Un sportif ne doit pas, en principe, être superstitieux.
Tout de même, cet été, alors qu’on sentait le ciel orageux au-dessus de l’Europe,
je faisais remarquer à des camarades, ceci :
En 1914, l’Australie, qui ne l’avait pas revue depuis
longtemps, gagnait, avec Wilding, la Coupe Davis. Puis, au même moment, les
voitures allemandes, Lautenschlager en fête, gagnaient de haute lutte le Grand
Prix de l’A. C. F. sur un circuit voisin de celui de 1939.
Et puis, après ces grands exploits, on lit, sur tous les palmarès,
de 1914 à 1919, un grand entracte :« relâche » disaient les
théâtres. « Pas disputé », disent les historiens des grands tournois
et championnats.
Quatre longues années, pendant lesquelles les sportifs ont
montré qu’ils étaient, pendant la guerre comme pendant la paix, à l’avant-garde.
Quatre années pendant lesquelles se vidèrent les stades et les vélodromes,
pendant lesquelles s’inscrivirent de funèbres listes où nous trouvons de grands
noms de tous les sports : Friol, Hourlier, Comès, Lapize, grands sprinters
ou routiers d’avant-guerre, Maurice Boyau, Bœydebasque (rugby), Roland Garros
et Pégout (aviation), Jean Bouin, le plus grand pédestrian français de tous les
temps, et, par milliers, des noms moins illustres mais aussi chers à notre
souvenir, et dont, grâce à l’heureuse initiative des « Amis des Sports »,
nous résumons la liste dans un modeste monument érigé au stade Pershing. Le 11 novembre
dernier, mus par une sorte de pressentiment logique, nous avions porté à cet
endroit des fleurs avec plus de solennité que de coutume, sous la direction de
Me Lévy-Oulmann, président des « A. S. », sans doute
parce que c’était le vingtième anniversaire de l’Armistice, certainement aussi,
parce que l’ambiance faisait communier avec plus de ferveur le souvenir d’hier
et l’inquiétude du lendemain.
* * *
Or, en juillet 1939, vingt ans après, voici que l’Australie,
qui l’avait perdue depuis vingt ans, reprend de nouveau la Coupe Davis, et que
les bolides allemands font cavaliers seuls au Grand Prix Automobile. Et quelques
semaines plus tard, toute la jeunesse sportive quitte, comme il y a vingt-cinq
ans, la piste et le court pour l’uniforme et la grande aventure. Les rôles sont
les mêmes, joués par les fils de ceux que nous pleurons encore.
Or, la Grande Guerre (car pour nous qui, en 1914, avions
vingt ans, elle restera toujours la « grande » guerre) nous a donné,
sur le chapitre « Sports », quelques enseignements. C’est elle qui a
démontré aux incrédules que la jeunesse sportive était mieux préparée aux dures
nuits sous la pluie et aux longues étapes, au moral solide devant le danger et
la souffrance, à l’ardeur au combat, à l’initiative et au courage. Du point de
vue pratique même, les organisations de fortune créées à l’arrière pour les
troupes au repos d’abord, puis lors de l’occupation, ainsi que les centres d’instruction
et d’entraînement réalisés par exemple à Joinville, attirèrent au sport
beaucoup de néophytes et améliorèrent la technique de certains sports.
C’est à la promotion de la Guerre que nous devons nos fameux
mousquetaires, qui ont gardé six ans à la France la Coupe Davis. C’est au
lendemain de la guerre que, pour la première fois, à Pershing, nous avons battu
en football l’équipe nationale d’Angleterre. C’est de l’armée de 1918 que sont
sorties ces grandes équipes de rugby depuis inégalées, qu’illustraient les Jauréguy,
Borde, Crabos et autres, Fabre, Struxiano ou Cassayet.
Le contact enfin avec les alliés anglais ou américains a
modifié notre mentalité sportive, et je me souviens des leçons que, pour ma part,
j’ai retirées de ces « tournois triangulaires » de football entre les
trois armées d’occupation, où j’eus l’honneur d’être sélectionné et de
comprendre alors à quel point la camaraderie sportive peut seconder la
diplomatie.
Il est incontestable qu’au lendemain de la guerre, le sport
a pris un essor rapide et intense, non seulement en France, mais plus encore en
Italie et chez nos ennemis, comme si l’on avait voulu remplacer par la qualité
le nombre de ceux qui étaient restés sous les coups.
En sera-t-il de même cette fois ? Il est bien difficile
de le prévoir, tant les conditions du conflit s’annoncent différentes.
Ce que nous pouvons en tous cas, nous qui, il ya vingt ans,
avons apprécié les bienfaits du sport pendant la guerre, c’est d’affirmer à nos
suivants que c’est au sport que nous devons les bons souvenirs qui, entre des
périodes tragiques ou cruelles, se rattachent à ces quatre années d’exil. Dès
1916, la plupart des cantonnements en arrière du front possédaient une
organisation sommaire permettant aux poilus, descendant d’un séjour de cinq ou
six semaines aux tranchées, de se détendre physiquement et moralement dans
quelque pré converti en terrain de football, ou, l’été, dans l’Oise, la Marne
ou la Moselle !
Certes, il n’est pas question d’offrir des courts de tennis
ou des pistes couvertes, ou des piscines chauffées, aux spécialistes de tel ou
tel sport. Mais il n’est pas un village de l’arrière où l’on ne puisse, en
quelques heures, tracer un parfait parcours de cross-country, ou bien organiser
un terrain de football, qui ne nécessite que quelques planches pour faire des
poteaux et un peu de chaux pour tracer les lignes. Rappelons qu’un certain
nombre d’œuvres ont déjà fait le nécessaire pour adresser des ballons aux
formations de l’avant qui justifieront du bien fondé de leur demande. Si nous
prenons comme type le football et le cross, c’est parce que, à notre avis, ce
sont les deux sports vraiment populaires et facilement organisables, au seuil d’un
hiver improvisé. Mais, selon les possibilités locales, d’autres sports peuvent
être organisés.
Nous croyons savoir que le Haut Commandement, à juste titre,
apprécie la valeur du sport en tant que dérivatif physiquement et moralement
sain pour les troupes au repos ou en réserve. Il appartient donc aux mobilisés
qui, dirigeants ou pratiquants du temps de paix, ont l’expérience de l’organisation,
de se faire connaître, de se grouper, et, avec l’appui bienveillant de leurs
chefs, de permettre à nos combattants, lorsqu’ils viennent se « refaire »
à l’arrière, la détente salutaire et les joies de parties d’entraînement et de
petits tournois, qui, lorsqu’ils seront de retour en première ligne, les
distrairont de nouveau au souvenir des derniers matches dont ils « discuteront
le coup » pendant les longues heures d’attente, et à la pensée de la
revanche au prochain retour au cantonnement de repos.
J. ROBERT.
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