Le moût ou jus de pommes subit une première fermentation
dite tumultueuse : la première condition pour qu’elle soit bonne, c’est qu’elle
s’établisse promptement ; la seconde, c’est qu’elle soit rapide. Elle
apparaîtra quatre ou cinq jours après l’entonnage et durera huit à dix jours.
Lorsque, à la ferme, la fermentation d’un jus tarde trop à
se déclarer, il y a trois moyens généraux de l’activer :
1° par l’addition d’un levain ou d’un sel nutritif ;
2° par le relèvement de la température ;
3° par le cuvage du jus sur de la pulpe fraîche.
Addition d’un sel nutritif ou d’un levain.
— Comme la cause du retard de la fermentation peut être
due à l’insuffisance de nutrition azotée et minérale des ferments naturels du
moût, il faut d’abord y suppléer par l’addition, par hectolitre, de 10 grammes
de phosphate neutre d’ammoniaque. On dissout ce sel dans dix fois son poids d’eau
potable, on verse la solution dans le jus, et on fouette vigoureusement durant
cinq minutes, deux fois par jour, pendant quatre jours.
En cas d’insuccès, on peut, si l’on a des pommes, préparer
avec elles un levain de la façon suivante : on choisit des pommes très
saines et très propres en quantité suffisante pour recueillir 25 litres de jus,
si l’on ne veut faire fermenter que 500 litres environ. On broie et presse les
pommes dans des appareils lavés, auparavant, plusieurs fois à l’eau bouillante.
On verse les 25 litres dans un grand seau en bois, lavé de la même manière (ou
encore dans une bonbonne en verre) ; on y fait dissoudre 8 grammes de
phosphate neutre d’ammoniaque, on fouette vivement, on recouvre avec une toile
très propre et on maintient le seau dans un endroit chaud, 20 degrés si
possible.
Il est utile, pour hâter la fermentation, de brasser le
levain à plusieurs reprises. Celle-ci commence au bout de deux à trois jours
et, quand elle est en pleine activité, on verse le levain dans 50 litres de jus
non fermenté, qu’on a entonné dans un petit fût placé dans un endroit chaud ;
on brasse plusieurs fois par jour. Lorsque ces 75 litres fermentent à leur
tour, on les introduit dans le tonneau renfermant les 450 litres restants, où
on les mélange.
Relèvement de la température.
— Si c’est la température qui fait défaut, on y remédie
par le relèvement de 1 à 2 degrés de celle du jus retardataire :
1° en soutirant une partie de ce jus dans une cuve ou un
baquet et en y plongeant des cruchons de grès de 10 litres, qui, remplis d’eau
bouillante, peuvent élever de 6 degrés la température d’un hectolitre de cidre ;
2° en chauffant dans des chaudières en cuivre une certaine
quantité de cidre entre 60 et 65 degrés, mais non au delà, pour ne pas lui
communiquer le goût de cuit et en le mélangeant au reste par fouettage ;
3° en chauffant seulement le local au moyen d’un brasero
jusqu’à ce que l’augmentation des deux degrés ait été atteinte dans le jus.
Cuvage du jus sur la pulpe fraiche.
— On écrase, pour chaque hectolitre, 10 kilos de pommes
environ, on met la pulpe dans une cuve, on verse dessus le plus possible de jus
retardataire ; on laisse cuver vingt-quatre à trente-six heures, en
pelletant la masse trois fois pendant ce temps ; on exprime fortement et
on mélange ce nouveau jus à l’ancien par un fouettage de cinq minutes, réitéré
deux fois en vingt-quatre heures pendant quatre jours ou jusqu’à l’apparition
de la fermentation. Ce procédé a l’avantage de retenir souvent le goût
défectueux que l’ancien jus peut avoir.
Lorsque, par l’un ou l’autre procédé, la fermentation sera
devenue régulière, il sera bon, pour empêcher qu’elle ne marche trop vite, de
refroidir progressivement la cuve, car la qualité du cidre en serait diminuée :
le cidre fin et bouqueté n’est obtenu que par une fermentation normale, à basse
température. C’est pour cette raison que nous conseillons d’employer, de
préférence, le premier ou le troisième procédé.
Les tonneaux, lors de la première fermentation, ne seront
remplis que jusqu’à 5 à 10 centimètres de la bonde, afin d’avoir la
fermentation en dedans. Ce procédé est le plus propre, mais demande une
surveillance spéciale, car, faute de soutirer en temps voulu, le chapeau
retombe dans le jus et le trouble. Si l’on emplit les fûts, on a la
fermentation en dehors, par suite de laquelle l’écume, sortant par la bonde,
salit les tonneaux et locaux et peut contaminer les locaux.
Dès que cette fermentation tumultueuse est terminée, le
cidre doit subir un premier transvasement appelé débourbage, qui sera effectué
par un temps sec, clair et froid, autant que possible.
On se rend compte de la fin de la fermentation au moyen d’un
densimètre, petit instrument qui devrait se trouver dans toutes les fermes ;
si un jus, qui pesait au début 1.050 à 1.060, ne donne plus que 1.028 à 1.035,
il est grand temps de débourber. On soutire au siphon, dans des fûts propres et
méchés, qui ne sont ouverts qu’au moment du remplissage.
L. LANEUVILLE.
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