Quittons la côte pour gagner l’intérieur par le chemin de
fer de Konakry au Niger (662 km.). Aux portes de la capitale, pourrait-on dire,
exploitation du minerai de fer, longtemps dédaigné en raison de difficultés
techniques, d’emploi aujourd’hui disparues. Les formations superficielles d’un
très grand nombre de régions tropicales sont représentées par des latérites.
Celles-ci contiennent presque toujours du fer à l’état de limonite, d’une forte
teneur en métal. Tel est le cas en Guinée où, à proximité de Konakry, donc d’un
port outillé, existent des accumulations considérables de cette limonite.
Longtemps l’existence du chrome dans le minerai fut considérée comme faisant
obstacle à son utilisation ; mais les résultats fournis par de récents
essais tendraient à montrer qu’il n’en est rien.
Un arrêt en gare de Kindia, dans le Fouta-Djallon, pour
quelques randonnées environnantes qui permettront de visiter des coins de ce
pays d’élevage : bœufs, moutons sans laine et chèvres. Les bœufs de petite
taille de cette région ont toujours été réputés et constituaient la principale
richesse des populations peulhs. De lustres en lustres, on constate une
amélioration sensible du cheptel bovin : conseils donnés aux éleveurs,
concours agricoles, primes, sacrifice des sujets mal venus, ont produit de bons
résultats.
Non loin, ce qui reste du jardin d’essai de Dalaba,
constitué au point choisi par l’éminent botaniste colonial Aug. Chevalier,
longtemps laissé à l’abandon, et où l’on peut voir cependant de superbes
quinquinas plantés sous sa direction.
Au Fouta, et plus encore dans la vallée nigérienne, on
rencontre maintenant des attelages de bœufs labourant ou transportant. Des
indigènes reconnus aptes furent envoyés dans des fermes de France pour
apprendre le métier de bouvier et servir, à leur retour, de moniteurs. Le
résultat ne se fit pas attendre, et plus nombreux chaque année sont les
attelages qu’on aperçoit dans les champs. C’est là un gros progrès dû à la
ténacité des agents du Service de l’Agriculture qui reçurent tout l’appui
nécessaire des autorités administratives locales. L’espace ne manque pas, les
productions agricoles s’étendront, l’enrichissement de l’indigène suivra, des
besoins nouveaux naîtront, les conditions de la vie matérielle s’amélioreront — elles
en ont besoin — une transformation matérielle et morale apparaîtra
inévitablement. Dès l’autre versant du Fouta-Djallon, l’on est dans le Soudan
géographique : même population, mêmes productions que dans la colonie du
Soudan français. L’une mérite d’être signalée : celle de l’or, car elle
représente la plus grosse extraction des colonies françaises. Quittons la voie
ferrée à son arrivée au Niger à Kouroussa et gagnons en automobile, par une
route convenable, le poste de Siguiri, chef-lieu du cercle (circonscription
administrative) du même nom, à une centaine de kilomètres dans le Nord. Là, se
trouve le centre d’extraction de l’or. L’exploitation de l’or à Siguiri est de
date très ancienne, d’où des habitudes presque innées et une technique
rudimentaire, mais certaine quant à ses résultats. Le mineur creuse, au moyen d’un
pic spécial de sa fabrication, des puits verticaux cylindriques descendant
jusqu’à la couche aurifère qui se trouve dans des terrains alluvionnaires à
8-10 mètres de profondeur. Des galeries sont percées pour permettre l’extraction
de la plus grande quantité possible de terre aurifère ; celle-ci est
remontée à la surface au moyen de calebasses et les femmes la lavent à la bâtée
au marigot le plus proche. Tel est le procédé ancestral et qui n’a pas varié.
Le travail est libre, il suffit de payer une patente. À la mine, il n’y a que
des indigènes qui se livrent à l’achat de l’or. Rien de plus pittoresque que
les marchés des placers avec leurs marchands ambulants, acheteurs d’or,
bouchers, boulangers, tailleurs, vendeurs d’étoffes et de pacotilles. On ne
travaille qu’en saison sèche, car il faut attendre que le niveau hydrostatique
ait baissé pour permettre l’extraction sans danger, c’est-à-dire pendant une
période de quatre mois.
Des essais entrepris, il y aune trentaine d’années, avec une
machinerie moderne, ont dû être abandonnés. Il n’en reste plus que quelques
excavatrices en train de se rouiller sur les bords du Tinkisso. Tandis que l’indigène,
au contraire, réalise un bénéfice très appréciable pour lui, qui n’a guère de
frais généraux et qui travaille avec plus d’ardeur à son compte que pour un
employeur. L’organisation du travail est très simple : le chef de mine est
assisté de surveillants appelés policiers qu’il a recrutés ; par leur
intermédiaire, il donne des ordres pour creuser dans la direction où il estime
empiriquement (pas de prospection réelle, basée autant sur des croyances
fétichistes que sur des faits, allure du terrain, végétation, nature des roches
de surface) que la couche de terre aurifère se prolonge, pour indiquer l’écartement
des puits, faire puiser l’eau par tout le monde, régler les inévitables petits
différends qui doivent être tranchés rapidement. D’après ses instructions, les
mineurs opèrent par petits groupes, dont l’unité est le puits et qui nécessite
généralement la présence de trois hommes et autant de femmes. Chacun est maître
de son puits et de son emploi du temps. Le rôle du chef de mine se borne à
donner des indications générales ; son autorité ne va pas plus loin ;
elle est, comme on le voit, fort restreinte. Les abus ne peuvent pas se
produire, car un chef de mine qui en commettrait se verrait aussitôt délaissé
par les mineurs qui iraient s’employer dans une autre mine. Or, pour qu’une
mine soit prospère, il faut qu’il y ait beaucoup de monde pour pouvoir puiser
rapidement de l’eau, avoir un marché bien achalandé qui retienne les gens. Le
chef de mine reçoit quelques cadeaux ; c’est lui qui répartit les puits ;
et il a pour principal avantage de garder les meilleurs emplacements pour sa
famille et ses amis. Cette méthode de travail, au dire de ceux qui la virent un
certain temps fonctionner, qui concilie la liberté de travail et l’obligation
de se conformer à certaines directives, donne les meilleurs résultats. Ils seraient
encore plus satisfaisants, si les indigènes, au lieu de la bâtée, employaient
le sluice. L’or trouvé par chaque indigène lui revient intégralement, il le
vend, encore impur, au fur et à mesure de ses besoins.
Or, bananes, essence d’oranges sont les plus importantes
productions de la Guinée. Ce ne sont pas les seules : elles sont encore du
caoutchouc, des arachides en coques et décortiquées (elle a des possibilités
très grandes à cet égard, aussi bien sur la côte que dans les champs
soudaniens), de la cire du riz.
Ses populations sont essentiellement composées de
cultivateurs et de pasteurs, les unes et les autres très sensibles au progrès ;
preuves en sont l’amélioration qualitative du cheptel bovin et l’emploi des
attelages de bœufs et de la charrue, qui s’étend d’année en année. Les
coopératives mutuelles agricoles très prospères ont beaucoup fait amener ces
progrès. Le développement économique a été facilité par le chemin de fer Konakry-Niger,
qui, d’abord arrêté à Kouroussa, point où le Niger inférieur devient navigable
aux grandes pirogues, a été poussé, à l’intérieur de la boucle du grand fleuve,
jusqu’à Kantan, autrefois important marché de caoutchouc, de lianes, qui
connaît encore une belle activité. Le Niger, si imposant dans son cours moyen
entièrement en territoire français, coupé de nombreux seuils dont quelques-uns
d’aspect grandiose, prend sa source dans le Fouta-Djallon : elle est
minuscule, cette source de quelques mètres carrés. En dehors de sa voie ferrée,
la Guinée possède un réseau routier assez développé, permettant la circulation
automobile dans toutes les parties de la colonie ; quelques-unes même ont
été remarquablement construites. À noter que les voitures automobiles
rencontrées sont, en forte majorité, de marque française, comme dans l’ensemble
de l’Afrique occidentale, d’ailleurs. La Guinée est solidement armée au point
de vue économique. C’est la constatation encourageante qui s’impose. Son
mouvement commercial est en croissance : tant en valeurs qu’en tonnage.
Cette progression intéresse surtout les produits exportés. La France reste de
loin le meilleur client de la Guinée et le plus actif fournisseur. La situation
est donc satisfaisante. Il suffit de parcourir la colonie, de comparer son
activité actuelle à celle de quelques années antérieures, pour se rendre compte
des progrès accomplis dans tous les domaines. Il y a quelque quinze ans, les
planteurs, qui avaient constitué leurs superbes bananeraies au prix des plus
grands efforts, ne pouvaient écouler leurs fruits, faute de possibilité d’entreposer
à Konakry, faute des aménagements spéciaux indispensables sur les bateaux
susceptibles de transporter les bananes ; ils ont maintenant à leur
disposition un entrepôt réfrigéré sur les quais du port et une véritable flotte
bananière. En une quinzaine d’années, le réseau routier a été largement
développé. Depuis dix ans, l’agriculture indigène (cheptel, coopératives
agricoles, emploi du bétail à la traction, instruments aratoires) a
singulièrement évolué, et évolue tous les jours. Le mouvement commercial est en
croissance. La situation matérielle et morale des indigènes s’améliore
nettement, le chiffre de la population augmente. La Guinée est cependant loin d’avoir
atteint ses possibilités.
J. FRANÇOIS.
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