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Les sports et la guerre

Les sports, tous les sports, du plus brillant au plus humble, du plus élémentaire au plus périlleux, jouent un rôle considérable, dans la guerre moderne.

Dans une période difficile et tourmentée où les individus comme les nations ont besoin de mettre en œuvre toutes leurs ressources et toutes leurs forces, on comprend enfin à quoi pouvait servir la préparation intensive et rationnelle que ne cessaient de réclamer ceux qui « voyaient clair ».

Nos amis les Anglais considèrent volontiers la guerre comme un match à gagner. C’est pourquoi, sans partialité, comme s’ils étaient témoins et non acteurs intéressés, ils marquent les points ! Indifféremment, ils annoncent une de leurs victoires ou ils rendent hommage à une tentative hardie de l’adversaire. Mais celui qui, finalement, gagnera le match sera le plus entraîné, le plus en souffle, le plus résistant, le meilleur en un mot. Ce sera du sport jusqu’au bout !

Voyons un peu les différents sports et leur application dans la guerre.

Incontestablement, l’aviation est reine. Des raids pacifiques, des liaisons de continent à continent, des rallies et des meetings, nous sommes revenus aux glorieuses légendes des as. Chasseurs ou bombardiers, spécialistes de la reconnaissance et du repérage, mitrailleurs et radios, ont besoin de ce courage, de cette témérité, de ce sang-froid, de cette sûreté de coup d’œil que donne, à bon escient, la pratique sportive.

Ballons captifs et parachutes occupent aussi une place sérieuse.

On ne songera pas à nier que les « habitués » s’y trouvent aussitôt à l’aise.

L’automobile tient un rang important aux armées. Depuis les camions transporteurs de troupes, jusqu’aux voitures légères des états-majors, en passant par les ambulances, les ravitaillements et les « roulantes », l’auto est partout.

De l’auto est né le tank, monstre crachant le feu et se jouant des obstacles. Il est bien évident que les conducteurs de tous ces véhicules ont leur tâche facilitée, s’ils ont un bagage sportif qui les tient à l’abri de la fatigue comme des surprises.

La moto, engin sportif par excellence du temps de paix, devient, en temps de guerre, en raison de sa vitesse, de sa maniabilité, de son encombrement restreint, une machine aux inappréciables qualités. De même la bicyclette. Les deux sont confiées à des hommes titulaires pour la plupart de ces brevets d’estafettes, qui exigent des connaissances aussi nombreuses que variées.

On a pu croire un instant que la cavalerie du XXe siècle était uniquement composée de motocyclettes. Or, malgré l’assaut de motorisation qu’ont subi les armées, il y a encore des chevaux, il y a encore des cavaliers. Ceux-ci, encadrés de fanfares et d’étendards, gardent intact leur prestige d’antan. Ils sont partout en avant et maintiennent les pures traditions ...

La guerre sur mer et sous mer est l’aventure ? Et l’on sait que l’aventure est un sport, un composé de sports ! Grandes chasses, grandes explorations, grandes découvertes se classent en tête des épopées sportives, parce qu’il faut à leurs auteurs une provision considérable de force, d’audace, d’endurance, de tactique. Capitaines ou marins vont à la guerre comme à la conquête, avec l’héroïsme calme de celui qui connaît d’avance son sort : il réussit ou il meurt !

... Singulière saison des sports d’hiver, cette année. Nos neiges sont sillonnées, nos montagnes sont escaladées par des alpins ou des skieurs qui ne mettent plus le sac au dos pour se distraire.

Et, si nous nous tournons maintenant vers la grande foule anonyme de nos « poilus », nous voyons encore que le sport est nécessaire, est indispensable partout. Les longues marches, les courses à travers champs, le pas de charge, le passage des fossés, des haies, des barbelés, les exercices de grimper ou de reptation sont monnaie quotidienne. C’est là où intervient la « débrouillardise » chère à Hébert.

Les branches de l’athlétisme sont en elles-mêmes des éléments de préparation militaire d’une portée aussitôt pratique. Il n’est pas jusqu’à la bonne vieille gymnastique qui nous ait fait des soldats puissants et alertes.

Deux spécialités trouvent surtout en guerre leur utilisation maximum : le tir et le lancement du poids. Point n’est besoin d’insister sur le premier. Quant au second, il donne lieu à des championnats mémorables !

Voici qu’à vingt ans d’intervalle se répètent ces rencontres de tranchée à tranchée, telles que les décrivait Paoli, en déplorant de n’avoir pas Ralph Rose comme chef d’équipe !

Bon sportsman, bon soldat. Quand, pendant l’autre guerre, le regretté Jacques Mortane reprit la publication de la Vie au grand air, le sous-lieutenant Henri Decoin, écrivit, je me souviens, dans un des premiers numéros, une page magistrale.

« J’ai assisté, disait-il, à pas mal d’affaires et toujours j’ai observé l’homme. J’ai beaucoup vu et beaucoup constaté. Je me suis incessamment attaché à rechercher dans mon unité, non pas le nombre, mais la valeur. Cette valeur, je n’ai pu la trouver que chez les sportifs, c’est un fait. Et ce fait ne s’est pas renouvelé deux fois, dix fois, mais cent fois, dans toutes les circonstances sans exception.

« Dans l’attaque, dans un coup de main, il est nécessaire — et cela est une règle absolue — de posséder des hommes entraînés. Celui qui a fait du sport a du souffle et n’a jamais peur. La peur — si je puis me permettre cette figure — c’est le cœur qui ne fonctionne pas. Celui qui a pratiqué l’athlétisme d’une manière active, qui a lutté, est toujours le meilleur soldat. Son cœur est accroché, et il a une énorme confiance en soi. Quand il s’agira de franchir le parapet, il sera le premier ; quand il faudra enjamber les fils barbelés, il sera le premier ; quand on arrivera à la tranchée adverse, il sera encore le premier. Au combat à l’arme blanche, il sera le plus rageur, le plus énergique, et il arrivera finalement le premier au but assigné, avec un cœur qui fonctionnera régulièrement et le sourire aux lèvres. Tel est le sportif. »

Suivait un parallèle entre ce sportif et le sédentaire, certes discipliné et plein de bonne volonté, mais handicapé parce que sensible, hésitant, douillet, souffrant du moindre froid et de la moindre privation.

Sans compter que le pusillanime tombe quelquefois dans le péril que l’audacieux évite ! De même que le pessimiste semble attirer sur lui les ennuis et les malédictions, c’est celui qui craint la mort qui se fait toujours tuer !

La vie du sportif, c’est la vie au grand air, c’est le mouvement, c’est la nature. La guerre, pour lui, est la véritable école d’application des théories sur lesquelles il a basé son entraînement antérieur. À tout sportif, il faut de l’activité ; la guerre lui permet d’exercer la sienne au centuple.

Au repos, le sportif a un autre avantage : c’est qu’il ne craint pas le découragement. Il ne cherche pas à noyer le cafard au fond d’un quart ; son premier soin est de se procurer un ballon de football ou des gants de boxe, et d’organiser quelque championnat inter-sections ou inter-régiments. Avec ce régime, le moral tient comme la forme !

Il y eut jadis une rivalité entre la préparation militaire, la gymnastique et le sport, trois écoles qui s’adressaient à la jeunesse. On jouait en réalité sur les mots. Si la préparation militaire consiste à porter arme, à changer de pas, à marcher à droite par quatre, à connaître par cœur la théorie, elle peut s’assimiler très vite à la caserne. Et le général Chanzy, dont on a tant parié, avait raison quand il demandait qu’on lui fît d’abord les hommes et qu’il se chargerait de faire les soldats.

Gymnastique, éducation physique et sport surtout font des hommes. Ils sont aussi en eux-mêmes préparation militaire, puisqu’aujourd’hui les soldats spécialistes se recrutent automatiquement dans les rangs sportifs.

Nous sommes assez loin de l’escrime à la baïonnette qui, au bon vieux temps, constituait la presque seule vérité athlétique des sociétés de préparation militaire. La P. M. est partout : chez les aviateurs, chez les automobilistes, les cyclistes, les skieurs, les motocyclistes, les crossmen ou les scouts. C’est au club de son choix, en pratiquant l’exercice de son choix, que le sportif aiguise ses facultés de futur soldat.

Aussi bien, qu’il s’agisse en temps de paix de porter au maximum la valeur individuelle de chaque Français, qu’il s’agisse en temps de guerre de se défendre contre une, agression, le sport est la bonne méthode, puisqu’il développe la personnalité, tout en donnant à ses adeptes l’habitude d’agir en commun et de fondre leurs activités dans un ensemble.

L’axiome pour gens raisonnables, c’est que, à aucun moment de sa vie, l’homme n’a le droit de cesser de faire du sport, de s’entraîner et d’apprendre ; le sport est un auxiliaire de la vie quotidienne, du métier, de la situation, des plaisirs, et aussi des imprévus désagréables, tels que les revers, la maladie ou ... la guerre !

L’esprit de lutte est dans le sport. Le sportif est toujours un combattant qui, le cas échéant, sait résister ou attaquer sur tous les terrains.

Dans le sport est aussi la force. Or, je reprends encore une expression d’Henri Decoin : « La guerre n’est pas un jugement de Dieu ! » Le droit, la justice, la vérité, sont de grands facteurs moraux ; mais, en fin de compte, c’est toujours la force qui prévaut !

Ennemonde DIARD.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 25