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A. O. F. 1939

La Guinée française.

Quittons la côte pour gagner l’intérieur par le chemin de fer de Konakry au Niger (662 km.). Aux portes de la capitale, pourrait-on dire, exploitation du minerai de fer, longtemps dédaigné en raison de difficultés techniques, d’emploi aujourd’hui disparues. Les formations superficielles d’un très grand nombre de régions tropicales sont représentées par des latérites. Celles-ci contiennent presque toujours du fer à l’état de limonite, d’une forte teneur en métal. Tel est le cas en Guinée où, à proximité de Konakry, donc d’un port outillé, existent des accumulations considérables de cette limonite. Longtemps l’existence du chrome dans le minerai fut considérée comme faisant obstacle à son utilisation ; mais les résultats fournis par de récents essais tendraient à montrer qu’il n’en est rien.

Un arrêt en gare de Kindia, dans le Fouta-Djallon, pour quelques randonnées environnantes qui permettront de visiter des coins de ce pays d’élevage : bœufs, moutons sans laine et chèvres. Les bœufs de petite taille de cette région ont toujours été réputés et constituaient la principale richesse des populations peulhs. De lustres en lustres, on constate une amélioration sensible du cheptel bovin : conseils donnés aux éleveurs, concours agricoles, primes, sacrifice des sujets mal venus, ont produit de bons résultats.

Non loin, ce qui reste du jardin d’essai de Dalaba, constitué au point choisi par l’éminent botaniste colonial Aug. Chevalier, longtemps laissé à l’abandon, et où l’on peut voir cependant de superbes quinquinas plantés sous sa direction.

Au Fouta, et plus encore dans la vallée nigérienne, on rencontre maintenant des attelages de bœufs labourant ou transportant. Des indigènes reconnus aptes furent envoyés dans des fermes de France pour apprendre le métier de bouvier et servir, à leur retour, de moniteurs. Le résultat ne se fit pas attendre, et plus nombreux chaque année sont les attelages qu’on aperçoit dans les champs. C’est là un gros progrès dû à la ténacité des agents du Service de l’Agriculture qui reçurent tout l’appui nécessaire des autorités administratives locales. L’espace ne manque pas, les productions agricoles s’étendront, l’enrichissement de l’indigène suivra, des besoins nouveaux naîtront, les conditions de la vie matérielle s’amélioreront — elles en ont besoin — une transformation matérielle et morale apparaîtra inévitablement. Dès l’autre versant du Fouta-Djallon, l’on est dans le Soudan géographique : même population, mêmes productions que dans la colonie du Soudan français. L’une mérite d’être signalée : celle de l’or, car elle représente la plus grosse extraction des colonies françaises. Quittons la voie ferrée à son arrivée au Niger à Kouroussa et gagnons en automobile, par une route convenable, le poste de Siguiri, chef-lieu du cercle (circonscription administrative) du même nom, à une centaine de kilomètres dans le Nord. Là, se trouve le centre d’extraction de l’or. L’exploitation de l’or à Siguiri est de date très ancienne, d’où des habitudes presque innées et une technique rudimentaire, mais certaine quant à ses résultats. Le mineur creuse, au moyen d’un pic spécial de sa fabrication, des puits verticaux cylindriques descendant jusqu’à la couche aurifère qui se trouve dans des terrains alluvionnaires à 8-10 mètres de profondeur. Des galeries sont percées pour permettre l’extraction de la plus grande quantité possible de terre aurifère ; celle-ci est remontée à la surface au moyen de calebasses et les femmes la lavent à la bâtée au marigot le plus proche. Tel est le procédé ancestral et qui n’a pas varié. Le travail est libre, il suffit de payer une patente. À la mine, il n’y a que des indigènes qui se livrent à l’achat de l’or. Rien de plus pittoresque que les marchés des placers avec leurs marchands ambulants, acheteurs d’or, bouchers, boulangers, tailleurs, vendeurs d’étoffes et de pacotilles. On ne travaille qu’en saison sèche, car il faut attendre que le niveau hydrostatique ait baissé pour permettre l’extraction sans danger, c’est-à-dire pendant une période de quatre mois.

Des essais entrepris, il y aune trentaine d’années, avec une machinerie moderne, ont dû être abandonnés. Il n’en reste plus que quelques excavatrices en train de se rouiller sur les bords du Tinkisso. Tandis que l’indigène, au contraire, réalise un bénéfice très appréciable pour lui, qui n’a guère de frais généraux et qui travaille avec plus d’ardeur à son compte que pour un employeur. L’organisation du travail est très simple : le chef de mine est assisté de surveillants appelés policiers qu’il a recrutés ; par leur intermédiaire, il donne des ordres pour creuser dans la direction où il estime empiriquement (pas de prospection réelle, basée autant sur des croyances fétichistes que sur des faits, allure du terrain, végétation, nature des roches de surface) que la couche de terre aurifère se prolonge, pour indiquer l’écartement des puits, faire puiser l’eau par tout le monde, régler les inévitables petits différends qui doivent être tranchés rapidement. D’après ses instructions, les mineurs opèrent par petits groupes, dont l’unité est le puits et qui nécessite généralement la présence de trois hommes et autant de femmes. Chacun est maître de son puits et de son emploi du temps. Le rôle du chef de mine se borne à donner des indications générales ; son autorité ne va pas plus loin ; elle est, comme on le voit, fort restreinte. Les abus ne peuvent pas se produire, car un chef de mine qui en commettrait se verrait aussitôt délaissé par les mineurs qui iraient s’employer dans une autre mine. Or, pour qu’une mine soit prospère, il faut qu’il y ait beaucoup de monde pour pouvoir puiser rapidement de l’eau, avoir un marché bien achalandé qui retienne les gens. Le chef de mine reçoit quelques cadeaux ; c’est lui qui répartit les puits ; et il a pour principal avantage de garder les meilleurs emplacements pour sa famille et ses amis. Cette méthode de travail, au dire de ceux qui la virent un certain temps fonctionner, qui concilie la liberté de travail et l’obligation de se conformer à certaines directives, donne les meilleurs résultats. Ils seraient encore plus satisfaisants, si les indigènes, au lieu de la bâtée, employaient le sluice. L’or trouvé par chaque indigène lui revient intégralement, il le vend, encore impur, au fur et à mesure de ses besoins.

Or, bananes, essence d’oranges sont les plus importantes productions de la Guinée. Ce ne sont pas les seules : elles sont encore du caoutchouc, des arachides en coques et décortiquées (elle a des possibilités très grandes à cet égard, aussi bien sur la côte que dans les champs soudaniens), de la cire du riz.

Ses populations sont essentiellement composées de cultivateurs et de pasteurs, les unes et les autres très sensibles au progrès ; preuves en sont l’amélioration qualitative du cheptel bovin et l’emploi des attelages de bœufs et de la charrue, qui s’étend d’année en année. Les coopératives mutuelles agricoles très prospères ont beaucoup fait amener ces progrès. Le développement économique a été facilité par le chemin de fer Konakry-Niger, qui, d’abord arrêté à Kouroussa, point où le Niger inférieur devient navigable aux grandes pirogues, a été poussé, à l’intérieur de la boucle du grand fleuve, jusqu’à Kantan, autrefois important marché de caoutchouc, de lianes, qui connaît encore une belle activité. Le Niger, si imposant dans son cours moyen entièrement en territoire français, coupé de nombreux seuils dont quelques-uns d’aspect grandiose, prend sa source dans le Fouta-Djallon : elle est minuscule, cette source de quelques mètres carrés. En dehors de sa voie ferrée, la Guinée possède un réseau routier assez développé, permettant la circulation automobile dans toutes les parties de la colonie ; quelques-unes même ont été remarquablement construites. À noter que les voitures automobiles rencontrées sont, en forte majorité, de marque française, comme dans l’ensemble de l’Afrique occidentale, d’ailleurs. La Guinée est solidement armée au point de vue économique. C’est la constatation encourageante qui s’impose. Son mouvement commercial est en croissance : tant en valeurs qu’en tonnage. Cette progression intéresse surtout les produits exportés. La France reste de loin le meilleur client de la Guinée et le plus actif fournisseur. La situation est donc satisfaisante. Il suffit de parcourir la colonie, de comparer son activité actuelle à celle de quelques années antérieures, pour se rendre compte des progrès accomplis dans tous les domaines. Il y a quelque quinze ans, les planteurs, qui avaient constitué leurs superbes bananeraies au prix des plus grands efforts, ne pouvaient écouler leurs fruits, faute de possibilité d’entreposer à Konakry, faute des aménagements spéciaux indispensables sur les bateaux susceptibles de transporter les bananes ; ils ont maintenant à leur disposition un entrepôt réfrigéré sur les quais du port et une véritable flotte bananière. En une quinzaine d’années, le réseau routier a été largement développé. Depuis dix ans, l’agriculture indigène (cheptel, coopératives agricoles, emploi du bétail à la traction, instruments aratoires) a singulièrement évolué, et évolue tous les jours. Le mouvement commercial est en croissance. La situation matérielle et morale des indigènes s’améliore nettement, le chiffre de la population augmente. La Guinée est cependant loin d’avoir atteint ses possibilités.

J. FRANÇOIS.

Le Chasseur Français N°595 Janvier 1940 Page 32