Inde : Richard, Michelle, Elisabeth, Jacques, Annie, Cathy, Jean-Louis et Sylvain - Chine : Cathy, Jean-Louis, Sylvain avec Françoise et Pierre M. sur le continent et Olivier et Xin à Hong Kong
Inde et Chine - 2

Vol Biarritz-Paris-Delhi le 18 octobre - Vol Delhi-Shanghai le 1er novembre et Nankin-Hong Kong le 11 novembre - Retour en France le 14 novembre

A l'inverse de la Chine qui, dans bien des domaines, fait table rase du passé, l'Inde s'enracine profondément dans ses cultures pluri-millénaires au point qu'il est souvent difficile pour un étranger de comprendre et d'interpréter correctement ce qu'il voit. Alors que nous venions d'arriver à Agra dans un hôtel luxueux (construit au milieu d'un quartier plutôt délabré mais tranquille) après la visite du Fort Rouge et du Taj Mahal, j'ai assisté à une curieuse scène. Sous la direction de la dynamique gérante du magasin d'articles touristiques de l'hôtel, les serveurs en pantalon noir et chemise blanche se mirent à quatre pattes en plein milieu du sas d'entrée entre les portes vitrées pour créer la magnifique décoration étoilée ci-contre (un rangoli) d'environ deux mètres d'envergure, à l'aide de pétales de fleurs, de feuilles, de sables et poudres colorés, la touche finale étant marquée par la pose de petits lumignons qui furent allumés une fois la composition terminée. Tout en venant contrôler de temps à autre son exécution, la jeune femme se mit à confectionner une autre décoration sur un meuble dressé contre une colonne dans le grand hall, face à l'entrée. Je signale, à toutes fins utiles, que le svastika* au premier plan n'a rien à voir avec la croix gammée nazie. Enfin, les employés montèrent sur une échelle pour suspendre une guirlande de fleurs au-dessus de l'entrée à l'extérieur, et au-dessus du comptoir d'accueil à l'intérieur. - Photos : Décorations de Diwali à Agra -

(*) Selon l'encyclopédie Universalis : Mot sanskrit dérivé de su (« bien ») et de asti (« il est ») et signifiant : « qui conduit au bien-être », svastika désigne une croix aux bras égaux s'infléchissant selon un angle droit et tournés tous dans le même sens, habituellement le sens des aiguilles d'une montre. Le svastika, en tant que symbole de prospérité et de bonheur, s'est répandu dans toutes les régions du monde antique et moderne. Il apparaissait à titre de motif favori sur les anciennes pièces de monnaie mésopotamiennes et fit ensuite son apparition dans l'art chrétien et byzantin primitif, où il fut bientôt connu sous le nom de croix gammée, à cause de la ressemblance entre chacun de ses bras et la lettre majuscule grecque gamma ; il a été représenté en Amérique du Sud et en Amérique centrale (chez les Mayas), ainsi qu'en Amérique du Nord (principalement chez les Navajos).

En Inde, le svastika continue d'être le symbole de bon augure le plus largement utilisé par les hindous, les jaïns et les bouddhistes. Dans le jaïnisme, où il est l'emblème du septième tîrthamkara, ses quatre branches sont supposées rappeler au croyant les quatre domaines dans lesquels l'homme peut renaître : le monde animal ou végétal ; l'enfer ; la terre ; le monde de l'esprit. Les hindous, ainsi que les jaïns, utilisent le svastika pour marquer les pages de leurs livres de comptes, le seuil de leurs maisons, leurs portes et leurs offrandes. Ils font une nette distinction entre le svastika sinistrogyre (plus correctement appelé sauvastika) et le svastika dextrogyre. Ce dernier est regardé comme un symbole solaire : il imite par la rotation de ses branches la course quotidienne apparente du Soleil qui, dans l'hémisphère Nord, part de l'est pour aller vers le sud, puis vers l'ouest. Le svastika qui tourne vers la gauche symbolise plus fréquemment la nuit, la terrifiante déesse Kâlî et certaines pratiques magiques. Sous le régime nazi, Hitler prit comme emblème de son parti un svastika dextrogyre noir. - Photos : Agra, vente de fleurs attachées en guirlandes pour la fête de Diwali -

Ces préparatifs se faisaient en prévision du plus grand festival des Hindous, Diwali, qui se pratique diversement selon les régions de l'Inde et se déroule sur cinq jours, la Fête des lumières étant célébrée le troisième jour. - Le mot Diwali (Dīvali, Dīpāwali, Deepavali, Dipabali) évoque les rangées de petites lampes à huile en terre cuite (diyas) -. A cette occasion, des feux d'artifice éclatent de toutes parts, des lumières sont allumées autour des maisons (les hôtels, restaurants et commerces en profitent pour faire une débauche de lumière électrique sur leur façade principale). Pendant toute la durée du festival, mais surtout le premier jour, chacun se souhaite "Happy Diwali" - Joyeux Diwali - (notre chauffeur passa une grande partie de son temps de conduite d'Agra à Orchha à recevoir des appels de sa famille et de ses proches) et l'on échange des cadeaux. Mais c'est avant tout (plus encore que Noël chez nous) une fête religieuse. La fête commémore le retour du Seigneur Rama dans son royaume Ayodhya après 14 ans d'exil. Elle commence donc le 15ème jour du mois de Kartika, selon le calendrier hindou (soit le jeudi 23 octobre 2014). On prie la déesse Lakshmi pour la prospérité des affaires et le bien-être de la famille. Comme elle aime la propreté et visite en premier la maison la plus propre, le balai est adoré et on lui fait des offrandes de curcuma (haldi ou turmeric) et de vermillon (kumkum). On nettoie l'intérieur de la maison, la cour et le seuil. Les gens se lavent à l'eau et s'oignent d'huiles parfumées, portent de nouveaux vêtements et offrent des sucreries aux membres de la famille, aux amis proches et aux collègues de travail. Les lampes sont allumées le soir pour souhaiter la bienvenue à la déesse et éclairer son chemin. C'est la victoire de la justice sur l'obscurantisme. Ce jour-là, la lumière de la connaissance se répand sur l'humanité, une action perceptible au scintillement des lampes qui illuminent le domicile des fidèles. La déesse marche à travers les champs verts et flâne dans les ruelles en répandant sa bénédiction sur l'humanité pour sa gloire et sa prospérité. - Photos : Datia, décoration de Diwali sur le seuil des maisons du village -

Cette fête prend son origine dans un phénomène astronomique, le cycle de la lunaison qui dure un mois, et la crainte soulevée par la disparition de la Lune en phase de Nouvelle Lune, appelée Amavasya (pas de Lune) : en réalité, la Lune orbite autour de la Terre et, périodiquement, passe entre Terre et Soleil dont la luminosité nous la rend invisible. Amavasi est le jour le plus sombre du mois hindou. C'est le dernier jour (ou 30ème tithi) du cycle lunaire dans les calendriers du Gujarat, du Maharashtra et de l'Inde du Sud (la lunaison a une durée moyenne de 29,5 jours). A chaque Nouvelle Lune (Amavasya), les croyants pratiquent le jeûne et accomplissent les rituels Shraddha et Tarpan pour apaiser les ancêtres. En 2014, la Nouvelle Lune de cette lunaison débute le jeudi 23 octobre à 14h35 (Ashwija Amavasya) et marque le début de la fête de Diwali. La Nouvelle Lune se termine le 24 octobre à 15h26 (j'ignore comment est calculée cette période d'environ un jour, car une éclipse solaire, ou plutôt une occultation du Soleil par la Lune, dure au maximum 8 minutes, par contre, en raison de l'éblouissement provoqué par la lumière du Soleil, la durée qui s'écoule entre le dernier croissant visible et le premier de la lunaison suivante est plus longue, c'est peut-être cette durée qui est calculée). Dans beaucoup de calendriers, l'absence de lune est considérée comme peu propice pour commencer de nouvelles choses, des travaux, procéder à des mariages, mais elle est considérée au contraire comme très favorable pour accomplir d'heureux événements dans le calendrier Tamil. Le troisième jour de Diwali est le plus propice (je pense qu'il coïncide avec l'apparition d'un fin croissant de Lune en début de soirée). En grande pompe, Lakshmi est invitée à pénétrer dans les foyers pour prendre les cadeaux qui font partie de la cérémonie (puja). L'astrologie indienne ou védique (évoquée dans les Védas, qui sont parmi les plus anciens textes de l'humanité dont l'origine remonte à 5000 ans) est nommée Jyotish (lumière). Le zodiaque (c'est-à-dire l'écliptique en astronomie, soit le chemin apparent du Soleil au cours de l'année parmi les étoiles) est divisé en douze signes, correspondant aux constellations réelles du ciel (contrairement à l'astrologie occidentale). Les Indiens utilisent aussi le zodiaque lunaire (chemin de la Lune parmi les étoiles au cours de sa révolution mensuelle autour de la Terre en presque 27,5 jours) : le ciel est alors divisé en 27 "demeures" ou Nakshatras. La fête de Diwali correspond au moment où le Soleil se trouve dans la constellation (et le signe zodiacal hindou) de la Balance (Tulā en sanscrit, qui signifie aussi balance) du 17 octobre au 17 novembre (alors que la Lune la parcourt en beaucoup moins de temps, autour du 23 octobre). Le signe de la Balance évoque la mise en équilibre et la fermeture des livres de comptes. L'attribution de ce nom curieux remonte à un peu plus de 2000 ans. Lorsque le zodiaque fut définitivement établi, le point d'équinoxe d'automne se trouvait dans cette région du ciel, le soleil sur l'écliptique (trajet apparent du soleil parmi les étoiles au cours de l'année) traversait l'équateur céleste ; la durée de ce jour égalait celle de la nuit sur Terre. La constellation fut donc baptisée du nom de l'instrument de mesure le plus juste, attribut entre autres des empereurs Alexandre le Grand et Jules César. - Photos : Datia, décorations de Diwali sur le seuil des maisons du village - Danse rituelle avec des bâtons - Poudres de couleur et tampons de bois gravés - Ci-dessous : Agra, guirlandes de fleurs, clochettes rituelles pour Diwali -

Cette connivence des Indiens avec les phénomènes naturels, souvent déifiés, a donné l'espoir au paysan-philosophe japonais Masanobu Fukuoka que son message de reverdissement des déserts par des méthodes naturelles pourrait être entendu. Il les décrit dans son dernier livre "Semer dans le désert - Agriculture durable, remise en état intégrale de la terre et ultime recours pour la sécurité alimentaire" paru aux éditions Guy Trédaniel en 2014. C'était méconnaître les rigidités sociales de ce grand pays. Si le Japon a réussi à reboiser partout, c'est parce qu'on a fourni gratuitement aux paysans les plants et que la coopérative forestière était toujours prête à les appuyer. Les procédures pour pouvoir semer des graines dans le désert se sont résumées à l'inscription par les paysans sur une unique feuille de papier de la date, du lieu et de la surface sur laquelle ils voulaient planter des arbres, renseignements qu'ils envoyaient à la coopérative forestière. Après quoi, celle-ci devait seulement s'assurer que le travail avait été fait. En Inde, le protocole soumet les agriculteurs à l'établissement d'un projet détaillé de 25 pages sur lesquelles ils doivent consigner le nom du chef d'entreprise, la classe sociale à laquelle il appartient, qui touchera le bénéfice s'il y en a, comment sera assurée la responsabilité en cas d'échec éventuel, etc. Aucun agriculteur réaliste, aucune agricultrice, commente Fukuoka, en plus de tout le travail qu'il ou elle a, ne pourrait faire quoi que ce soit sous un tel régime. - Photos : Datia, rangoli pour la fête de Diwali - Ci-dessous : Décharge sur une rive de la Yamuna à Mathura, entre Delhi et Agra -

Fukuoka a demandé aux dirigeants indiens qu'ils fassent davantage confiance aux agriculteurs et que les procédures soient simplifiées, mais ce point n'était toujours pas réglé au moment où il écrivait ces lignes en 1992. Pourtant, ce n'est pas faute de graines : en Inde, il y a plus de 500 espèces d'arbres qui donnent des noix comestibles et plus de 500 espèces d'arbres fruitiers. En plus, on devrait semer, préconise Fukuoka, 500 espèces de céréales, légumes et engrais verts, ce serait idéal sur le plateau nu du Deccan et dans le désert. Non seulement cette action permettrait d'offrir plus de ressources alimentaires, mais en outre elle restaurerait les sols et contribuerait à changer le climat, sur le plan local par l'humidité générée par le couvert végétal et sur un plan plus général par la réduction de l'effet de serre. Il n'en est pas au lancement de son ballon d'essai. Dans l'Etat du Bengale-Occidental, il a fait procéder à des semailles aériennes de mangroves dans l'estuaire du Gange. Lors d'une seconde visite, il a constaté que les jeunes plants de 20 à 30 variétés de mangroves avaient germé sur l'ensablement de l'embouchure du fleuve et poussaient à perte de vue. Arrachant l'un d'eux, il vit grouiller un grand nombre de mollusques et de bernard-l'hermite. En constatant le succès de son entreprise, il s'étonna que cet exemple n'ait pas été imité dans tous les endroits du monde où la forêt humide tropicale disparaît. Il vit aussi que du riz sauvage poussait dans une ceinture marécageuse le long de la berge. Personne ne l'avait semé, le sol était fertile et une algue rare qui produit de l'azote et de la potasse poussait sur toute la surface. Pourtant, ces terres étaient considérées comme incultes et laissées en friche. Si du riz non décortiqué enrobé dans des boulettes d'argile était semé par hélicoptère sur des espaces semblables, le succès serait presque certain, écrit-il. - Photos : Datia, arbre sacré - Ci-dessous : Une faune nombreuse et diversifiée sur la rive de la Yamuna vue depuis le Taj Mahal à Agra - Mathura, rapaces planant au-dessus des ordures jetées sur la berge de la Yamuna, buffles (ou vaches ?) qui traversent un bras du fleuve en direction d'un homme qui semble faire sa prière - Mathura, oiseaux sur la Yamuna -

Après avoir rencontré le Premier ministre indien à New Delhi, ainsi que plusieurs personnalités du gouvernement indien et de l'administration, Fukuoka se rendit à Gwalior, dans le Madhya Pradesh, où des semailles aériennes venaient d'être faites cet été-là. Je m'intéresse à ce passage de son livre car nous avons fait halte à la porte de la ville pour visiter le palais Man Singh construit en 1508 sur la muraille extérieure du fort. Ses seuls habitants aujourd'hui sont les écureuils, des grappes de chauve-souris suspendues dans des coins sombres et des abeilles aux essaims informes collés aux parois. Des vestiges d'ornementation aux lambeaux de glaçages colorés à dominante bleue rappellent la faune variée qui vivait dans la région, éléphants, tigres, canards, paons. En contrebas, à mi-colline, nous avons fait halte pour admirer des sculptures jaïn excavées dans la falaise au XVe siècle, aux statues de tailles très diverses. Les plus grandes grottes ont pu servir de cellule pour héberger un ascète, pratique courante dans l'ensemble de l'Inde. Fukuoka prit ensuite l'avion pour Agra et de là, il se rendit en jeep à la gorge de Chambal, un affluent de la Yamuna. - Photos : Au palais Man Singh dans le fort de Gwalior, Chauve-souris, Eléphant -

Le paysage avait subi un changement complet : malgré les efforts manifestes pour le rendre fertile en le labourant et en y creusant des fossés, il n'y avait plus que quelques acacias clairsemés. Un troupeau de chèvres détala devant lui et le berger activa leur passage, se sentant visiblement en tort : il est probable qu'il n'avait pas le droit d'y mener pâturer ses bêtes, car cela ne pouvait qu'accélérer le processus de désertification. Se rendant ensuite à Madras où l'on avait aussi procédé, selon sa méthode, à des semis protégés dans des boulettes d'argile, on lui raconta que, dix ans plus tôt, il y avait eu des éléphants dans cette zone, et seulement trois ans auparavant, un tigre était venu au village. Mais la désertification progressait à une vitesse effrayante et elle fit disparaître les villages en même temps que la végétation ; les éléphants et les tigres ne revinrent plus. Fukuoka s'interroge : s'il y a des rivières, pourquoi y a-t-il des déserts ? Il pense que la déforestation sous l'action humaine introduit un déséquilibre, la terre n'est plus couverte que par l'herbe qui est surpâturée à terme par le bétail. Quand la pluie tombe sur le sol nu, des glissements de boue se produisent, la terre fertile est lessivée. Sans végétation, la terre sèche et devient un désert. Lors de son trajet de Bombay à Calcutta, il constata qu'il n'y avait presque pas de végétation sur les régions qu'il survolait. De là, il se rendit au Bangladesh et en Birmanie et ne put rien voir d'autre que le désert sous les ailes jusqu'à l'approche de la Thaïlande. Est-ce pour cette raison que les gens fuient les campagnes pour s'agglutiner dans des villes qui, débordées par cet afflux incessant, n'arrivent pas à construire en temps voulu les infrastructures minimales (réseaux d'eau potable et d'eaux usées, voirie, logements) pour les accueillir dans des conditions simplement décentes ? C'était il y a vingt ans, mais nous avons eu cet automne une vision apocalyptique de Varanasi qui semble malheureusement révéler que les problèmes n'ont pas beaucoup évolué. - Photos : Gwalior, Tigre, Sculptures jaïn - Ci-dessous : Palais Man Singh dans le fort de Gwalior -

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