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La bécassine et sa chasse à Java

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Ici aussi le poids des bécassines est extrêmement variable. Selon mes notes, les limites inférieure et supérieure sont de 72 et 184 grammes : ce sont là des valeurs extrêmes. On peut dire que normalement le poids oscille entre 100 et 170 grammes. Plusieurs fois j’ai trouvé des spécimens au-dessous du premier nombre ; mais ceux-ci étaient d’une extrême maigreur, et je crois bien que c’étaient des individus en voie de guérison de quelque accident ou coup de fusil. D’ailleurs, les écarts de poids ne manquent pas et suivant les circonstances. J’en ai fait des tables et graphiques selon le cours de la saison, et voici ce que j’ai trouvé comme résultat. À leur arrivée, le poids moyen des bécassines était de 110 grammes environ. Après quelques temps, un ou deux mois, cette moyenne est descendue à 105 grammes pour se rétablir et même s’améliorer durant les trois mois suivants, jusqu’à 125 grammes environ. Quand la saison tire à sa fin, à est à remarquer que dans les trois dernières semaines les bécassines s’engraissent rapidement jusqu’à atteindre un poids moyen de l50 grammes ; celles atteignant 170 grammes n’étant pas rares.

Il est curieux que la seule gallinago, qui dans ce pays me soit tombée entre les mains, ne pesait que 71gr,5, plus légère que la stenura que j’ai jamais eue. Elle appartenait très probablement à la sous-espèce orientale (C.g. raddei, selon Buturlin), signalée comme plus petite que l’occidentale fréquentant l’Europe. Les cinq megala dont je me rendis maître (dans la joie de la prise, j’en ai oublié de peser la première, celle de mon frère), ne justifièrent pas leur nom spécifique et ne se montrèrent, à la vue, pas plus grosses que les stenura parmi lesquelles elles se trouvaient. Quant à leur poids, il surpassa, en tout cas, celui des autres, mais de très peu, de 5 à 7 grammes environ. Dans trois autres cas, les megala, malgré leur nom qui veut dire « grand », ne furent pas toujours les plus lourdes.

Les bécassines — Je reviens aux stenura — ne font pas de passage ici. Ce pays est pour eux le terminus de la migration, la station hivernale. Aussi elles y séjournent assez longtemps. On en trouve déjà — à la partie occidentale de Java (île qui s’étend de l’Ouest à l’Est sur 1.100 kilomètres.) — en septembre. La date la plus reculée à ma connaissance est le 9 de ce mois ; mais souvent ce n’est qu’en la seconde moitié ou même vers la fin du mois qu’on rencontre les premières de la saison. Et encore ce n’est qu’une avant-garde peu nombreuse. On peut dire que ce n’est qu’à la fin d’octobre, ou plutôt au commencement de novembre (vers la Saint-Hubert), que commence réellement la saison. Mais ce n’est qu’un commencement. C’est vers Noël que vraiment cela devient le plus intéressant, et alors les longirostres sont abondants. Cela dure jusqu’à la troisième semaine d’avril ; les oiseaux, devenus alors très gras, se préparent à la migration de retour. Sauf quelques retardataires, on n’en trouve presque plus après cette époque. Les paresseux eux-mêmes ne lambinent pas longtemps, et encore ils séjournent près de la côte septentrionale de l’île. La date la plus reculée où j’en trouvais a été le 29 avril. Jamais, malgré toutes mes observations et .recherches, je ne réussis à en rencontrer dans le mois de mai. Dans les parties orientales de Java, l’arrivée des bécassines est retardée de trois semaines environ, et le départ avancé d’une quinzaine. Au contraire, elles, arrivent plus tôt à Sumatra et y sont encore dans la première quinzaine de mai.

Une question très importante — parce qu’elle fournit des indices sur les genres de terrain préférés par les bécassines — c’est de connaître de quoi elles se nourrissent. Celles de l’Europe, comme le disent les auteurs qualifiés, se nourrissent surtout de vers, mais ne dédaignent pas aussi les insectes, les limaces, les larves, quelques fragments de plantes aquatiques, et aussi des petits poissons d’eau douce. Si c’est exact, il y a alors une certaine différence dans la nourriture des bécassines, quand elles sont encore ici. À Java, comme j’en ai eu des preuves par nombre d’autopsies de l’estomac, les bécassines n’absorbent jamais des aliments végétaux ; quant aux vers, si par cela on entend des lombrics, certainement elles en mangent, mais beaucoup s’en faut que ce soit leur nourriture principale. Il est certes bien plus difficile de dire de quoi les stenura s’alimentent généralement ici. Le Dr Verderman décrit ainsi le contenu des estomacs examinés par lui : « Des fibrilles organiques fines, sentant les huîtres, de la boue et des petits grains de sable. » Cela ne peut pas trop se traduire en aliments, et j’en fus indigné comme chasseur accoutumé à scruter les choses beaucoup plus à fond. Aussi je décidais d’élucider mieux la question et je me mis à l’œuvre. Mais, que le diable m’emporte, je ne trouvais que : des fibrilles fines, sentant les huîtres, de la boue et des petits grains de sable, et ceci à plusieurs reprises. Alors j’attaquais le problème avec un microscope de poche, grossissant jusqu’à 50 fois (comme disait le mode d’emploi, mais je ne l’ai pas vérifié), que je me souvenais opportunément d’avoir quelque part dans une armoire. Le résultat unique, c’est que les fibrilles se montrèrent plus grosses, les grains de limon aussi, mais rien de plus. Je me mis alors à fouiller la masse avec une épingle, et enfin je découvris d’abord une « chose » de forme irrégulière apparemment gélatineuse, et ensuite un tout petit crustacé de la forme d’une crevette. Une autre fois, je distinguai des particules de chitine de crustacés ou d’insectes. Continuant mes recherches, je trouvais alternativement : des parties de pieds d’insecte ou d’araignée, dont les « griffes » bien visibles et, cette fois, sans microscope, des chenilles d’une longueur de 12 millimètres. Très rarement des lombrics.

Maintenant, dans quels lieux s’abritent à Java les bécassines ? Question beaucoup trop vaste pour y répondre dans l’espace limité d’un seul article. La stenura n’est pas moins oiseau de marais que la gallinago. Mais cela ne suffit pas pour déterminer son habitat dans cette île. Car il existe ici nombre de genres divers de sols marécageux. Et celui où la bécassine se trouve principalement ne serait certainement pas compté ailleurs parmi les marais — ni chez nous d’ailleurs — même incultivables et peu utiles au point de vue économique. Les habitats de prédilection des bécassines à rectrices de la forme d’une épingle, comme les nomment les Anglais (pintail-snipe), sont les rizières, dans le stade de culture où l’on en fait de véritables marais artificiels par inondation intentionnée avec barrage pour retenir les eaux. Je ne puis m’étendre sur ce sujet ; qu’il me suffise de dire que le riz ne peut pas prospérer sans avoir le pied baigné d’une légère couche d’eau (pas trop cependant) et, pour y parvenir, on transforme le champ en un gigantesque « damier », entrecoupé de centaines de petites digues en sens transversal et longitudinal d’ont le but est de contrôler la profondeur de l’eau sur chacun des quadrilatères ainsi formés. Ces digues quasi-permanentes restent au cours des années ; en temps de jachère, et à l’entrée de la saison des pluies, elles sont inspectées et au besoin rendues étanches.

(À suivre.)

J. OLIVIER.

(1) Voir nos 593 et 594.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 9