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Hippisme

Les chevaux et la guerre (1).

Les pauvres chevaux ! pourrait-on dire, en pensant spécialement au grand nombre — au trop grand nombre (?) — de ceux qui ont été réquisitionnés et parmi lesquels, au troisième mois des hostilités, sans qu’aucune opération de grande envergure ait été enregistrée, on compte déjà une proportion de déchets ou de pertes, sinon alarmante, tout au moins suffisante pour appeler l’attention et la surveillance de Qui de Droit, parmi nos dirigeants militaires et civils.

C’est là, sans doute, une conséquence à peu près inévitable— pouvant toujours être corrigée ou atténuée — des exigences, qu’on ne saurait discuter, d’une mobilisation rapide et des ordres de mouvements qui l’ont suivie en différents secteurs, pour des chevaux manquant d’entraînement et n’ayant pas eu le temps de s’adapter à la vie de bivouac et aux durs travaux de la guerre, de jour et de nuit, dans des conditions atmosphériques particulièrement défavorables.

Mais, bien qu’il nous en coûte, il nous faut signaler pourtant que cet état de choses regrettable provient aussi pour une part, et quelquefois une large part, de l’indifférence, de l’ignorance ou de l’incompréhension de certains chefs, pour le rôle que ces animaux sont appelés à jouer dans notre défense et notre économie nationales, et pour les soins que réclament leur bon entretien et leur bon rendement.

Dans un discours que le Ministre de la Guerre, Millerand, eut occasion de prononcer à la tribune de la Chambre, au cours de la dernière guerre, pour répondre à une interpellation au sujet de constatations analogues, il y déclarait pourtant que les chevaux constituent un « matériel vivant », représentant un des principaux éléments de force des armées et une valeur considérable dans budget de l’État.

À la lumière des événements actuels, ces appréciations sont susceptibles d’être révisées, ne serait-ce qu’à cause des immenses progrès et développements de la traction automobile, mais elles n’en gardent pas moins leur valeur de remarque et de conseil, pour tous ceux qui ont le commandement et la responsabilité d’unités comportant un plus ou moins grand nombre de chevaux.

Les chevaux des armées sont une manière de soldats ; comme eux ils font partie du « rang », comme eux ils peuvent être de « bons serviteurs de la Patrie » et, parce qu’ils « servent » avec courage et résignation jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, ils ont droit au bénéfice de la fraternité des compagnons d’armes, sous la forme de bons soins journaliers et d’une sollicitude toujours en éveil pour leur conservation en bonne santé.

Au cours de la guerre mondiale 1914-1918, si l’on s’en rapporte à des statistiques officielles, qui, nous devons à la vérité de le reconnaître, ne sont pas toutes concordantes, la consommation des chevaux a été estimée, par un officier du Service des Remontes, bien placé pour se documenter, aux chiffres suivants : 300.000 chevaux de selle ; 1.000.000 de chevaux de trait léger ; 600.000 chevaux de trait lourd et 35.000 mulets.

Dans cette répartition générale, le cheptel hippique français fut le plus éprouvé, ses effectifs passant de 3.222.080 têtes au 31 décembre 1913, à 2.413.190 têtes, au 31 décembre 1919, date du premier recensement établi après la guerre, sans y comprendre les animaux de l’Alsace-Lorraine.

L’importance de ces pertes n’a pas manqué d’avoir une influence marquée sur la crise qu’a subie notre élevage depuis cette époque, et dont on pouvait espérer, quelque temps avant la déclaration de guerre, une amélioration prochaine, des suites de décisions prises par le Ministère de l’Agriculture et auxquelles nous avons fait écho, dans notre article précédent.

Avec la même satisfaction, nous relevons, au Journal Officiel du 28 septembre dernier, le décret du 26 septembre 1939, relatif à l’abatage des équidés, pour éviter qu’il ne soit fait un usage critiquable, et deux fois répréhensible en temps de guerre, de ce matériel vivant et ... alimentaire.

Le décret en question est ainsi libellé :

« Le Président de la République française ;

« Vu la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation en temps de guerre ;

« Considérant qu’il y a lieu, pour les besoins de la Défense nationale et de l’Agriculture, de prescrire des mesures générales sur l’ensemble du territoire pour restreindre l’abatage des équidés aux seuls animaux reconnus impropres au travail ou à la reproduction ;

« Sur le rapport du Ministre de l’Agriculture,

« Décrète :

« ARTICLE PREMIER. — L’abatage en vue de la boucherie des animaux de l’espèce chevaline, ainsi que l’abatage des mulets et mules, ne pourront avoir lieu que dans des abattoirs publics régulièrement inspectés.

« ART. 2. — Il est interdit d’abattre pour être livrés à la boucherie :

    « 1° Les animaux de l’espèce chevaline, hongres, mâles ou femelles, âgés de moins de quinze ans ;

    « 2° Les mulets et les mules âgés de moins de douze ans ;

« ART. 4. — Par dérogation à l’article 2, les animaux atteints de tares, de lésions graves ou victimes d’accidents les rendant définitivement inaptes au travail ou à la reproduction, pourront être abattus après autorisation délivrée par le directeur départemental des services vétérinaires. Cette autorisation sera délivrée, après enquête, sur la demande écrite et motivée du propriétaire.

« En cas d’accident nécessitant l’abatage immédiat, cette opération pourra être pratiquée, soit sur place, soit dans un abattoir public ou privé, sur autorisation écrite du maire de la commune d’origine. Cette autorisation devra faire mention des circonstances de l’accident motivant l’abatage.

« L’autorisation écrite d’abatage, valable pendant cinq jours, sera remise au service d’inspection de l’abattoir de destination, lors de l’introduction dans cet établissement de l’animal qui en fait l’objet.

« ... ART. 5. — Les contraventions aux dispositions ci-dessus seront constatées par procès-verbaux et poursuivies conformément aux lois en vigueur ... »

— Le Syndicat des éleveurs-vendeurs de chevaux de sang et le Syndicat des propriétaires de trotteurs ont provoqué dernièrement une réunion de personnalités hippiques qui a eu lieu au Ministère de l’Agriculture.

Assistaient à cette réunion présidée par M. de Saint-Palais, directeur général des haras : le comte Hocquart de Turtot, commissaire de la Société d’Encouragement ; M. Ballière, président de la Société du Demi-Sang ; M. de Gaste, président du Syndicat des Éleveurs-Vendeurs de chevaux de sang ; M. Léopold Bisson, président des propriétaires de Trotteurs ; M. Aveline, député ; MM. Corbiéro et Moreau, éleveurs.

Les membres de cette assemblée, constatant que près de 1.200 chevaux de pur-sang avaient déjà disparu des centres d’entraînement, vendus à la remonte ou à la boucherie (avant le décret signalé ci-dessus) ; que, dans les haras privés, beaucoup d’éleveurs avaient fait abattre nombre de poulinières et de poulains, ont estimé qu’il était de toute urgence que l’État vienne au secours de l’élevage pour empêcher la disparition totale de nos races d’élite.

Ces secours seraient donnés dans les haras et distribués suivant le nombre de têtes à nourrir. De plus, des épreuves de sélection devraient être organisées dans le plus bref délai possible.

D’autre part, une campagne se manifeste de plus en plus dans certains milieux intéressés, et aussi parmi le public en général, pour la reprise des courses, dans des conditions qu’il y aurait lieu d’adapter aux exigences et aux ... convenances des temps présents. À ce propos, M. Paul Ambiehl, secrétaire général de l’Union, des propriétaires de chevaux de courses propose un plan fort raisonnable, qui consisterait à donner quatre réunions mixtes par semaine (plat, obstacles et trot), sur les hippodromes d’Enghien et de Maisons-Laffitte qui sont le plus facilement abordables.

Les courses, interrompues un moment en Angleterre, ont déjà repris ; elles n’ont jamais cessé en Allemagne ; aussi ne voit-on pas, a priori, ce qui pourrait les interdire en France. Attendons et espérons, la cause est en bonne voie !

J.-H. BERNARD.

(1) Voir no 594.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 29