eurasie moyenne et nordique. Une période de forte régression, surtout marquée à l'Ouest, la vit abandonner des régions entières, et, en Europe, se confiner dans une zone au Nord d'une ligne allant du Sud du Danemark à la Mer Noire, et ce avec des effectifs toujours plus faibles. Les causes de sa régression sont essentiellement à rechercher dans la disparition des zones humides qu'elle fréquente, dans les changements des pratiques culturales, dans les dérangements en période de nidification, ainsi que dans la chasse et les accidents en cours de migration (Yeatman 1971, Cramp 1980). La protection légale, ainsi qu'une meilleure information du public, ont permis une certaine amélioration de cette situation, et maintenant les Grues cendrées sont un spectacle courant en hiver au bord des lacs du Der et de la forêt d'Orient, à l'Est de Paris, et un tout petit nombre de reproductions se sont même produites récemment en Normandie (Moreau 1989)."
Dimitri repère, très haut près des nuages, un vol de cormorans que je n'arrive même pas à distinguer. Je ne suis pas la seule, cela me réconforte. Une étude sur l'évolution de sa population a été réalisée en 2005 pour le compte du Comité de Gestion du Bassin Bruche Mossig (Bas-Rhin, près de Strasbourg). Pratiquement disparu au début du XXe siècle, le cormoran est réapparu à la fin de ce siècle au grand dam des pêcheurs qui y voient un concurrent aussi impitoyable que vorace. Comme le rappelle La Fontaine dans sa fable "Les Poissons et le Cormoran" :
Il n'était point d'étang dans tout le voisinage
Qu'un Cormoran n'eût mis à contribution.
Viviers et réservoirs lui payaient pension.
Toutefois, selon le rédacteur de l'étude, il y a tout lieu de penser que quelques fables, dont celle-ci, aient été plagiées depuis les fables du célèbre prosateur arabe Ibn-al-Muqaffa (VIIIe siècle), lui-même traducteur du recueil de fables indiennes, "Kalila wa-Dimna". Cette origine indo-asiatique montre l'étendue de l'aire de répartition du cormoran devenu parfois l’allié du pêcheur, un cercle ou une bandelette autour du cou l'empêchant d’avaler sa prise, récupérée dans son bec.
Les plus anciens fossiles de cormorans trouvés en France remontent à 30 000 ans, ce qui prouve leur permanence. Ils constituent un groupe homogène, comportant 26 à 40 espèces selon la classification adoptée, qui sont toutes de manière prédominante piscivores et grégaires. Leur nom a considérablement varié au cours des siècles ; Pline (~61 à 114) l’appelle "Corvus Aquaticus", corbeau aquatique. La Curne de Sainte Palaye dans son Dictionnaire de l’Ancien François (du XIIIe au XVIe siècle) cite les mots "Coq-marant" et "Corbigeau" que Rabelais met au nombre des oiseaux bons à manger.
Parmi les espèces nichant en Europe, il convient de distinguer deux sous-espèces de Grand cormoran (Phalacrocorax carbo). La forme atlantique (Phalacrocorax carbo carbo) regroupe les individus natifs des îles britanniques, des côtes scandinaves, de l'Islande et du Groenland, allant même jusqu'à la côte Est du Canada. La forme continentale concerne l'Est de la France (Phalacrocorax carbo sinensis). Un peu plus petite que la précédente et avec un plumage nuptial plus blanc, elle est plus méridionale et fréquente surtout les eaux douces et saumâtres. Elle regroupe les individus natifs des Pays-Bas, du Danemark, de l'Allemagne, de la Pologne, du bassin du Danube et de la Grèce, mais aussi du Japon, de l'Inde et de la Chine.
C’est le seul qui ait connu une explosion démographique en Europe. L’augmentation des effectifs hivernant en France est corrélative à celle des cormorans nicheurs du Nord de l’Europe. En France, une augmentation de 15% des effectifs par an pour la période 1985-95 semble majoritairement admise. Des chiffres tout à fait similaires sont fournis par nos voisins avec en tête le Danemark, 26,4% l'an et en queue la Hollande, 11,9% l'an, soit une augmentation moyenne pour l’Europe de 17,7% l'an. Le cormoran atlantique (Phalacrocorax carbo carbo) ne connaît pas cette croissance. On peut retenir comme hypothèse de travail le chiffre de 100 000 Grands cormorans pour la France. Dimitri explique qu'une nouvelle loi de protection a été votée en leur faveur. Par ailleurs, ces oiseaux aquatiques profitent des étangs privés et des lacs de retenue des centrales hydroélectriques. - Photo : Une aubépine torturée à la fois par les intempéries et le bétail pousse en entrelaçant étroitement ses branches. -
Il s'interrompt pour nous signaler des pinsons qui volent au ras du sol en petits groupes pressés, des passereaux, des alouettes. Lors du vol suivant, il décèle à l'oreille, avant même de chercher où il se trouve, le cri nasillard caractéristique d'un pinson du Nord en migration avec des pinsons des arbres. Il nous rappelle que deux ou trois couples de monticoles bleus nichent aux peñas d'Itsusi où nous nous rendons. Sans transition, il se baisse pour ramasser une déjection en forme de croissant. Elle tient dans le creux de sa main. Au cours des nombreuses balades que nous avons effectuées avec lui durant ces dernières années, il nous a appris à reconnaître les traces indirectes de présence d'animaux sauvages, comme les crottes de renard, allongées, où l'on aperçoit fréquemment des baies non digérées, ou les pelotes de réjection ou boulettes de régurgitation des rapaces, corbeaux ou hiboux, qui contiennent de petits os, des fragments de carapaces ou d'élytres d'insectes. Celle-ci est un peu différente. Il trouve qu'elle est grande et se demande si elle provient d'un hérisson ou d'un crapaud. Il la scinde délicatement (elle est sèche) et reconnaît l'alimentation d'un insectivore, les fragments étant liés par de la terre ingérée. Il penche plutôt pour la deuxième hypothèse.
Dans le même ordre d'idée, il remue de la pointe du pied un crottin de cheval pratiquement totalement décomposé et malaxé par les insectes coprophages (on dirait un tas aplati de courts brins de paille). Par contre, les brebis qui s'assemblent sur les cimes ventées pour se libérer de la torture infligée par les mouches accumulent des épaisseurs d'excréments qui sont beaucoup plus lentes à être dégradées. En effet, les éleveurs leur administrent des traitements vermifuges qui ne sont pas totalement assimilés par leur organisme et se retrouvent dans leurs excréments. Ces médicaments sont fatals pour nombre d'insectes (ou leurs larves), et ces espaces demeurent stériles, l'herbe brûlée ou enfouie sous les déjections. Les pottoks, visiblement, sont moins traités. Alors que nous parvenons aux falaises, du sommet desquelles nous surplombons la vallée aux prés vert printemps, Dimitri observe deux arbres morts, l'un dressé, l'autre au sol, déraciné, sur un petit promontoire à notre gauche, et un autre arbre encore intact à droite. Il se souvient nettement de leurs frondaisons vigoureuses qu'il avait admirées lors de ses premières randonnées exploratoires au Pays basque, bien des années plus tôt. Avec le pâturage intensif, leurs graines germées n'ont pas pu croître et les jeunes pousses ont été détruites. Aucun rejet n'a pris le relais. Désormais, il n'y a plus que de l'herbe et des fougères qui poussent entre les roches qui affleurent.
De loin, malgré le sifflement des rafales de vent, nous distinguons les cris d'un jeune vautour affamé. Un adulte arrive, négocie un atterrissage difficile et régurgite pour le nourrir, mais sans réussir à le rassasier. Un jour, en remontant la cascade, Dimitri avait trouvé un vautour mort. Il s'était blessé, son fémur s'était cassé et ressoudé à angle droit. Il avait donc dû tenir deux à trois semaines avant de mourir de faim. Un corbeau s'approche pour voler les régurgitations de viande destinées au juvénile. - Ce terme désigne un jeune qui n'a pas passé son premier hiver et n'a pas effectué sa première mue -. Il est reconnaissable à sa collerette brune (elle s'éclaircira par la suite), à son bec presque noir (qui deviendra ivoire) et son oeil noir, de même qu'à ses plumes à l'extrémité pointue. Ensuite, il passera au stade d'immature jusqu'à l'âge de cinq ans. Il formera alors un "club d'adolescents" avec les autres vautours de son âge au sein duquel il se sociabilisera. Chez les adultes, les sexes sont d'allure sensiblement identique, le mâle ayant un crâne bombé et la femelle un front plus fuyant. Bien que nous soyons déjà venus à plusieurs reprises à cet endroit, nous sommes toujours émerveillés par la virtuosité en vol de ces grands oiseaux, particulièrement avec ce vent du Sud qui souffle en rafales. Après une longue glissade, pattes pendantes pour contrebalancer la puissance du flux, ils effectuent parfois un demi-tour en virevoltant prestement avant de se laisser tomber comme une pierre et remonter ensuite jusqu'à l'aire de repos maculée de fientes blanches. - Photo : Vautour sur le point de se poser. -
Nous observons en altitude des vautours qui semblent faire du sur-place à l'aplomb de la falaise. Ils pratiquent ce que l'on appelle en technique de vol à voile (avion planeur) un "vol d'onde", nous dit Dimitri. Ils exploitent la présence d'une onde orographique, dite aussi onde de relief ou de montagne. Elle se produit lorsqu'une masse d'air est forcée en altitude par son déplacement au-dessus d'un relief montagneux. Si l'environnement est stable, la masse d'air redescendra du côté aval de l'obstacle et entrera en oscillation autour d'une hauteur égale ou inférieure au sommet de celui-ci. Le principe est le suivant. La parcelle d'air qui vient de passer au-dessus de l'obstacle est dotée d'un certain poids. Elle est donc attirée vers le bas mais également soumise à la poussée d'Archimède qui l'attire vers le haut si sa densité devient inférieure à celle de l'environnement. Elle se comporte alors mécaniquement de la même façon qu'un poids suspendu à un ressort vertical repassant périodiquement au point d'équilibre. Comme la parcelle d'air a également un mouvement horizontal, les maxima et minima de l'onde sont étalés en aval de la montagne. - Photos : Le parent régurgite pour nourrir le juvénile. - La collerette brune et le bec foncé du vautour qui se nettoie indiquent qu'il s'agit d'un juvénile. - Schéma : Vol d'onde. -
L'onde est stationnaire lorsque la vitesse du vent et le dimensionnement du relief satisfont à certaines contraintes physiques et topographiques. Son amplitude s'amortit alors à mesure que le flux d'air s'éloigne de l'obstacle franchi, mais elles peuvent néanmoins se manifester par un nombre généralement assez faible de "ventres" positifs, espacés horizontalement entre eux de 5 à 10 km parallèlement au relief. Par ailleurs, il n'est pas rare que ces ondes stationnaires se propagent verticalement (amplitude) jusqu'à de grandes hauteurs, au point de franchir le seuil de la stratosphère dans le cas d'importantes chaînes de montagnes, comme les Alpes. Elles sont alors une des causes possibles de turbulences en air clair. Les ondes orographiques permettent aux planeurs de prendre de l'altitude à chacune des phases ascendantes de l'air. Ceci permet de faire du vol à voile sur de très grandes distances. - Photos : Atterrissage parfait malgré les rafales de vent du Sud. - Ci-dessous, pattes pendantes qui servent de balancier ou contrepoids. -
Toutefois, sous les ondes de ressaut, il existe à proximité du sol une zone de très fortes turbulences associées à des rotors (vents en rotation) qui peuvent briser un aéronef. Ces rotors sont matérialisés par des pseudo-cumulus (nuages) qui sont extrêmement déchiquetés. Les turbulences associées à ces rotors peuvent être plus violentes qu'à l'intérieur d'un cumulonimbus. L'ascension se fera en amont du nuage de rotor. Les ascendances associées aux rotors se comportent comme des ascendances thermiques fixes qui sont très puissantes et très étroites. Le planeur devra en permanence ouvrir la spirale du côté du vent et fermer le virage sous le vent. Lorsque le planeur contacte la couche laminaire, il est soumis à de très fortes turbulences pendant un laps de temps très bref, puis les turbulences deviennent quasi-inexistantes et le pilote a alors l'impression de voler dans de l'huile tandis que le variomètre indique une vitesse d'ascension de plusieurs mètres par seconde, alors que c'est apparemment le calme plat. Le planeur se trouve dans la zone ascendante de l'onde de gravité. Des avions (ou des oiseaux) planeurs peuvent ainsi atteindre 5000 mètres d'altitude sans peine. Cette onde orographique peut être marquée par un nuage lenticulaire immobile. Devant nous, les vautours stationnent toujours sur la crête de la sinusoïde du flux d'air invisible. - Photos : Vautours en plein vol. - Ci-dessous, les pattes pendantes servent de balancier ou contrepoids. -
Après nous être rassasiés de tout ce spectacle de haute voltige, nous allons pique-niquer à l'abri du vent, sur notre lieu favori près de la cascade. Dans l'eau claire du ruisseau gît une petite boîte en plastique fendue à intervalles réguliers. C'est un pêcheur qui l'a déposée, pleine d'oeufs de truites destinés à éclore dans ce milieu préservé. Voici ce que je lis à ce propos sur le site du Bureau suisse de conseil pour la pêche (FIBER). "Ruisseaux pépinières: la panacée? La technique, dite des ruisseaux pépinières, consiste à exploiter les têtes de bassin, petites rivières et ruisseaux peu intéressants pour la pêche, comme canaux d’élevage extensif. L’objectif recherché par cette pratique est de produire, à moindre frais, des poissons rustiques arborant un comportement naturel. Cependant, il ne faut pas omettre d’estimer le rendement annuel réalisé en fonction de la production originelle que le ruisseau aurait engendrée en l’absence d’exploitation. Or, dans les petits hydrosystèmes, la ressource naturelle est limitée par la capacité d’accueil du milieu. En d’autres termes, les productivités artificielles et naturelles sont équivalentes. L’exploitation des têtes de bassin en ruisseaux pépinières se révèle ainsi la plupart du temps inutile, voire néfaste à la faune résidente à laquelle les individus introduits se substituent. Une connaissance approfondie du milieu et une planification précise sont donc essentielles!... L'amélioration de la qualité de l'eau et la restauration des habitats sont les mesures les plus efficaces à la reconstitution de peuplements piscicoles abondants, adaptés aux conditions écologiques locales." - Photo ci-dessous : Les couples commencent déjà à se former en vue de la reproduction à partir de janvier-février. -
De la menthe pouliot fleurit discrètement sur la berge du ruisseau. Lorsqu'on frotte doucement ses petites feuilles opposées, elle dégage un parfum intense. Son aspect est très différent de celle qui pousse sauvage dans mon jardin ou de la menthe poivrée de mon petit potager. Ses petites fleurs rose-mauve sont disposées en anneaux étagés le long des tiges. La menthe pouliot figurait parmi les plantes potagères recommandées dans le capitulaire De Villis au Moyen Âge. Le "Capitulare de villis vel curtis imperii" (ou imperialibus) est un acte législatif datant de la fin du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle. Charlemagne y édictait à l'intention des "villici", les gouverneurs de ses domaines, un certain nombre d'ordres ou de recommandations qui pouvaient être contrôlées par les missi dominici (les envoyés du maître). Ce texte est surtout connu par ses capitules 43, 62 et en particulier 70 qui contient la liste d'une centaine de plantes, arbres, arbustes ou simples herbes dont la culture est ordonnée dans les jardins royaux. Par cette longue ordonnance de 120 articles, Charlemagne entendait, huit siècles avant Sully, réformer entièrement l'agriculture et l'administration de ses domaines, immenses, puisqu'ils s'étendaient de l'Allemagne à l'Espagne. - Photos : La boîte à oeufs de truites d'une association de pêcheurs. - Menthe pouliot. -
Nous reprenons la boucle et Dimitri tombe en arrêt devant un Méloé un peu cabossé, une espèce que l'on rencontre d'habitude au printemps. C'est un coléoptère herbivore dont la larve parasite les abeilles sauvages solitaires du genre Anthophora. Il est remarquable pour ses hypermétamorphoses, un terme inventé par Jean-Henri Fabre (1823-1915) dont je découvre une nouvelle page de ses Souvenirs entomologiques, toujours écrite dans ce style merveilleusement imagé qui le caractérise. Cet insecte, à l'allure de fourmi géante, doté de longues antennes coudées (chez le mâle) et d'un gros abdomen à demi-recouvert par de courtes élytres, incapable de voler, est à manier avec précaution. S'il se juge en danger, il a recours à des hémorragies spontanées. De ses articulations suinte un liquide jaunâtre, huileux, qui tache et empuantit les doigts. Les Anglais l'appellent donc "Oil beetle", le Scarabée à huile. Ce sang (chez tous les Méloïdés) contient une substance très active, la cantharidine. Elle est généralement fabriquée par le mâle et transférée à la femelle lors de la copulation. Elle intervient dans la protection des oeufs car elle est aussi toxique que la strychnine…0,03 g serait une dose mortelle pour un homme ! - Photos : Méloé. - Ci-dessous : Crocus (et non colchique) : les crocus n'ont que trois étamines, contre six chez les colchiques ; ils ont un seul style à trois stigmates souvent découpés en fines lanières, tandis que les colchiques ont trois styles. -
Dimitri nous décrit le processus compliqué de ses métamorphoses qu'a observées et décryptées le grand entomologiste. Vers avril-mai, la femelle Méloé creuse, dans les quelques mètres carré placés au pied d'un talus bien exposé habité par l'abeille maçonne, un trou dans lequel elle pond environ 4000 oeufs avant de le reboucher. Elle renouvelle cette opération à trois ou quatre reprises durant la saison, en creusant à chaque fois un nouveau trou. L'éclosion a lieu fin mai ou en juin, un mois environ après la ponte. Il en sort des myriades de larves primaires semblables à de petits poux jaunes, étroits et allongés, à l'enveloppe coriace. On les appelle des triongulins, à cause des trois longs ongles préhensiles qui prolongent leurs pattes. Ils explorent aussitôt le gazon et escaladent toutes les tiges dans l'espoir de trouver des fleurs composées, dont les plus abondantes sur le lieu d'observation de Fabre sont Hedypnoïs polymorpha, Senecio gallicus (séneçons) et Anthemis arvensis (camomille). Sur un calathide de camomille, il a pu ainsi compter jusqu'à quarante animalcules tapis, immobiles, au milieu des fleurons. - Photo : Triongulins de Méloé accrochés aux poils thoraciques de l'Abeille sauvage mellifère Colletes sp. (photo Gaël Bricon) - Schéma : Triongulin de Méloé. -
Lorsque Fabre ébranle légèrement la tige, les Méloés quittent aussitôt leurs cachettes, s'avancent en rayonnant de tous côtés sur les pétales blancs de la circonférence, et les parcourent d'un bout à l'autre avec toute la rapidité que permet l'exiguïté de leur taille. Arrivés au bout extrême des pétales, ils s'y fixent soit avec leurs appendices caudaux, soit peut-être avec une viscosité analogue à celle que fournit le bouton anal des Sitaris ; le corps pendant en dehors, les six pattes libres, ils se livrent à des flexions en tous sens, ils s'étendent autant qu'ils le peuvent, comme s'ils s'efforçaient d'atteindre un but trop éloigné. Si rien ne se présente qu'ils puissent saisir, ils regagnent le centre de la fleur et reprennent bientôt leur immobilité. Fabre présente une abeille qu'il met un instant en contact avec la fleur. Elle se trouve invariablement envahie par des Méloés accrochés à ses poils. Ceux-ci gagnent prestement un point du thorax, généralement les épaules, les flancs, et, arrivés là, ils restent immobiles : la seconde étape de leur étrange voyage est atteinte. Arrivé dans le terrier maçonné, le jeune Méloé abandonne le duvet de l'abeille au moment de la ponte ; il se laisse déposer à la surface du miel avec l'oeuf. Là, son premier travail est de dévorer l'intérieur de l'oeuf qui lui sert de radeau et c'est après ce repas, le seul qu'il prenne sous ce premier aspect, qu'il commence sa longue série de transformations. - Photo : Etrange gravure d'une tête dotée d'une oreille à gauche, un oeil à droite, une bouche ricanante au menton pointu, deux antennes spiralées ou cornes de brebis manech stylisées, qui est surmontée à l'emplacement du front d'un oeil vertical bien énigmatique. -
D'ordinaire, une larve de Coléoptère sortie de l'oeuf mue uniquement pour accroître sa taille, sans jamais changer d'aspect. Mais, remarque Fabre, elle ne change pas non plus de régime alimentaire. Pour le Méloé, il en va tout autrement. Le "pou" se transforme en une petite larve blanche et molle qui flotte sur le liquide gluant. Les fluctuations rapides de son abdomen dénotent qu'elle s'abreuve avec avidité du nectar à odeur forte amassé par l'Abeille. Elle possède des mandibules robustes et des pattes armées d'un ongle vigoureux qui lui donnent la capacité de fouir et de passer d'une cellule dans une autre à la recherche d'un supplément de nourriture. Fabre n'a pas pu observer si elle subissait des mues successives pour permettre l'accroissement de sa taille. A partir d'un certain stade, une nouvelle mue se produit. Sa peau se fend dans la moitié antérieure du dos et après avoir été refoulée à demi en arrière, laisse en partie à découvert une pseudo-chrysalide.
C'est un corps privé de tout mouvement, revêtu de téguments cornés comparables à ceux des pupes ou des chrysalides. Sur ces téguments se dessinent un masque céphalique sans parties mobiles et distinctes, six tubercules indices des pattes, et neuf paires d'orifices stigmatiques (pour la respiration). Elle est simplement à demi invaginée dans la peau fendue de la seconde larve. Bien que l'aspect extérieur change considérablement, l'organisation interne demeure identique. Puis, le Méloé reprend pour quelque temps la forme précédente à peine modifiée. Elle est à demi incluse dans les téguments pseudo-chrysalidaires, fendus comme ceux-ci le sont, à leur tour, dans la peau de la seconde larve. Enfin, l'avant-dernière mue la transforme en nymphe, le système nerveux se concentre et les appareils reproducteurs se développent, selon un processus semblable à ce qui se passe chez les autres coléoptères. Un an après la ponte, en avril, le Méloé atteint l'état d'insecte parfait. - Photo : Un hêtre soutient un arbre mort. -
Pendant que nous écoutons Dimitri, le cri caractéristique sur deux tons de la mésange charbonnière retentit. D'ordinaire, on l'entend surtout au printemps, parfois même à partir de janvier. Comme le Méloé, cet oiseau semble s'être trompé de saison. Il faut dire qu'il a beaucoup plu au Pays basque durant l'automne 2012, l'hiver et le printemps 2013, 100 jours sur 149 soit deux jours sur trois depuis le 1er janvier. C’était la région de France la plus arrosée ! L'été par contre a été très beau. Il y a donc sans doute eu un décalage et un retard de développement pour une partie de la flore et de la faune sauvages. Un hêtre bien vivant soutient un arbre mort creusé de profondes entailles qui ne peuvent avoir été percées que par le Pic noir, un oiseau insectivore qui peut être végétarien à l'occasion. Dans certaines régions, son régime alimentaire se compose de près de 99% de fourmis. Ailleurs, les larves de coléoptères sont consommées en grand nombre, de même que les chenilles de papillons et les asticots. Il les prélève surtout dans les arbres morts ou dépérissants ou sur les souches. En hiver, il picore les fourmilières ou les ruches sauvages. Il peut aussi manger des fruits, des baies et même des oeufs d'autres oiseaux, voire des oisillons. - Photo : Des trous opérés par le Pic noir. -
Dans les années 1930, le Pic noir ne nichait qu'en montagne, dans les Vosges, le Jura, les Alpes, les Pyrénées et une partie du Massif Central, puis, à partir de 1950, il a entrepris une expansion vers l'Ouest et les forêts de plaine. En effet, son sort est intimement lié à l'évolution de l'étendue des forêts. La forêt couvrait la quasi-totalité du territoire autour de l'an 400 (au moment de la "Guerre des Gaules"). A l'inverse, au lendemain de la Révolution française, la surface boisée était au plus bas avec 9,4 millions d'hectares et de nombreuses forêts étaient très dégradées. Le Code forestier de 1827 donna des armes juridiques nouvelles aux forestiers et renforça leur pouvoir. Des politiques volontaristes furent entreprises, notamment sous le Second Empire : boisement des Landes de Gascogne sous l'impulsion de l'ingénieur Brémontier et boisements de protection pour la restauration des terrains en montagne en application de la loi de 1860 furent les plus emblématiques. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, le contexte économique et social se transforma : le charbon remplaça le bois comme source d'énergie principale et l'exode rural s'amorça. Ces évolutions permirent l'allègement de la pression de défrichement qui pesait sur la forêt et la surface forestière atteignit 10 millions d'hectares en 1900. Avec l'urbanisation croissante de la société à partir des années 1950 et la diminution des surfaces agricoles, la progression de la forêt en France s'accéléra. - Photo : Un autre point de vue sur la curieuse gravure rupestre. -
Aujourd'hui l'Inventaire forestier national (2006-2011) estime la surface des forêts françaises à 16,3 millions d'hectares, soit 29,7% du territoire, ce qui correspond au niveau qu'elle avait à la fin du Moyen Age. Entre 1984 et 1996, l'augmentation de la surface était de 73 000 hectares par an, elle est repassée actuellement à 50 000 hectares par an. Cette progression de la forêt correspond principalement au boisement spontané des régions touchées par la déprise agricole. Le Pic noir suit le mouvement et, une fois installés, les adultes sont sédentaires. Pour se reproduire, ils creusent une loge à une hauteur de 7 à 12 mètres au-dessus du sol, dans un arbre (sain ou malade) d'au moins 45 à 50 centimètres de diamètre. Il s'agissait initialement de résineux (pins et sapins), mais, depuis qu'il fréquente les plaines, il a su s'adapter. - Photo : Pottok enfoui dans les fougères. -
Désormais les peupliers, les hêtres ou les platanes (et même les chênes) sont utilisés. Le tronc ne doit porter aucune branche sur les 5 à 20 premiers mètres et ne doit être escaladé par aucune plante grimpante. Les numéros 82 et 83 de la revue La Hulotte sont consacrés à cet oiseau. Par ailleurs, les adaptations anatomiques du Pic lui permettant de supporter ces chocs répétés se trouvent sur ce lien d'un forum de La Hulotte. Dimitri nous explique qu'il tape dans trois circonstances : pour se nourrir, pour creuser sa loge et pour communiquer. Le Pivert tambourine très peu car son cri assez élaboré porte loin. Le Pic épeiche tambourine un peu plus. Le Pic à dos blanc se trouve rarement au Pays basque (il a été vu à Occabé, sur le massif d'Iraty). Jean-François Gl., l'un de nos compagnons de marche, a effectué le suivi d'un Pic noir à Tarnos, il nichait sur un pin. Le Pic noir s'est en effet répandu dans quasiment toutes les régions de France, à l'exception des Landes pour le moment. L'article relatant son expérience a été publié dans la revue du Groupement Ornithologique des Pyrénées Atlantiques (GOPA). - Photo : Vautour sur son aire. -
Dimitri découvre une exuvie, c'est-à-dire l'enveloppe quittée par le corps d'un vertébré ou d'un arthropode lors de la mue ou de la métamorphose. En l'occurence, il s'agit d'une larve de libellule, qui se distingue des demoiselles par ses ailes placées à l'horizontale au repos. A ce stade de sa métamorphose, la larve est aquatique et carnassière, elle détecte sa proie visuellement. Elle peut chasser à l'affût, accrochée à un support. Lorsqu'une proie passe à proximité, elle projette son masque labial de façon fulgurante, en 25 millisecondes. Il s'agit de sa lèvre inférieure, plate et coudée, doublement articulée, qui est repliée au repos sous la tête et le thorax. Elle est contrôlé par les muscles labiaux et les contractions abdominales qui forcent la circulation sanguine vers l'avant. Des crochets terminaux permettent de saisir la proie. Ces animaux peuvent passer par 10 à 12 stades larvaires et disposent d'un système de fuite "à réaction", grâce à une cavité emplie d'eau située dans l'abdomen. Les larves des demoiselles possèdent des branchies externes qui ressemblent à trois petites plumes à l'extrémité de l'abdomen. - Photo : Exuvie d'une larve de libellule. -
Nous passons devant un poirier sauvage, ce que je n'aurais jamais deviné en voyant les fruits, petits, durs, sphériques... et parfaitement immangeables, comme le teste l'un des membres du groupe. Sa présence en bordure du chemin est peut-être l'indice d'une occupation humaine ancienne et d'un verger dont les arbres sont revenus à l'état sauvage. L'étude de la flore peut ainsi constituer une série d'indices pour un archéologue qui reconnaît les plantes rudérales (qui poussent sur les ruines), parmi lesquelles on compte la ronce, la grande ortie, l'herbe-à-Robert, le lierre terrestre, la pervenche et le groseillier à maquereau. Un bousier "Minotaure Typhée" est extirpé de son garde-manger. Avec ses trois cornes thoraciques, l'espèce, à nulle autre pareille, est aisémement reconnaissable... du moins le mâle ! La femelle que Dimitri a trouvée ressemble à un Géotrupe (un troueur de terre), mais elle s'en distingue par la présence d'amorces de cornes sur le bord antérieur du thorax (pas très évidentes sur la photo, je l'avoue).
En préambule à la section de ses Souvenirs entomologistes consacrée à ce coléoptère, Jean-Henri Fabre fait un petit rappel de la mythologie grecque. "Pour désigner l'insecte objet de ce chapitre, la nomenclature savante associe deux noms redoutables : celui de Minotaure, le taureau de Minos nourri de chair humaine dans les cryptes du labyrinthe de Crète, et celui de Typhée, l'un des géants, fils de la Terre, qui tentèrent d'escalader le ciel. A la faveur de la pelote de fil que lui donna Ariane, fille de Minos, l'Athénien Thésée parvint au Minotaure, le tua et sortit sain et sauf, ayant délivré pour toujours sa patrie de l'horrible tribut destiné à la nourriture du monstre. Typhée, foudroyé par son entassement de montagnes, fut précipité dans les flancs de l'Etna." - Photo : Amphore à figures noires représentant Thésée combattant le Minotaure, Athènes, 550-520 av. J.-C. -
Je suis à nouveau émerveillée par l'art de conter du savant pédagogue et j'invite le lecteur à se reporter au texte original qui décrit les moeurs du Minotaure Typhée. Je complète les informations qu'il fournit par les résultats d'une double étude récemment effectuée en Angleterre. Il s'agit d'un insecte originaire du bassin méditerranéen, son cycle de vie exclut donc l'été et il a pour caractéristique originale de creuser son nid à une grande profondeur, jusqu'à 1,50 m, de façon à assurer à sa descendance une protection contre la sécheresse estivale et les incendies. Son activité se réduit toutefois en hiver lorsque la température dans le terrier descend au-dessous de 5°C ou si la neige recouvre le sol. Si Fabre a pu constater que l'insecte préférait les crottes de mouton à celles du lapin, en milieu naturel anglais (en lisière de forêt), il consomme également les crottes de cerf. - Photo : Vautour en vol. -
Le Minotaure Typhée a pour habitude de vivre isolément au fond de petits trous où il accumule la nourriture. Il les creuse sur les lieux fréquentés par ses "fournisseurs", pour limiter ses déplacements, toujours dangereux car il possède de nombreux prédateurs (comme le renard ou la chouette par exemple). En automne, l'insecte, mâle ou femelle, creuse un petit trou d'environ 8 cm de profondeur. A l'approche de l'hiver, les couples commencent à se former et s'enterrent plus profondément avec leurs provisions, pour se protéger du froid. Si l'hiver est doux, la confection du nid débute dès janvier. Chaque femelle accroît la profondeur de son puits où viennent la visiter des mâles. L'un d'eux emporte la bataille (peu acharnée) et le couple se forme. Mâle et femelle sont capables de se reconnaître (olfactivement, suppose Fabre) et ils demeurent fidèles l'un à l'autre durant les quelques semaines que dure leur collaboration. - Photo : Amplificateur de sons (La parabole capte les sons jusqu'à 30 mètres de distance, qui sont amplifiés par un mini-micro). -
Le mâle expulse la terre que creuse la femelle. Après un mois de travaux de terrassement (davantage si les conditions météorologiques sont défavorables), le mâle apporte progressivement près de 500 crottes de brebis (rapporte Fabre) que la femelle prépare pour confectionner au fond du puits aux parois soigneusement lissées une longue saucisse faite de crottin réduit en un mélange plus ou moins homogène de particules fines ou épaisses. Sa mission terminée, le mâle sort et meurt peu de temps après. La femelle poursuit son oeuvre, pond un oeuf (ou deux oeufs) dans la terre sableuse, séparé du garde-manger par une fine pellicule de sable. Elle sort à son tour du terrier, occulte le trou avec la terre des déblais et meurt. La larve (ou les larves) se nourrit tout l'été des provisions rendues plus tendres par cette préparation et ce séjour souterrain, puis elle profite des pluies d'automne qui ameublissent le terrain pour sortir de l'orifice après avoir subi la dernière métamorphose en insecte parfait. - Photos : Menthe pouliot. - Ci-dessous : Vautour fauve en vol. -
Dans le ruisseau, il y a des oeufs de crapaud accoucheur : c'est le mâle qui porte les oeufs sur ses pattes arrière jusqu'à leur terme et les dépose dans l'eau peu avant l'éclosion pour que les têtards s'y développent. La femelle pond trois ou quatre fois par an (moins en altitude). Deux Timarques crache-sang (peut-être de Göttingen, car les élytres soudées sont ponctuées, brillantes avec des reflets métalliques bleus) sont surpris en pleine activité d'accouplement. On reconnaît le mâle à ses pattes terminées par des ventouses qui lui permettent d'agripper la carapace de la femelle pour se maintenir en position. Leur famille des chrysomèles (dont fait aussi partie le doryphore) est souvent la cible des agriculteurs, de même que les plantes dont ils se nourrissent (le gaillet ou la garance voyageuse qui contient une substance toxique, la coumarine, qui n'a aucun effet sur cet insecte) car elles ont tendance à envahir les champs de céréales. La pullulation de ces plantes est d'ailleurs l'indice de milieux dégradés, dit "eutrophes", par un apport excessif de substances nutritives (azote provenant des nitrates agricoles, phosphore provenant des phosphates agricoles, et par les eaux usées). En France, c'est dans les Pyrénées qu'ils sont le plus richement représentés avec plus des 3/4 des espèces de France dont la moitié présente uniquement sur ce territoire (8 espèces pyrénéennes sur les 16). - Photo : Couple de Timarques crache-sang. -
Dimitri nous montre un trou bien dégagé dans le sol. C'est l'oeuvre d'un campagnol "tunnelier" qui ronge l'herbe et les racines autour de l'orifice (on l'appelle aussi rat-taupier). Il creuse avec ses dents, et donc les monticules sont composés de terre à grains plus fins que ceux dégagés par les pattes pelleteuses de la taupe. A la différence du mulot, il est seulement herbivore, ce qui se reconnaît à ses dents en forme de râpe. Ici, les déblais ont été évacués par le vent et la pluie. En 2007-2008, les zones céréalières de la Meseta espagnole et de la province de Burgos ont subi les méfaits d'une pullulation de l'animal (les bas-côtés des routes étaient tout rongés), qui a été contrecarrée par une campagne d'empoisonnement qui a détruit par contrecoup nombre de ses prédateurs naturels. Je lis sur le site en lien que la pullulation du campagnol est un phénomène naturel qui se produit selon des cycles de cinq ou six ans. Ces alternances d’abondance et de rareté fournissent de la nourriture à de nombreuses espèces sans endommager la végétation. Quand ils deviennent trop nombreux, les campagnols attirent quantité de prédateurs qui les chassent et en réduisent le nombre. Ainsi, le milieu vivant se trouve naturellement auto-régulé et parfaitement équilibré à l’échelle de quelques années. Mais de nouvelles pratiques agricoles ont affecté ces cycles naturels. Le compactage des terrains par les engins mécaniques, la monoculture, la conversion des terres pour l’élevage laitier, la destruction des haies ont façonné un milieu ouvert, favorable au campagnol et défavorable à ses prédateurs, de sorte que les cycles n’ont cessé de se rapprocher, jusqu’à devenir très problématiques pour les exploitants dans les années 80. On a décidé alors de répondre à cette situation par des moyens chimiques et de combattre les campagnols en les empoisonnant. - Photos : Trou de campagnol. - Un vautour fauve adulte (à collerette et bec clairs) nous surveille attentivement. - Ci-dessous : Restes de prédation d'un rouge-queue noir. -
La bromadiolone était utilisée contre les rats dans les grandes villes. On a choisi de l’employer aussi à la campagne, en négligeant l’impact négatif, pourtant connu, de ce produit. La bromadiolone agit sur la coagulation du sang des animaux à sang chaud. Son ingestion entraîne une mort lente et pénible dans un délai de 24 à 36 heures. Ainsi, le rongeur ayant avalé ce poison n’en meurt que deux jours plus tard pendant lesquels, très affaibli, il est très vulnérable à ses prédateurs naturels puisqu'il erre en divaguant hors de son terrier. Or, le campagnol, un peu comme le plancton, est à la base de la chaîne alimentaire pour un grand nombre d’espèces : belettes, renards, putois, fouines, blaireaux, sangliers, rapaces, lynx…, en les mangeant en grande quantité, finissent par s’empoisonner à leur tour. A titre d’exemple, en 1998/99, en Franche-Comté, à la suite d’une seule campagne sur 44 000 hectares, on a dénombré 846 victimes "non-ciblées", c’est-à-dire indirectes (427 buses, 232 renards, 11 blaireaux, 53 milans royaux…). Dans le Doubs, on estime à 70 % la diminution des effectifs du milan royal, espèce protégée et menacée. Malgré ces mesures extrêmes, les objectifs de contrôle de population de surmulots ou de campagnols n’ont pas été atteints. Les dégâts ont à peine diminué. Au lieu de considérer à la fois le peu d’efficacité des campagnes et les dégâts qu’elles occasionnent, on a préféré s’entêter dans l’erreur en augmentant les doses et les surfaces traitées... En Suisse, on introduit dans les orifices des carottes empoisonnées ou, comme pour les taupes, on effectue un gazage des terriers, ce qui permet une destruction plus sélective. Dimitri explique que le déséquilibre démographique a également été engendré par la destruction systématique des buses dont les pattes étaient brisées par des pièges disposés sur des poteaux où elles ont coutume de se percher. Le DDT destiné à réduire la population d'insectes a aussi nui à celle du faucon pèlerin. - Photos : Restes de prédation d'un rouge-queue noir. - Ci-dessous : Staphylin. -
Nous tombons en arrêt devant les restes d'une prédation. Dimitri fait preuve de son habituel don de pisteur. Un épervier en migration (peut-être celui que nous avons aperçu en début de matinée) a fondu sur un rouge-queue noir, également en migration. Sur ce sentier, le rapace a plumé sa proie de façon à l'emporter plus facilement dans ses serres en un lieu sûr pour le dévorer. A la quantité de plumes et l'abondance de duvet, on voit qu'il a pris son temps car il y avait une bonne visibilité au loin. Parmi cet amoncellement, on distingue les plumes rectrices des plumes de couverture et du poitrail. - Un crave à bec rouge passe en criant dans le ciel -. A la couleur du plumage, à dominante brune, on peut supposer qu'il s'agissait soit d'une femelle, soit d'un jeune, car le mâle est plus noir, et comme le vent ne l'a pas dispersé, l'événement est récent. Si la prédation avait été l'oeuvre d'un mammifère, les plumes auraient été retirées avec les dents, en rongeant un peu de chair ou de peau en même temps. Dans le cas présent, on voit bien que c'est l'oeuvre d'un rapace qui a tiré sur chaque plume directement. Enfin, peu avant de rejoindre nos voitures, Dimitri nous déniche un staphylin qui le pince cruellement. C'est un coléoptère nécrophage dont les ailes sont repliées curieusement sous des élytres très courts, comme la toile d'un parachute. Il n'est pas dangereux, mais il cherche à impressionner ses prédateurs en relevant l'extrémité de l'abdomen pour faire croire qu'il est un scorpion. Même pas peur ! - Photos : Dimitri et la Couleuvre verte et jaune - L'aire d'un couple de vautours à flanc de falaise aux Peñas d'Isusi. -