Dans notre première causerie de guerre, nous estimions
indispensable que les conditions dans lesquelles on pouvait procéder à la
destruction des lapins de garenne fussent définies au plus tôt par les Pouvoirs
publics. Dans la plupart des départements, principalement dans ceux du Centre
de la France, les préfectures ne tardèrent pas à faire connaître que la
destruction par le furetage était autorisée, le colportage permis et, quelques
semaines après, les chasseurs ou mieux les destructeurs étaient autorisés à
faire parler la poudre. Évidemment, quelques restrictions étaient, de-ci,
de-là, apportées à l'usage du fusil ; mais, dans la période actuelle, il
faut savoir nous contenter de ce qui nous reste.
En fait, la destruction du lapin sera toujours nécessaire ;
particulièrement dans une période dans laquelle, les semailles n'ayant pu être
faites en temps utile, les céréales n'auront pas toujours la vigueur nécessaire
pour supporter, pendant l'hiver, quelques coups de dent. Il est donc
indispensable d'examiner de près la densité du gibier et de ne laisser que le
strict nécessaire pour la reproduction.
Si nous envisageons uniquement la vente du gibier, nous
aurons avantage à employer le furetage, les lapins provenant de ce mode de
destruction ayant toujours la faveur de l'acheteur. Opinion discutable
d'ailleurs, à divers points de vue, mais si généralement répandue que nous
serons bien obligés d'en tenir compte. Examinons comment mener rapidement un
furetage.
Nous sommes dans un pays à forte densité — autrement
nous risquerions de ne pas y trouver notre compte — commençons par mettre
au trou le maximum possible d'habitants. Pour cela, exécutons, avec tous les
chiens dont nous disposons, une ou plusieurs battues au voisinage des terriers,
et, si nous avons à battre des couverts épais tels que l'ajonc ou la bruyère, n’hésitons
pas à passer plusieurs fois avec notre meute. Si, par aventure, quelque Jeannot
se fait cueillir au gîte comme c'est possible, il ne déparera pas le lot :
mettons-le soigneusement de côté. Ensuite, par équipes, visitons les trous,
presque toujours habités dans ces conditions. Si nous avons des chiens habitués
à saisir le lapin à la sortie, nous pourrons nous éviter le boursage total des
gueules et réserver le filet pour les sorties devant lesquelles il est
difficile de mettre un chien en faction. En employant des furets actifs, les
terriers sont vidés très rapidement, avec un minimum de « colles »,
car cette fâcheuse aventure se produit surtout avec des lapins blessés et qui n’ont
plus tous leurs moyens. Disons de suite qu’il est facile de faire sortir le
furet avec une petite pièce d’artifice faisant plus de fumée que de bruit ;
un léger pétard vaut mieux que tous les feux de brindilles dont on dirige la
fumée à coup de casquette : c'est plus sûr et plus rapide.
Évidemment, dans une pareille opération, nous serons, lors
de la battue préparatoire, obligés de récolter au fusil les fuyards obstinés
qui se refuseront à aller au trou. Tués proprement ou non, ils trouveront
certainement à se caser avantageusement.
En dehors du furetage, le procédé le plus expéditif est le
fermé. Cette méthode, qui nécessite une préparation de quelques jours, consiste
à enfermer une certaine étendue de plaine dans une enceinte de grillage. Dans
la nuit qui précède l'exploitation du fermé, on bloque les lapins en terrain
découvert en relevant le grillage, qui sépare la plaine des bois ou couverts
voisins et, le lendemain matin, on procède de bonne heure à la récolte.
Celle-ci peut se faire uniquement au fusil, si l'on désire tirer ;
on peut fureter les terriers compris dans l'enceinte du fermé, si l'on tient
tout spécialement au gibier en bon état. La moyenne d'un fermé est d'une
douzaine de lapins à l'hectare : en entourant ainsi une dizaine
d'hectares, on est assuré de la centaine.
Ces deux procédés, furetage après battue et fermé,
permettent d'obtenir très rapidement la réduction du gibier dès que les dégâts
sont à craindre. S'il s'agit uniquement de petites destructions, destinées
plutôt au garde-manger familial qu'à l'alimentation des marchés régionaux, nous
retomberons dans les conditions ordinaires de la chasse, le temps passé
n'entrera plus en ligne de compte, et nous n'aurons qu'à utiliser de notre
mieux les belles journées d'hiver.
Excellente occasion de liquider les vieilles cartouches et
de perfectionner notre tir, si besoin en est : le peu de valeur du gibier
autorise toutes les expériences.
On nous a souvent posé la question suivante : dans le
cas particulier du tir du lapin, quel plomb faut-il employer pour le tuer
sûrement sans le détériorer ?
Évidemment, pour obtenir une réponse précise, il
conviendrait d'indiquer très exactement la distance de tir, mais nous
comprenons fort bien que, dans l'esprit du questionneur, il s'agit toujours
d'un gibier tiré de près, de trop près très certainement. Dans ce cas, il ne
faut pas penser que plus le plomb est petit, plus la pièce sera ménagée :
un lapin criblé de no 10 à une douzaine de mètres sera
littéralement haché et rempli d'esquilles. Nous avons souvent constaté qu’à
distance rapprochée le gibier est moins abîmé avec du no 4
qu'avec du no 6 ou du no 8 ; toutefois, on
ne saurait recommander l'emploi systématique du plomb no 4.
La véritable solution consiste à employer du plomb no 8
dans un canon rayé spécialement pour le tir du plomb à courte distance.
Au-dessous de vingt mètres, nous obtiendrons ainsi une densité très convenable
avec une augmentation de la zone efficace telle qu'il nous sera permis
d'importantes erreurs de pointage. Nous toucherons ainsi plus sûrement et plus
proprement : double avantage.
Il nous reste à souhaiter à nos lecteurs, à ceux que l'âge a
maintenus dans leurs foyers et à ceux que la permission de détente ramènera sur
le terrain de chasse, de détruire agréablement le maximum de lapins compatible
avec la perpétuation de l'espèce, car, avouons-le entre chasseurs, il serait
vraiment regrettable que cet aimable gibier disparût du carnet de tir. Nous n’en
voulons pour preuve que le soin avec lequel on a assuré le repeuplement de
l'espèce dans les régions particulièrement appauvries par une exploitation un
peu trop inconsidérée.
En toutes choses, il faut un juste milieu.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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