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Cyclotourisme

Belgique et Hollande (1)

31 juillet. Rotterdam-La Haye-Amsterdam (90 kilomètres).

— Cette étape, qui va nous mener à l’extrême point septentrional de notre randonnée, sera la plus agréable de toutes. Notre départ précédant l’ouverture des bureaux et magasins, la circulation cycliste atteint une densité qu’on ne peut concevoir sans l’avoir vue. J’en garde, pour ma part, un souvenir comique. Interprétant mal les gestes d’un agent qui règle le trafic en faisant mollement des grâces de ses mains gantées, je démarre à faux, coupant la voie où un flot de cyclistes vient de s’engager, me submergeant ; impossible d’avancer ni de reculer, je suis là ridicule prisonnier pendant quelques secondes qui me paraissent interminables. L’agent de l’autorité, sensible au comique de ma situation, se borne à sanctionner ma faute par un haussement d’épaules et un sourire.

La sortie de la ville est longue, mais assez facile, étant bien fléchée par une signalisation copieuse. Et aussitôt dans la campagne, quel plaisir de rouler sur une toute nouvelle piste bien plane en pavés de ciment, isolée de la route par une bande gazonnée et séparée des plaines voisines par une haie basse et épaisse.

Que nous importent ces bolides qui filent, moteur à plein rendement ; leur allure nous est indifférente, sachant qu’ils n’ont pas à s’inquiéter de notre présence. Mais déjà voici Delft, ville ancienne aux canaux tranquilles, qui mérite bien l’appellation de « Bruges de la Hollande ». Cependant ses canaux n’ont pas perdu toute activité, témoin ce maraîcher qui, marchant sur les rives ombragées du canal « Oude Delft », pousse son bateau avec une longue perche, le laisse filer silencieusement sous les ponts, le rattrape et, le poussant à nouveau, l’anime et le guide. Que de siècles séparent ce spectacle de celui du grand port voisin que nous avons vu hier ! Tout près de l’eau se dresse le Vieux Palais, résidence de Guillaume le Taciturne, et, à quelque distance, la vieille église dont le clocher s’incline légèrement et, un peu plus loin, une autre église, la nouvelle, datant du XVe siècle, dit le guide. Après un aérodrome, la campagne cède le pas à la ville. C’est déjà l’agglomération de La Haye, précédée de Rijswick — dont notre histoire nationale garde le souvenir du traité qui y fut signé en 1697. La Haye, résidence royale, est peuplée d’un demi-million d’âmes et possède un nombre incalculable de rues dont bon nombre ont senti la caresse de nos pneus avant que nous puissions découvrir le centrum de la ville. Là, se place une aventure pleine de saveur. Pierre essayait depuis plusieurs minutes d’obtenir un renseignement et conversait avec un cycliste. Celui-ci arrivait à comprendre l’allemand, mais répondait en hollandais et Pierre ne comprenait plus rien. Trouvant le temps long, Raymond et moi, nous approchons en devisant. Alors le visage du cycliste s’éclaire : « Vous êtes Français, mais il fallait le dire tout de suite ! Je connais parfaitement votre langue; j’ai vécu vingt ans en Belgique ! » Très aimable, il s’offre de nous guider et nous montre successivement les bâtiments des divers ministères, le musée de peinture et, sur les quatre côtés d’une cour carrée appelée « Binnenhof », plusieurs autres monuments anciens parmi lesquels se trouvent les salles de réunion du Parlement et la célèbre salle des Chevaliers où se déroulent toutes les grandes solennités du royaume. Plusieurs de ces édifices se reflètent dans une jolie pièce d’eau : l’Étang de la Cour ou Vivier. Non loin de là, deux clochers signalent les principales églises de la ville. Sur la voie qui mène à la célèbre plage voisine de Schévenigue, au milieu d’un parc s’élève le célèbre Palais de la Paix, construit sur les plans d’un architecte français. En veine de chance, nous sommes accostés par un étudiant qui parle notre langue. Il étudie à l’université de Leyde, et comme ses camarades, emploie ses loisirs de vacances à guider les touristes étrangers qu’il rencontre ; on ne peut être plus aimable. Sortir d’une grande ville avec un guide est un plaisir, surtout quand la route s’engage dans un immense parc fleuri, puis dans le magnifique bois de la Haye qui se prolonge sur plusieurs kilomètres, nous offrant sans conteste le plus agréable parcours de notre voyage. Ça et là, quelques châteaux ou villas cossues apparaissent au milieu des arbres.

Pas de défrichement systématique, mais des clairières transformées en jardins fleuris formant écrin à de magnifiques constructions de tous styles, mais marquées cependant du sceau national qui est la recherche de l’harmonieuse combinaison des couleurs. Parfois, pour respecter un arbre vénérable, notre piste cesse de côtoyer la route et risque une échappée sous bois. Mais l’enchantement cesse et la verte plaine, coupée de canaux qui n’ont ni commencement ni fin, reprend ses droits.

Leyde est un peu à l’écart de notre route et, pour gagner la ville, nous côtoyons le cours d’un minuscule bras du Rhin. Leyde est surtout célèbre par son université fondée par Guillaume le Taciturne. Nous y découvrons un marché pittoresque qui s’allonge sur les rives d’un canal. L’heure de manger est proche, et nous voici occupés à faire des achats. Les prix affichés en « cents » nous permettent de faire des emplettes avec une compétence de ménagères accomplies.

Nous allons maintenant parcourir le royaume des fleurs, situé entre Leyde et Haarlem et limité des deux autres côtés par les dunes et l’immense polder de Haarlem. Les gros bourgs de Lisse et de Hillegom témoignent de la richesse de cette région. Malheureusement, l’époque des tulipes et des jacinthes est passée et nous ne pourrons jouir du spectacle unique que ces champs présentent en avril et mai. Seuls quelques carrés de glaïeuls apparaissent en maints endroits, jetant sur la grisaille du sable une note gaie, bien faible aperçu de la féerie de cette campagne lorsqu’elle est fleurie à l’infini. Puis la région redevient boisée comme à la sortie de La Haye, et l’animation extraordinaire qui y règne s’explique par le voisinage du terrain réservé au Jamboree Scout. Après un délicieux parcours en forêt où notre piste s’éloigne parfois de la route pour respecter de merveilleux massifs d’arbres séculaires, nous pénétrons dans Haarlem, patrie de Franz Hals, de Ruysdaël et de bien d’autres peintres illustres. Par des rues d’une minutieuse propreté, un sens obligatoire nous achemine en plein centre de la ville, face à la célèbre cathédrale de Saint-Bavon. Tout près, voici l’Hôtel de Ville et les célèbres bâtiments de l’ancienne halle aux viandes. Sur la Spaarne, rivière sinueuse, s’élève la masse imposante de la porte d’Amsterdam, vestige des anciennes fortifications, de la ville. Et maintenant, Amsterdam 20 kilomètres !

À droite, s’étend l’immense étendue plate du grand polder d’Haarlem, découpée en rectangles verts par une multitude de canaux rectilignes, et animée seulement par les tours ailées des moulins : image d’une terre qui semble flotter sur l’eau. Mais, à gauche, quelle animation ! c’est à croire que tout Amsterdam va passer le week-end à sa plage voisine de Zandwoort. Un défilé ininterrompu de vélos et d’autos s’écoule dans le sens contraire à notre marche, nous obligeant à une constante attention, la piste cyclable, cependant large, étant encombrée. Des trains électriques, bondés de voyageurs, complètent ce tableau de fuite collective. Amsterdam, 2 kilomètres, mais c’est déjà la ville : non pas un faubourg à terrains vagues, à bicoques sordides, à dépôts d’ordures, mais des constructions propres ne laissant entre elles aucun espace douteux. De l’autre côté de la rue, les prés et les bois, la coupure est nette : la ville ou la campagne. Cela a l’avantage de présenter la ville sous un aspect très propre, et c’est un des caractères le plus marquant de la Hollande. Amsterdam est découpée en demi-cercles concentriques par ses rues et ses canaux bordés d’ormes, ayant comme diamètre le port de l’Y ; aussi chaque canal commence et se termine dans ce port. La ville compte près de 800.000 habitants et, de la périphérie pour atteindre la gare centrale, tout près du port, il faut franchir plusieurs de ces canaux ou pour mieux dire tous. L’animation est grande et tout à fait digne d’une capitale. C’est aussi la capitale mondiale de l’industrie diamantifère et l’un des premiers centres financiers du monde — ce qui n’empêche pas notre provision de florins de baisser rapidement ! — Notre hôtel est situé à souhait dans la vieille ville. De retour de visiter la ville à la tombée de la nuit, nous ne pouvions plus retrouver notre logement, perdus dans ce dédale de canaux qui se ressemblent tous. Au hasard, nous découvrons l’Hôtel des Postes, le Palais Royal et quantité de rues pittoresques bordées de vieilles maisons.

(À suivre.)

A. BIHOREL.

(1) Voir nos 588 et suivants.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 24