Organisateurs : Mag et Jean-Jacques Delétré - Guide naturaliste : Hervé Roques - Participants du Groupe Dimitri : Viviane; Mylène; Jacques et Marie-France; Jean-François et Danièle; Jacqueline; Françoise R.; Françoise I.; Claudine; Cathy et Jean-Louis; Anita et Jean-Vincent | Ile de Ré |
Du 29 mai au 1er juin 2015 |
Pages |
Vauban |
Trafic triangulaire / "La dîme royale" de Vauban |
Citadelle-prison / Abbaye des Châteliers |
Saliculture / Alimentation |
Du sel marin au sel gemme / Excès de sel dans l'alimentation |
Digues / Sédimentation |
Ecosystèmes |
Erosion côtière / Changement climatique |
Submersion / Conclusion |
Le samedi, nous nous rendons à la Maison du Fier au coeur de la réserve naturelle Lilleau des Niges où nous attend Hervé Roques. Une très belle exposition a été aménagée dans cet ancien hangar à sel en bois d'une capacité de 2000 tonnes qui jouxte un petit port à sec (c'est la marée basse) à l'extrémité d'un long chenal tortueux fermé par une écluse. Jusque dans les années 1960, il s'y pratiquait un commerce assez important par petites goélettes, puis l'accès du chenal fut fermé au trafic en 1967. Il se remplit toutefois régulièrement à chaque marée mais les chenaux s'envasent et se couvrent de végétation (plusieurs espèces de salicornes). Auteur de plusieurs livres, notre guide est un véritable puits de science, il connaît l'île comme sa poche. Il nous la fera découvrir pendant ces deux jours à pied, à vélo, et en bottes pour patauger sur l'estran à marée basse ! Ces paysages ont beaucoup de charme, malgré la température un peu fraîche et la bruine qui tombera pendant une demi-journée, sans que cela nous gêne dans notre exploration naturaliste. J'apprécie tout particulièrement la proximité des oiseaux permise par cette mosaïque de pièces d'eau entourées de digues, ainsi que les découvertes de la faune cachée sous les pierres de l'estran dans les petits bassins. En ce dernier jour de mai, ce sont les oiseaux nicheurs venus d'Afrique que nous allons surtout rencontrer. En hiver, on compte jusqu'à 50 000 oiseaux, dont 10 000 bernaches. La LPO (Ligue de Protection des Oiseaux), gestionnaire du site, effectue des comptages mensuels. La chasse sur l'île ne concerne que les faisans, perdrix et pigeons, il n'y a donc pas de conflit. L'insularité réduit la diversité de la faune : par exemple, il n'y a ni taupes, ni sangliers, ni écureuils, ni cerfs, ni serpents... Campagnols et ragondins ont été introduits. Les défrichages opérés au Moyen-Age pour l'agriculture ont fait disparaître une partie de la faune originelle. Il y a 200 ans, l'île était même totalement déboisée, ce qui n'est plus le cas de nos jours où une politique de reboisement est à l'oeuvre. Les seuls plans d'eau douce sont les stations d'épuration où nous observerons 80 cygnes sur l'une d'elle, avec des colverts, des foulques macroules et des tadornes de Belon. L'eau potable provient du continent par canalisation fixée sous le pont. Il y a aussi des puits par lesquels l'eau de la nappe phréatique peut être pompée. Une tourterelle des bois chante depuis le faîte du toit, accompagnée par une linotte mélodieuse invisible. - Photos : Salicorne - Tourterelle des bois - Ci-dessous : Cygnes et goélands argentés -
C'est toutefois un milieu fragile, résultat d'un équilibre incertain en voie de disparition plus ou moins programmée, bien qu'Hervé Roques ne l'ait pas évoqué et que les habitants de l'île refusent absolument cette perspective affligeante et se battent pour en reculer l'échéance. Ils ont encore en mémoire le traumatisme provoqué par Xynthia le 28 février 2010, une tempête qui a conjugué les effets d'une forte dépression entraînant des vents atteignant 160 km/h au moment de la pleine mer, une forte houle et un coefficient de marée à 102. Elle a eu pour conséquences sur l'île de Ré deux morts, 1400 habitations sinistrées, 64 digues endommagées, 2 400 hectares inondés, 10 kilomètres de pistes cyclables détériorés et 165 millions de dommages publics recensés. Cinq ans plus tard, le Fier n'a pas récupéré une bonne partie des terres autrefois exploitées en marais et les eaux marines s'y déplacent sans entraves. Une digue est encore en voie de rétablissement au goulet du Martray. Dans un dossier de presse, la communauté de communes de l'île dénonce le désengagement de l'Etat qui ne pourvoit plus à la réfection et au financement des digues, et elle lance un appel pressant à se mobiliser contre le Plan de prévention des risques littoraux établi par l'Etat qui condamne à plus ou moins long terme tout le nord de l'île qui entoure le Fier d'Ars à se laisser submerger par les flots sans lutter ni chercher au moins à retarder l'échéance. - Photos : Le niveau d'inondation par les flots marins lors de la tempête Xynthia (un mètre environ au-dessus des terres les plus basses et des vasières) -
A ce propos, elle fait l'historique de la construction des digues. Du XIe au XVIIIe siècle, elles sont construites et entretenues par les habitants. En 1789, l'Etat confie leur entretien à des entrepreneurs. La Loi du 16 septembre 1807 (toujours en vigueur) prévoit que la responsabilité de la protection contre les inondations incombe aux propriétaires riverains. Entre 1850 et 1870, une grande campagne de travaux est entreprise, avec l'édification des premières digues maçonnées (Saint-Clément, Martray...). Dans les années 1950, une seconde période de travaux permet la remise à niveau des digues. Entre 1960 et 1980, l'Etat procède à un désengagement progressif, le Conseil Général et les communes prennent en charge l'entretien des digues. En 1988, la maîtrise d'ouvrage des travaux est déléguée au Conseil Général qui n'assure toutefois pas la responsabilité pérenne des digues. Le 30 mars 2006, la Communauté de Communes prend en charge l'entretien des digues pérennes. Le 29 janvier 2008, un arrêté préfectoral déclare d'intérêt général la prise en charge de l'entretien des digues par la Communauté de Communes, avec la signature d'une convention de gestion conjointe avec l'Etat. - Photo : Ophrys abeille (ou bécasse ?) -
Le 28 février 2010, c'est la tempête Xinthia. Jusqu'au 30 avril 2010, des travaux d'urgence sont entrepris pour la mise à l'abri des personnes et des biens, la reconstruction des digues à l'identique (Travaux de niveau 1) : l'Etat refuse de réhausser les digues. Le 23 avril 2010, le Conseil général crée la mission littoral qui est confiée à Lionel Quillet au niveau du département de la Charente-maritime avec pour objectif de définir une stratégie globale de protection des côtes du département. De mai à décembre 2010, des travaux de confortement sont exécutés (travaux de niveau 2). Le 13 juillet 2010, un plan digues est élaboré, actuellement mis en oeuvre, avec la réalisation d'un plan de renforcement des dispositifs de défense des côtes correspondant à un événement de niveau Xynthia avec une marge de sécurité supplémentaire, et l'application du Programme d'actions de prévention des inondations (Travaux de niveau 3). L'étape suivante doit être l'application du Plan de prévention des risques littoraux établi par l'Etat. Le rédacteur du dossier précise que pour les digues sans gestionnaire, dites digues orphelines, la loi prévoit qu'au terme d'une procédure légale c'est l'Etat qui devient de fait gestionnaire de la digue si aucun propriétaire n'est identifié. Cette procédure n'étant pas appliquée, de nombreuses digues se dégradent progressivement. Sur 8000 km de digues en France, 3000 km de linéaire sont laissés à l'abandon par l'Etat (sur l'île de Ré, c'est tout le linéaire, soit 100 km, qui est concerné). - Photo : Faisan près de la Maison du Fier (introduit pour la chasse) -
Le Programme d'actions de prévention des inondations correspond aux travaux de niveau 3, c'est-à-dire au renforcement des dispositifs de défense des côtes. Ce programme totalise pour l'Ile de Ré 45 millions d'euros de travaux. L'Etat n'accepte de participer au financement de ces travaux (dans la limite de 40%) que pour en contrôler l'utilisation. La gestion et l'entretien des digues sont laissés aux collectivités locales, mais leur réalisation est soumise à une nouvelle autorisation de l'Etat qui dépend d'une analyse coût-bénéfice. Elle est calculée non pas sur le nombre de personnes susceptibles d'être touchées par un aléa climatique, mais sur la valeur marchande des biens à protéger. Les quelques habitations concernées perdant de leur valeur sur ces zones à risques, l'Etat ne finance donc pas ces travaux. Depuis 2002, l'île de Ré est dotée d'un Plan de Prévention des Risques Naturels (devenu PPR littoraux), document réalisé par l'Etat qui réglemente l'utilisation des sols en fonction des risques naturels auxquels ils sont exposés. La révision de son PPRL a été engagée en 2012, l'Etat présentant aux élus rétais la carte "des niveaux d'eau" prenant pour référence Xynthia plus 20 cm, sans tenir compte des digues existantes, avec pour conséquence un gel de l'immobilier (construction ou modification) qui plonge les Rétais dans la consternation. - Photo : Bergeronnette printanière ? - Schéma : Nombre d'heures d'ensoleillement annuel -
Ce problème s'intègre dans le cadre plus large de l'évolution de ces îles qui est analysée dans l'étude préliminaire en vue de la création d'un parc naturel marin sur l'estuaire de la Gironde et les Pertuis charentais, projet qui a abouti le 4 avril dernier. J'ai été très étonnée d'apprendre en lisant ces lignes l'influence du panache de la Gironde sur ce milieu marin situé au nord de Bordeaux. Ayant toujours vu celui de l'Adour tourner vers la gauche pour longer les plages d'Anglet jusqu'au-delà de Biarritz, j'imaginais qu'il en était de même pour les autres fleuves atlantiques. Autre surprise, je découvre que les côtes abritées des Pertuis bénéficient de 2250 heures d'ensoleillement annuel (c'est le maximum pour la côte atlantique, à comparer avec les 1700 du Pays basque et de la Bretagne) : pas étonnant que les roses trémières y soient florissantes alors que celle que j'ai plantée dans mon jardin n'a jamais fait que des feuilles ! Les îles de Ré et d'Oléron feraient barrière aux perturbations, les nuages glisseraient le long de leurs côtes, protégeant ainsi l'intérieur des Pertuis et arrosant les côtes du sud de la Vendée et de l'estuaire de la Gironde. De concert avec la présence des sels nutritifs, l'ensoleillement est l'un des paramètres qui favorise le développement des algues microscopiques que l'on trouve dans la zone illuminée, sous la surface des eaux du large ou sur les vasières à marée basse. Ces organismes sont à la base de la chaîne alimentaire océanique, nourriture pour les animaux les plus petits comme pour l'immense requin pèlerin. Dernier aspect fort intéressant, c'est l'étroite interaction du continent et de l'océan, aux effets inattendus que je vais développer plus loin. - Photo : Fauvette des jardins ? - Schéma ci-dessous : Influences terrestres et marines pour l'écosystème de l'estuaire et des pertuis -
Du large vers la côte, du plateau de Rochebonne aux marais poitevins, la mer façonne l'ensemble des Pertuis charentais, vendéen et l'estuaire de la Gironde. La stabilité des températures, le rythme régulier des marées ou la constance des vents d'ouest sont autant d'influences océaniques indispensables à la présence et à la pérennité de ce patrimoine naturel exceptionnel. Cependant, les cours d'eau, les estuaires et les marais jouent également un rôle important dans la construction des écosystèmes côtiers. La Garonne et la Dordogne constituent les principales sources d'eau douce (90%) pour le littoral. Le reste provient pour plus de la moitié de la Charente, puis de la Sèvre niortaise, des petits affluents de l'estuaire de la Gironde, du Lay, de la Seudre, du Payré et des exutoires des marais littoraux. Le panache de la Loire, au débit très important, pourrait également jouer un rôle dans ces apports. L'arrivée de l'eau douce en mer provoque plusieurs modifications des constantes océaniques, avec, en premier lieu, une baisse de la salinité. De plus, les fleuves sont souvent soumis à de très forts écarts de température, alors que la mer connaît moins d'amplitude thermique. A la recherche de nourriture ou emportés accidentellement par une crue, des poissons d'eau douce se retrouvent régulièrement dans les eaux saumâtres des estuaires (carpes, brèmes, sandres et même truites arc-en-ciel). - Photos : Tadornes de Belon, migrateurs, nichent dans des terriers de lapin abandonnés - Echasse -
Avant son arrivée dans les cours d'eau, l'eau douce ruisselle sur les sols riches qui les bordent et se chargent de nutriments. Cependant, elle véhicule aussi des polluants provenant des sols agricoles ou des rejets industriels et urbains. Ce mélange se diffuse par les rivières et les fleuves, se concentre dans les estuaires et finit sa course dans l'océan. Par ailleurs, avant de parvenir en mer, l'eau douce est convoitée pour de multiples usages d'ordre agricole, domestique ou industriel. Ces utilisations peuvent conduire à des problèmes de raréfaction de cette ressource, en particulier dans un contexte de baisse des débits fluviaux lors des sécheresses (au centre de l'estuaire de la Gironde au niveau de Saint-Estèphe, le débit de la marée montante approche les 20 000 m3/s, à comparer avec le débit de la Gironde de 989 m3/s - moyenne sur le XXe siècle - assuré à 65% par la Garonne et 35% par la Dordogne, débit fluvial qui a tendance à diminuer ces dernières années). Absorbés par les organismes vivants, les polluants peuvent alors provoquer des dysfonctionnements physiologiques, d'autant plus qu'en se dégradant ils génèrent à leur tour d'autres composés toxiques. Des nutriments tels que les nitrates, lorsqu'ils sont en excès, peuvent aussi engendrer des perturbations de l'écosystème marin telles que les marées vertes par exemple, bien connues depuis quelques années sur les côtes océaniques de Ré et d'Oléron. - Photo : Mouette rieuse - Schéma ci-dessous : Nature des fonds du parc marin estuaire de la Gironde-Pertuis charentais et vendéen -
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