Cathy, Jean-Louis chez Cédric et Loreto, avec Jonathan, Alexis et Marie | Un bateau dans le ciel |
Séjour du 24 octobre au 7 novembre 2012 |
En dépit de ces péripéties météorologiques, Cédric a à coeur de nous expliquer ses diverses activités. La grosse affaire durant notre séjour, c'est la construction d'une cheminée. En effet, il loue un terrain agricole qui était abandonné depuis quelque temps, sur lequel se dresse un bâtiment, simple cube de briques de ciment, qu'il a commencé à aménager pour y vivre. Il profite de la main d'oeuvre de son frère Jonathan et du copain Alexis pour effectuer les gros travaux. Il a récupéré un gros bidon métallique, ainsi que des tuyaux, également métalliques, et du grillage. Ils ont commencé par faire un trou dans le mur pour y introduire le bidon qui dépasse à l'intérieur et à l'extérieur. Puis ils ont amassé des pierres volcaniques récoltées dans le jardin pour monter un socle bien stable. Se servant d'un amoncellement de palettes, récupérées elles aussi dans un supermarché qui s'en débarrassait, ils ont solidement fixé au mur le conduit improvisé à l'aide de tiges métalliques. Etape suivante, la fabrication du pisé, formé de terre argileuse du jardin extraite à la pelle et la pioche et amenée dans des cageots sur une bâche où Cédric la mêle à de la paille et de l'eau.
Chaussé de grandes bottes de caoutchouc, il piétine et piétine, jusqu'à l'obtention d'un mélange bien homogène et souple. La terre est ensuite jetée à pleines poignées contre le bâti, puis lissée pour une bonne adhérence et sa mise en forme. Cédric caresse avec volupté cette matière qui, selon lui, bonifie la peau. Il en faut une bonne couche et l'opération dure des heures, sur plusieurs jours, d'abord à l'extérieur, puis à l'intérieur. Marie, qui arrive de Grenoble sur ces entrefaites pour les vacances de Toussaint, se met sans rechigner à la tâche, aidant Jonathan dans tout ce qu'il fait. Cédric est très fier : il a trois futurs ingénieurs sous ses ordres ! Quand l'extérieur lui paraît bien, il passe à l'intérieur. Les quatre jeunes y travaillent de concert ou à tour de rôle et la cheminée commence à prendre peu à peu belle allure. Comme j'avais fait la remarque en arrivant que le métal conduisait beaucoup la chaleur et qu'il était peut-être prudent de mettre de la terre pour l'isoler du mur et éviter que le bâtiment ne se fissure en s'échauffant et en séchant, Cédric entreprend de creuser tout autour du bidon qu'il recouvre de grillage, sur les faces externe et interne. Il explique que la terre adhère d'autant mieux que le support est rèche ou irrégulier.
Pour faire l'intérieur, ce n'est pas une sinécure, il prend des positions où je me serais coincé le dos mille fois. Ce travail plaît à Alexis qui n'arrête plus tant que ce n'est pas terminé. Cédric ajuste le casier pour les cendres, fait un petit feu pour vérifier qu'elle tire bien. Il sort pour voir son comportement de l'extérieur et contrôler si la fumée ne s'échappe pas par ailleurs que l'extrémité du conduit. Effectivement, il y a une petite fuite à un mètre du sommet : il faudra rajouter un peu de terre à cet endroit pour colmater. Elle n'est pas encore terminée, mais nous allons déjà pouvoir cuire des pizzas. Cédric ajuste une grille et les jeunes préparent la pâte sur laquelle ils disposent les ingrédients. Toute la soirée, nous en dégustons, elles ont un goût incomparable, faites maison avec du bois de la propriété et dans une cheminée maison ! Cédric est dans l'admiration devant son oeuvre... Avec la chaleur du feu, la cheminée fume de partout. Nous la humons : c'est tout simplement l'eau qui s'évapore et la terre qui sèche. Il lui faudra des jours pour durcir et prendre sa couleur définitive. En prévision des averses, Cédric fixe un toit de fortune au-dessus de l'orifice : un seau métallique qu'il découpe et introduit en force. La méthode est bonne, car les jours suivants, pluies battantes et rafales de vent se succèdent sans l'ébranler d'un iota. En plus, malgré son conduit extérieur, elle chauffe véritablement l'intérieur, au moins dans ses alentours immédiats, et nous passons des soirées fort agréables autour du feu. La veille de notre départ, Cédric et Jean-Louis l'enduisent de chaux à l'extérieur pour la protéger, et ils insèrent de la terre entre les pierres du socle qui demeurent apparentes. Il paraît que la cheminée devrait prendre une teinte rosée.
Suicide
Le jour de notre arrivée, tout le haut de la vallée est dans la peine, et la rage. "Toño el cabrero", le chevrier Antonio Dóniz Melchor, s'est donné la mort, il a ingurgité du poison par désespoir. Cédric, qui aime tellement ses trois chèvres et qui commence à bien connaître l'ambiance de l'île, est catastrophé et il souffre à l'unisson de ses voisins. Voici la traduction d'un des articles parus à ce sujet. - Photo : Ruche traditionnelle en tronc d'arbre évidé. -
Depuis que le monde est monde, et probablement bien avant, les aïeux de Toño, le chevrier de Tafuriaste, ont fait paître leur bétail dans la Vallée de Taoro. C'est alors qu'arrivèrent ceux du "chalet" (lotissement), qui se plaignirent de l'odeur du crottin, des mouches et des plantes broutées dans le jardin. Scrupuleux avec les chèvres, ils ne sont pas gênés par la merde et les aboiements de leurs chiens, mais par le moyen d'existence de Toño –qu'il repose en paix -, oui. Pour cette raison, ils entamèrent une campagne de harcèlement et de démolition du chevrier. Ils ont des avocats, des politiciens, des lois en leur faveur; ils ont tout ce qu'il faut pour gagner. Personne ne parle avec lui, ils préfèrent passer par la presse, les services de santé, et en sus, ils présentent des propositions pour éliminer son activité pastorale. Dans les commissions de la Mairie de la Orotava, les conseillers du PP (Partido Popular) insistent tant et plus en disant qu'il n'y a qu'à sortir les chèvres de là. La mairie gouvernée par le CC (Coalición Canaria), ne fait rien, ne donne aucune solution, ne dialogue pas et cède aux pressions des petites manoeuvres politiques des nouveaux riches. Le service de santé lui envoie des avertissements par écrit. La mairie lui enferme ses chèvres pendant près de deux mois, deux mois sans sortir manger la moindre petite herbe.
Cela coûte beaucoup, l'aliment (acheté pour les chèvres), et l'économie du chevrier s'en ressent. Arrive alors la menace municipale d'un délai de 72 heures pour sortir du "barranco". Mais les chèvres sont enceintes et doivent bientôt mettre bas, elles ne peuvent pas bouger. Mais il n'y a pas de lumières chez les responsables politiques municipaux, il n'y a pas d'amour pour ce qui nous concerne ni pour les nôtres, seulement un ultimatum de 72 heures, un ultimatum qui met fin aussi à la vie de Toño. Une personne bonne, excellente, affable. Les pressions de ceux des chalets (lotissements), les silences et les menaces notifiées achevèrent sa vie, l'assassinèrent, de même qu'ils tuent l'agriculture et l'élevage. Tuant à force de dédain les éleveurs. Créant une information alarmiste pour une fièvre sans conséquences qui ruine les chevriers qui ne vendent plus leur fromage parce que la presse dépeint tes chèvres en première page comme si c'étaient des animaux corrompus. Une chose de sûre, c'est que les autorités politiques assistèrent à l'enterrement, les mêmes qui ne donnèrent pas de solution, les mêmes qui permirent les pressions successives, qui ne s'assirent pas pour parler, les mêmes qui subventionnent la viande et le fromage provenant de l'extérieur et qui ruinent le pays. Que faire ! Le retour au féodalisme, que la vengeance et l'immolation se convertissent en sortie politique ? Mais ce n'est pas conseillé de revenir à ces époques, parce que les passions explosent et les gens se suicident et se font violence, et s'entourent la tête d'une mante et l'on ne sait alors ce qui peut arriver. De Paco Déniz – Canarias Semanal - (*) Paco Déniz est professeur à l'Université de La Laguna et membre du mouvement politique "Alternativa Sí se Puede por Tenerife".
Un autre article, moins polémique, précise que l'enterrement a eu lieu à Benijos, un village en aval d'Aguamansa et de Chasna où Cédric habitait l'an dernier. Le prétexte invoqué pour mettre en quarantaine les 300 chèvres est une "épidémie" de fièvre Q. Le chevrier avait 51 ans, il était marié et père de trois enfants. Il avait menacé plusieurs fois de se suicider, les autorités étaient au courant, y compris les conseillers de La Orotava. Il paraît que la municipalité lui avait proposé de déplacer ses bêtes sur un terrain municipal plus sain que ce canyon rempli d'ordures, mais une rumeur lui faisait croire qu'en réalité, elles allaient toutes être tuées. Assistèrent à l'enterrement le conseiller insulaire de l'Agriculture et de l'Elevage, José J. Bethencourt, accompagné du maire de La Orotava, Isaac Valencia, et de l'édile Juan Dóniz. Cédric nous rapporte que ce fait divers est un épiphénomène qui met en lumière toute une politique de dénigrement et de déstabilisation des activités traditionnelles que l'on cherche à faire disparaître, de façon à pouvoir s'approprier les terrains. - Photos : Abeille dans une fleur de courgette et sur le prunier qui refleurit fin octobre après les pluies. -
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