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À travers le Velay

La période agitée que nous traversons ne se prête guère au tourisme. Quand tant de frontières retentissent du fracas des canons, quand le ciel est traversé de gigantesques et sinistres oiseaux chargés de menaces, sied-il bien d’évoquer le charme des paysages ? Et cependant, ne faut-il pas aussi que la vie continue et ne nous convie-t-on pas en haut lieu à n’abandonner aucune des formes économiques qui puisse ajouter au crédit de la France.

C’est pourquoi je me permets de rappeler ici quelques souvenirs d’une excursion à travers ce joyau du Massif Central qu’est le Velay, région trop peu connue qui, quoique rivée à l’Auvergne, annonce déjà les paysages lumineux de la Méditerranée.

Nous partirons du Puy, l’admirable cité, dont on a eu déjà l’occasion de décrire ici les merveilles de sa cathédrale et des dykes qui s’élèvent comme de gigantesques cierges, paysage unique, on peut le dire, au monde.

Dédaignant les routes nationales, nous emprunterons, tout de suite, d’aimables chemins qui serpentent à travers la campagne. Voici Saint-Julien-de-Chapteuil, avec son église, dont les murs se colorent de bleu et de rouge, et que dominent les ruines de son château, bâti sur un bloc de basalte. Nous sommes, maintenant, sur le plateau du Meygal, dont nous apercevons, sur la gauche, le sommet principal. Et voici le Chambon, aimable bourgade, paresseusement étalée dans une courbe du Lignon, au pied du Lizieux, couronné de forêts. Le Chambon, station estivale prospère, possède un Syndicat d’initiative très actif.

La Nationale 103 nous reçoit à présent. Elle domine le cours du Lignon qui se creuse un passage à travers de sombres rochers, jusqu’au château de Besset. Une jolie descente nous amène à Tence, coquette station dont l’église Saint-Martin, qui, au-dessus d’une abside romane élève un clocher des XVIIe et XVIIIe siècles, abrite de belles boiseries et des cadres provenant de la Chartreuse de Bonnefoy.

Les cinq faux, que porte dans ses armes l’antique cité qui s’élève au-dessus du ruisseau de la Siaulme et d’où, semble-t-il, Yssingeaux tire son nom, ne nous saluent pas au passage. Evocant auroras, dit la devise. Il était donc trop tard. Pour nous, ils évoquaient plutôt l’heure du déjeuner. Et, ma foi, notre hôtel fut le bienvenu, et son repas exquis. Exquise aussi, la promenade à travers la ville, où les murs à mâchicoulis et les tours à campaniles du donjon de Jehan de Bourgogne, après avoir défendu, contre l’ennemi, le château des évêques du Puy, abritent maintenant, plus prosaïquement, les actes d’état civil de la mairie et les dossiers du palais de justice.

Il ne faut pas quitter Yssingeaux sans pousser, à 4 kilomètres de là, jusqu’au pont de l’Enceinte, ou, plus exactement, de la Sainte. Là, le Lignon, qui coule au fond d’une gorge rocheuse, bordée de hêtres et de sapins, décrit une courbe si complète que la largeur d’un viaduc en sépare à peine les deux branches. Il a suffi d’une saignée pour que, par une chute de 40 mètres, une partie des eaux rejoigne directement, en évitant le détour, le bief inférieur. En avant, s’aperçoit le vieux pont romain, sur lequel passait la via, d’Anicium à Lugdunum.

Nous laissons le Lignon aller se perdre, comme à regret, dans la Loire, et nous rejoignons à Retournac, dont il ne faut pas négliger, en passant, les curieuses grottes, le grand fleuve que nous allons suivre pendant longtemps.

Une halte s’impose à Chamalières, curieux village dont l’église, qui remonte à la fin du XIe siècle, est une des plus intéressantes du Velay. Elle a été intelligemment restaurée et on en a, heureusement, abrité la porte, en bois peint et sculpté, qui rappelle celle de la cathédrale du Puy.

La Loire, maintenant, dont nous remontons le cours, est un torrent tumultueux, redoutable, contraint de se frayer un chemin à travers les roches basaltiques. Elle s’assagit, un moment, dans la plaine de l’Emblavès, de Vorey jusqu’à La Voulte, dont le coquet château s’élève sur un rocher, au milieu d’une boucle ou volte, d’où le nom donné à la petite ville. Mais c’est, tout de suite après, les gorges de Peyredère, où la route et la voie ferrée viennent s’insérer, en même temps que le torrent, dominés par des à-pics de plus de200mètres. Qui reconnaîtrait, dans ces flots tumultueux, le g rand fleuve dont les eaux majestueuses vont s’étendre langoureusement à travers la riche Touraine et le voluptueux Anjou !

Nous avons accompli un voyage circulaire, et nous voici de retour au Puy.

Nous en repartons le lendemain, après avoir savouré un petit déjeuner accompagné de délicieux croissants. C’est un fait à remarquer, en passant, que le « croissant », qui était au début une spécialité parisienne, s’est maintenant répandu dans toute la France, et qu’il a conservé, dans beaucoup de villes de province, les qualités qu’il a perdues dans la capitale, où il est, le plus souvent, constitué d’une pâte molle, sans goût et parfaitement indigeste. Ceux du Puy sont, ou étaient, tout au moins, l’été dernier, feuilletés, beurrés et croustillants à souhait. Espérons qu’ils le sont restés.

Mais reprenons, après cette digression gourmande, notre route. À peine sortis du chef-lieu de la Haute-Loire, nous découvrons l’énorme dyke volcanique au sommet duquel s’élève, à plus de 800 mètres d’altitude, le château de Polignac, une des plus majestueuses forteresses de la France féodale. Le donjon, seul, en a été restauré. Il remonte au XIIe siècle

Voici Saint-Paulien, l’antique Ruessium des Vellaves, ancienne capitale du Velay et jusqu’au VIe siècle siège de l’évêché. Nous admirons au passage sa vieille église, construite au XIe siècle, sur les ruines d’un ancien sanctuaire, et récemment restaurée. Sur la place, un curieux bloc de grès, la « Pierre à tuer les bœufs », qui fut, sans doute, un autel de sacrifices païens.

Abandonnons la grande route, monotone, pour remonter la vallée pittoresque et ombragée de la Borne. Voici la petite ville d’Allègre que dominent, s’ouvrant comme un vaste porche sur le ciel bleu, les ruines de son château du XIVe siècle. Il n’en reste qu’un pan de façade, avec deux tourelles, que relie une ligne de mâchicoulis.

Mieux conservée est la porte de Monsieyr, vestige de l’ancienne enceinte. Sur la droite, s’élève le Mont Bar dont le sommet, à 1.167 mètres, creusé en coupe, formait jadis un lac, dont il ne subsiste que quelques joncs et autres plantes aquatiques, témoins de l’humidité du sous-sol. C’est, dit George Sand, comme une borne à la limite de l’Auvergne et du Velay.

(À suivre.)

Marcel VIOLLETTE.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 31