Séjour naturaliste guidé par Dimitri Marguerat - Groupe : 2 Suissesses (Anna-Maria et Joseline) - 1 Provençale (Pascale) - 5 du Pays basque (Jean-François, Viviane, Pascal, Jean-Louis et Cathy) | Costa Rica |
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vendredi 20 février au dimanche 8 mars 2015 |
Je me heurte à une difficulté récurrente lorsque je cherche à photographier tous ces oiseaux. Outre le fait qu'ils bougent et se déplacent sans cesse et très rapidement se pose le problème de leur visibilité : malgré les couleurs souvent rutilantes qu'ils arborent, dès qu'ils sont à l'ombre ils se fondent dans la végétation. Je lis à ce sujet un ouvrage passionnant de Tim Birkhead dans sa traduction française "L'oiseau et ses sens" (Edition Buchet-Chastel) dont j'extrais et résume quelques passages ci-après. Darwin l'a noté, il est peu probable que les couleurs éclatantes des oiseaux mâles aient évolué parce qu'elles augmentaient les chances de survie. Ces caractéristiques doivent plutôt leur existence au fait qu'elles augmentent leur succès reproductif : soit les mâles rivalisent entre eux pour les femelles, soit les femelles s'accouplent de préférence avec les mâles les plus séduisants. Darwin l'appelle la sélection sexuelle, pour la distinguer de la sélection naturelle : même si un plumage brillant ou des chants sonores rendent les mâles plus vulnérables vis-à-vis des prédateurs, pourvu qu'ils soient assez séduisants pour les femelles et laissent suffisamment de descendants, ils n'en seront pas moins favorisés par la sélection. Peu de chercheurs poursuivirent l'étude de ce phénomène après la mort de Darwin, et il fallut attendre les années 1970 et une mutation majeure de la réflexion sur l'évolution pour que l'idée d'un choix femelle redevienne envisageable du point de vue scientifique. Il fallut pour cela reconnaître que la sélection concernait les individus, plus que des groupes ou des espèces entières. Nous savons désormais que la couleur est une combinaison des propriétés de l'objet - l'oiseau ou la plume, et du système nerveux du percepteur qui en analyse l'image projetée sur sa rétine : la beauté réside pour partie dans l'oeil de l'observateur, ou mieux, dans son cerveau où sont traitées les images. La forêt (surtout la forêt primaire) est un environnement sombre. Les oiseaux jouent avec les rais de lumière, profitant soit de la canopée (trop haute pour nous), soit des clairières ouvertes par des arbres tombés de vieillesse, affaiblis par l'action des insectes, bactéries, champignons et le poids des épiphytes et des lianes qui se sont multipliés au cours des siècles de leur longue existence, soit du relief qui permet aux rayons de s'infiltrer à certaines heures à l'intérieur de ce monde végétal, nimbant l'atmosphère d'une clarté pourpre ou dorée qui magnifie les couleurs. - Photos : Sporophile variable - Tangara à croupion rouge - Buse blanche (très éloignée pour mon zoom) -
Tim Birkhead écrit que nous ne sommes pas très bien équipés pour comprendre ce que ressent une femelle oiseau, car notre vue est moins perfectionnée. Les bâtonnets de l'oeil sont des cellules très sensibles à de faibles niveaux de lumière, on pourrait les comparer à une pellicule en noir et blanc, tandis que les cônes offrent une haute définition et donnent un meilleur résultat dans une lumière vive, comme une pellicule couleur. La rétine de notre oeil comporte trois types de cônes, rouge, vert, bleu, alors que les oiseaux en ont un quatrième qui perçoit le rayonnement ultraviolet. Ils ont en outre un plus grand nombre de cônes et les cellules aviaires contiennent une gouttelette d'huile colorée qui pourrait leur permettre de déceler des couleurs supplémentaires. Ainsi, les oiseaux sans dimorphisme sexuel apparent peuvent présenter en réalité beaucoup de différences, mais qui sont imperceptibles à notre oeil. Cette sensibilité à la lumière ultraviolette contribue à la fois à la recherche de ressources alimentaires et celle de partenaires. Les baies dont se nourrissent certains oiseaux émettent un rayonnement ultraviolet ; les faucons crécerelles d'Europe peuvent pister les campagnols d'après les UV réfléchis par les traces d'urine laissées sur leur sillage. Le plumage (tout ou partie) des colibris, des étourneaux d'Europe, des chardonnerets jaunes et des guiracas bleus réfléchit la lumière UV, et souvent plus nettement chez les mâles que les femelles et avec une intensité qui peut varier selon les individus. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les femelles utilisent cette qualité du plumage pour choisir entre des partenaires potentiels. - Photo : Motmot à bec large -
La moitié des espèces d'oiseaux (par exemple les colibris, martin-pêcheurs, hirondelles, rapaces, pies-grièches) possède en outre deux fovéas à l'arrière de chaque rétine, alors que nous n'en avons qu'une. Une fovéa est une minuscule fosse ou dépression de la rétine au fond de l'oeil, dépourvue de vaisseaux sanguins (qui nuiraient à la clarté de l'image) et où la densité des photorécepteurs (les cellules détectant la lumière) est la plus grande, offrant ainsi la meilleure définition de l'image. La première fovéa est superficielle, elle procure une vision monoculaire en gros plan. La seconde est profonde, orientée selon un angle d'environ 45° par rapport au côté de la tête. Elle comporte une dépression sphérique dans la rétine qui joue le rôle d'une lentille convexe dans un téléobjectif, en augmentant la longueur de l'oeil et en magnifiant l'image pour fournir une très haute résolution. Grâce à cette deuxième fovéa, les rapaces jouissent d'une certaine vision binoculaire, jugée essentielle pour apprécier l'éloignement de proies rapides. Je me souviens d'une scène du magnifique reportage "Comme un poisson dans l'eau" d'Anthony Martin dans laquelle l'unique personnage du film, Patrick Lamaison, amoureux des barthes de l'Adour, imite les mouvements de tête des oiseaux échassiers lorsqu'ils cherchent à repérer le poisson dans le courant. Très justement, il remarque que ceux-ci déplacent souvent la tête d'un côté à l'autre ou de bas en haut, faisant ainsi passer l'image alternativement sur les deux fovéas, la superficielle pour les gros plans, la profonde pour la distance. C'est que les yeux aviaires sont relativement immobiles dans l'orbite, car l'espace et le poids sont limités, aussi la réduction des muscles nécessaires aux mouvements des yeux constitue-t-elle une économie importante. - Schéma : Projection des trois régions de haute acuité dans le champ visuel du faucon. Les fovéas centrales des deux yeux projettent vers deux régions monoculaires (c), tandis que les fovéas temporales de chaque oeil projettent vers une région binoculaire (t). dans le cas de cette espèce, la portion arrière du champ est hors de vue (x). - Photo : Urubu noir -
Relativement à la taille de leur corps, les yeux des oiseaux sont près de deux fois plus gros que ceux de la plupart des mammifères, les plus grands étant ceux des aigles et des faucons d'une part, dotés d'une excellente acuité visuelle (avec une prépondérance de cônes d'une densité d'un million par millimètre carré, contre 200 000 pour les humains), des chouettes et des hiboux d'autre part, dotés d'une excellente sensibilité visuelle. L'image formée sur la rétine est d'autant plus grande que l'oeil est plus grand, et le nombre plus grand de récepteurs photosensibles offre une meilleure image (comme le nombre de pixels sur un écran d'ordinateur). Parmi les oiseaux diurnes, ceux qui s'activent dès l'aube ont de plus gros yeux que ceux qui sont moins matinaux, et les limicoles qui cherchent leur nourriture en pleine nuit ont des yeux relativement grands, tout comme les autres oiseaux nocturnes. L'observation de l'anatomie de l'oeil ne suffit pas à comprendre la vision, car celle-ci est assurée par le cerveau qui redresse automatiquement l'image inversée selon les lois de l'optique et, dans le cas d'un oiseau pêcheur, corrige l'emplacement de la proie sous l'eau faussé par la déviation de la lumière (par réfraction du rayon passant du milieu aérien au milieu aquatique ou inversement). Mieux encore, je me suis toujours demandé comment voyaient les oiseaux qui ont les yeux placés de part et d'autre de la tête. De la même manière que les humains sont gauchers, droitiers ou parfois ambidextres, les oiseaux sont plus ou moins latéralisés en fonction du temps d'exposition à la lumière de l'un ou l'autre oeil au stade d'embryon dans l'oeuf (les parents laissent pendant de courtes périodes le nid pour aller se nourrir, et ils prennent soin de retourner les oeufs de temps à autre pour assurer un chauffage régulier sur tout le pourtour). L'oiseau est d'autant plus habile qu'il est nettement latéralisé, car à la spécialisation de ses yeux correspond une spécialisation des aires cérébrales correspondantes : il devient capable de regarder en même temps d'un oeil vers sa nourriture et de l'autre vers les environs pour détecter l'approche d'un prédateur éventuel. Il peut aussi dormir d'un oeil en gardant l'autre ouvert (oiseaux chanteurs, canards, faucons, mouettes, etc. le font) ! Les martinets pourraient faire de même tout en volant. - Photos : Trogon aurore - Ci-dessous : Singe hurleur (La Selva) dormant, patte pendante -
Durant notre marche, des feuilles tombent continûment de la canopée, naturellement et parfois sous l'action des animaux qui passent, surtout les mammifères car les oiseaux sont très légers, même les grosses Pénélopes ou les Urubus. Tout d'un coup, nous apercevons un grand arbre qui bouge beaucoup. Le cri d'un singe hurleur retentit, tout proche. Le guide en repère un : c'est une masse sombre allongée sur une branche, patte pendante. Il dort du sommeil du juste. Au bout d'un long moment, peut-être dérangé par notre présence, il change de position et s'assied vaguement avant de replonger dans le sommeil. Un peu plus loin, nous en apercevrons un autre qui se déplace lentement sur les branches, juste assez pour disparaître derrière un bouquet de feuillage plus épais. Trois autres espèces de primates (à part l'homme) vivent au Costa Rica : le Singe Ecureuil, le Singe araignée et le Capucin. Autant les cris des singes hurleurs au petit matin m'impressionnent énormément, autant les acrobaties des bandes de capucins m'émerveillent et m'enchantent. Je ne suis pas la seule à être charmée par ces petits "cousins" au visage si expressif qui semblent eux aussi curieux de nous voir, surtout les jeunes qui descendent presque à portée de main sur l'Hacienda Baru, mais sans rien quémander. Tant qu'ils sont là, nous avons du mal à poursuivre notre chemin, préférant les observer jusqu'à ce qu'ils aient fini d'explorer les arbres de notre secteur. Jack Ewing, dans son livre "Monkeys are made of chocolate", écrit (je traduis) que "l'Hacienda Baru (sur la côte Pacifique) héberge davantage de singes que d'humains. Cela n'a pas toujours été le cas. Quand, en 1972, je pris possession de la ferme où se pratiquaient la culture du riz et l'élevage bovin, deux mois passèrent avant que j'aperçoive mon premier singe, un capucin (Cebus capucinus). Le souvenir de ce petit primate noir à la tête et la gorge couvertes de pelage blanc entourant un visage frappant d'humanité demeure encore vif dans mon esprit. A l'époque, il y avait sur la propriété une grande forêt et deux petites, séparées par des champs et des pâturages. Si un singe voulait aller d'un bosquet à l'autre, il devait descendre à terre et courir à découvert, au risque d'être poursuivi par des prédateurs terrestres. Néanmoins, le manque de nourriture et d'autres facteurs poussaient souvent les singes à ces extrémités. Il n'y avait ni suffisamment d'habitat, ni assez de nourriture pour qu'aucune de ces forêts n'en héberge une large population." - Photos : Singes hurleurs (La Selva) - Morpho Peleides - mort et fixé à un tableau par une épingle - très difficile à photographier en vol (Serre à papillons de l'Hacienda Baru) - Ci-dessous : Cabosse de cacaoyer contenant des fèves de cacao (base pour fabriquer le chocolat) -
Jack Ewing poursuit. "Des quatre espèces, seul le capucin est omnivore. Je les ai vus manger de tout, depuis les fleurs jusqu'aux lézards. Les fruits sont une part importante de leur régime, de même que les insectes, les geckos et à peu près tout ce qu'ils peuvent attraper et tuer. Plusieurs membres du personnel de l'Hacienda Baru ont observé des singes en train d'effectuer des raids sur des nids d'oiseaux, mangeant les oeufs et les oisillons, et j'ai su qu'ils avaient à deux reprises tué et mangé des iguanes. Mais la plupart du temps nous les voyons manger des fruits, des graines et des fleurs. Ils adorent les fèves de cacao (qui sont le produit de base pour fabriquer du chocolat). On peut trouver au moins deux espèces de cacaoyer sauvage dans la forêt pluviale de la propriété, mais les arbres sont peu nombreux et espacés. En 1979, nous plantâmes environ dix hectares de cacao hybride dans un but commercial. Nous le cultivâmes jusqu'en 1987 puis, suite à la chute des cours sur les marchés internationaux, cela cessa d'être profitable et nous abandonnâmes les plantations. Durant les années d'exploitation, les singes nous volaient un peu de cabosses de cacao sur les bordures des champs, mais après notre départ, ils s'y installèrent carrément et en firent leur principale source alimentaire. A cette époque, nous commençâmes un programme de régénération naturelle de la forêt en créant des corridors pour relier les trois bosquets. Ils se développèrent rapidement grâce aux espèces pionnières à croissance accélérée qui fournirent également de la nourriture aux singes dès la troisième année après l'abandon des champs de cacao. Le cacao lui-même était une aubaine extraordinaire sur le plan nutritionnel pour les capucins dont les seuls concurrents étaient les écureuils multicolores (Sciurus variegatoides)." - Photos : Singe Capucin (Hacienda Baru) -
"Quand les singes mangent le cacao, ils arrachent la cabosse de l'arbre, mordent l'épaisse coque extérieure, en mangent une bouchée ou deux et jettent le fruit entamé. Quelques jours plus tard, quand la cabosse commence à pourrir, les capucins reviennent déguster les délicieuses larves de mouche grasses et juteuses qui se développent dans la coque abandonnée. Bien sûr, les cabosses de cacao à demi consommées abandonnées par terre attirent quantité de mammifères terrestres, comme les pacas, agoutis et coatis, mais les singes semblent toujours trouver plein de larves. Avant l'abandon de cette exploitation, nous ne voyions qu'en décembre des singes femelles porter leur très jeunes bébés sur le dos. Mais, comme tous les primates, les capucins peuvent donner naissance à des jeunes n'importe quand dans l'année s'ils sont en bonne santé et bien nourris. A la suite de cette abrupte augmentation de l'offre de nourriture, nous commençâmes à noter la présence de quelques femelles avec des nouveaux-nés en juin. Quelques années plus tard, avec les sources alimentaires additionnelles et l'accroissement de la mobilité permise par la présence des corridors forestiers, nous vîmes des capucins avec leur minuscule petit à n'importe quel moment dans l'année. Nous vîmes également bien plus de singes que jamais auparavant. Bien que nous ne fîmes aucun inventaire, il était évident que la population s'était accrue." - Photos : Singe Capucin (Hacienda Baru) - Ci-dessous : Iguane vert* (23 février, La Selva) -
(*) L'iguane vert a une excellente vision, percevant aussi les rayons ultraviolets qui lui sont nécessaires pour produire la vitamine D. Comme la plupart des reptiles, c'est un animal poïkilotherme, c'est-à-dire que sa température corporelle n'est pas stable mais dépend de son environnement. Pour rester dans sa plage de température optimale qui se situe entre 29 et 39 °C, il utilise son œil pinéal. Il peut faire varier la couleur de sa peau en s'assombrissant pour mieux capter la chaleur du soleil lorsqu'il fait trop froid, ou au contraire en s'éclaircissant quand il fait trop chaud. Il peut également faire varier son rythme cardiaque, le ralentissant lorsqu'il fait chaud. Il possède un organe voméro-nasal (organe de Jacobson) lui permettant d'analyser les molécules présentes dans son environnement plus précisément que par son odorat, déployant sa langue à plusieurs reprises pour les percevoir à la manière des serpents et des varans. Il est inactif 96% de son temps, et mange davantage de végétaux en période humide qu'en période sèche.
Comme on le voit, d'agriculteur-éleveur, Jack Ewing s'est converti avec plaisir et succès en un observateur passionné de la nature sauvage, et son livre est une mine de renseignements sur le comportement des animaux qui fréquentent en nombre de plus en plus important et en diversité croissante sa propriété au fur et à mesure que la forêt gagne en extension et en maturité. Plusieurs fois par semaine, il monte dans la canopée avec un matériel d'escalade où, à son plus grand émerveillement, il lui arrive de rencontrer fortuitement un paresseux qui se déplace au ralenti comme dans un rêve. Nous ne nous promènerons que dans la forêt secondaire chez lui aussi, comme à La Selva, mais il sait bien que la forêt primaire offre des ressources beaucoup plus variées. Francis Hallé écrit que "la canopée de la forêt primaire est fermée, la stratification est en place, les lianes et les plantes de sous-bois sont devenues rares, si bien qu'il est aisé de circuler entre les bases de très gros arbres. De telles forêts ont actuellement presque toutes disparu, d'où l'intérêt de la vision qu'en donne Jules Crevaux pour la Guyane en 1875. Pour ma part, j'ai vu des forêts semblables à celle de Crevaux à Taï, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire, dans les années 1960, et dans le massif du Chaillu au Congo en 1968." - Illustration : "Voyages dans l'Amérique du Sud", la forêt primaire de la Guyane vue par Edouard Riou. Expédition de Jules Crevaux en 1875 - Jeune fromager (Hacienda Baru) - Morpho, ailes fermées, bleu métallique invisible (Serre à papillons, Hacienda Baru) -
Une petite part de ces arbres, explique Francis Hallé, est spécifiquement tropicale, mais un groupe numériquement beaucoup plus vaste possède des proches parents dans les régions tempérées et particulièrement en Europe où ils ont adopté des formes réduites, arbustes, arbrisseaux ou herbes. Par exemple, au gigantesque fromager (Ceiba Pentandra, Malvaceae) qui se dresse jusqu'à 70 mètres de hauteur et étale au-dessus de la canopée son énorme cime de plus de 50 mètres de diamètre correspond par exemple la "rose trémière" (Althaea rosea). En Amazonie, le fromager bénéficie à longueur d'année d'une chaleur humide qui favorise une croissance permanente, au contraire de la rose trémière qui, pour survivre à la saison froide, doit sacrifier ses tiges aériennes et se réfugier dans le sol où elle se protège sous la forme d'une souche vivace d'où surgiront de nouvelles tiges au printemps. Elle ne peut donc qu'être une herbe. A cette même famille appartiennent les mauves, les cotonniers, les hibiscus et les baobabs qui, pareillement, ont acquis des adaptations au climat de leur lieu respectif de résidence. La plupart des arbres tropicaux ont la même histoire évolutive et sont les témoins ancestraux d'époques plus anciennes où régnait sur Terre un climat plus chaud qu'aujourd'hui. - Photo : Morpho, ailes fermées, bleu métallique invisible (Serre à papillons, Hacienda Baru) -
Un article de La Recherche rédigé en 2008 en retrace la chronologie. Apparues il y a plus de 136 millions d’années, les plantes à fleurs - ou angiospermes - ont ensuite conquis la planète en quelques dizaines de millions d’années. A la fin du Jurassique et au cours du Crétacé, les crocodiles, dinosaures, tortues et autres amphibiens qui peuplent la Terre sont témoins d’une révolution : les gymnospermes, plantes à graine nue qui dominent alors la flore depuis 150 millions d’années, sont supplantés par les angiospermes, les «plantes à fleurs», dont la graine se forme à l’abri d’un fruit. Elles colonisent ensuite toute la planète et ce, très rapidement : des fragments de plantes ont été retrouvés en Europe, Amérique du Sud, du Nord, Asie, Nouvelle-Zélande et Antarctique, dans des terrains datés de 125 à 65 millions d’années. Cette colonisation s’est accompagnée d’une diversification elle aussi rapide, puisque dès cette dernière date, à la fin du Crétacé, les principales familles actuelles existaient. Aujourd’hui, les angiospermes représentent plus de 90 % des espèces végétales qui nous entourent. On en compte 350 000 à 400 000, qui occupent tous les biotopes, contre seulement 956 espèces de gymnospermes, essentiellement des conifères. Francis Hallé fournit une liste de dix petites herbes européennes qui ont leur homologue arborescent dans les forêts tropicales : Fougère aigle (Fougères) - Fougère arborescente (15 m), Violette (Violaceae) - Leonia (8 m, Amazonie), Ortie (Urticaceae) - Laportea (40 m, Nouvelle-Guinée), Gentiane (Gentianaceae) - Anthocleista (20 m, Gabon), Pervenche (Apocynaceae) - Dyera (40 m, Malaisie), Myosotis (Boraginaceae) - Cordia (20 m, Equateur), Lamier (Lamiaceae) - Teck (Tectona, 30 m, Birmanie), Gaillet (Rubiaceae) - Chimarrhis (30 m, Amazonie), Bleuet (Asteraceae) - Dasyphyllum (50 m, Nord du Chili), Euphorbe petit-cyprès (Euphorbiaceae) - Euphorbia (40 m, Ethiopie). Il pourrait citer des centaines d'exemples identiques qui lui inspirent l'énonciation de la loi suivante : dans une famille végétale cosmopolite, la plupart des arbres vivent entre les tropiques et la plupart des herbes habitent les régions tempérées ou froides des deux hémisphères. Cette loi ne souffre pas d'exception, mais bien entendu elle ne s'applique pas aux familles qui ne comportent aucun arbre, comme les Renonculaceae, ni à celles qui ne comptent que des arbres, comme les Pinaceae ou les Fagaceae. Schéma : Evolution de la température terrestre moyenne de -570 millions d'années à aujourd'hui - Photos : Parc Carara : des arbres qui fleurissent à même le tronc -
Un arbre bien particulier attire notre attention de façon récurrente dans les diverses forêts que nous visitons : le "figuier étrangleur", Ficus nymphaeifolia (Moraceae). Voici ce qu'en dit Francis Hallé. "Au sens strict de "plante n'ayant aucun contact avec le sol", il n'est épiphyte que dans les premières années de son existence. Dans la couronne d'un grand arbre, au niveau d'une fourche, la graine du Ficus est apportée dans les excréments d'un oiseau amateur de figues et c'est là, à une trentaine de mètres de haut, que cette graine germe. Les premières racines, faute de sol, s'insinuent dans les interstices de l'écorce de l'arbre-support ; dans le même temps, la jeune tige s'accroît vers le haut. Par la suite, les racines finissent par atteindre le sol : assuré d'un approvisionnement en eau régulier, le jeune figuier pousse vers le haut, dépassant rapidement la cime de son support. Le comportement de ses racines est à l'origine du petit drame qui a enflammé l'imagination des voyageurs européens dès le XVIIIe siècle. En descendant vers le sol le long du tronc porteur, les racines du Ficus nymphaeifolia ramifient, se croisent et se soudent les unes aux autres en formant un réseau rigide qui enserre le tronc du support. Aucun mécanisme anatomique ne lui permettant de réduire son diamètre, ce réseau se contente de former un puissant carcan tubulaire à l'intérieur duquel le tronc du support est incapable d'augmenter son propre diamètre, ses vaisseaux s'écrasent, la sève ne parvient plus jusqu'aux feuilles et l'arbre ainsi chevauché par le figuier est voué à la mort. Pourtant, les palmiers y échappent. Parce que son tronc garde le même diamètre toute sa vie, un palmier couvert d'un figuier "étrangleur" n'en souffre nullement, dans le cas précédent, on peut considérer que c'est donc l'arbre-support qui s'étrangle lui-même." - Photos : Figuier étrangleur et son arbre-support (Parc Carara) - "Coccinelle blindée", Casside -
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