Chasser le renard à tir est un utile et agréable
divertissement ; mais, comme il s’agit d’un animal qui possède des
retraites sous terre, le plus souvent inviolables, il est nécessaire, pour
réussir, de boucher tous les terriers la veille de la chasse ; que l’on
courre ou que l’on fusille, il faut dans les deux cas qu’il y ait une fin, soit
que l’animal tombe sous la dent des chiens, soit qu’un tireur le tue ; or,
une gueule de terrier oubliée fait manquer la chasse.
La veille du jour choisi, un homme connaissant bien le
terrain, — c’est-à-dire le plus souvent le garde — ira carter
les terriers. Il est inutile, en effet, d’obturer les gueules avec des fagots
ou par tout autre moyen : c’est une perte de temps et si, par hasard, un
animal était au trou, il n’oserait ou ne pourrait pas sortir ; il faut
éviter cela, car à la chasse à tir on n’a jamais trop de gibier. Il est plus
simple de mettre au-dessus des gueules de grandes feuilles de papier blanc, ou
de journal, le renard ne les voit pas en sortant ; mais, s’il est dehors
et qu’il veuille regagner sa demeure, les taches claires de ces papiers lui
feront l’effet d’autant de pièges qu’il évitera ; il ira se rembûcher en
quelque fort où nous pourrons le lancer au matin.
Si l’on veut tuer dès l’attaque, les tireurs entoureront en
silence une grande enceinte, un de ces endroits où les renards ont coutume de
se tenir et que l’expérience des vieux chasseurs indique comme d’excellentes
demeures ; lorsque tous seront postés, qu’ils seront prêts, attentifs,
silencieux et ... « inodores » (ceci pour dire que les pipes,
cigares ou cigarettes doivent être réservés pour un autre moment), l’homme
chargé de conduire les chiens découplera au bord de l’enceinte, de façon qu’il
puisse fouler avec le petit équipage en le menant à bon vent. C’est une chance
de plus pour que les chiens éventent facilement une voie.
Il s’en ira donc, battant le bois en zig-zag, appuyant de la
voix, afin de tenir ses chiens groupés autour de lui pour les surveiller, les
diriger et les arrêter, au besoin, si quelques jeunes conscrits faisaient
bondir un animal d’une autre espèce qu’on ne doit pas chasser.
Là encore, comme à la chasse à courre, c’est le plus souvent
un rapprocher qui précédera le lancer. Ce concert harmonieux rendra tous les
tireurs anxieux et la venue silencieuse du renard, son bond léger quand il
sautera une allée, ou sa fuite rampante quand il se faufilera dans un fossé, ne
surprendront point le plus souvent les chasseurs.
Le vieux praticien a choisi soigneusement son poste, il
s’est placé le ventre au bois, sur une allée, à proximité d’une coulée bien
frayée qui lui paraît fréquentée par les puants ; dissimulé derrière une
cépée, il se tient immobile et surveille aussi un fossé à demi recouvert de
ronces qui coupe l’enceinte. Le renard est un animal possédant d’excellents
yeux, de non moins bonnes oreilles, et surtout un odorat exquis. Si l’on veut
tirer, il faut s’en souvenir.
Mais, au récri des rapprocheurs et des hommes qui foulent,
un renard a vidé l’enceinte. Un coup de fusil bien dirigé lui a fait effectuer
son ultime cabriole ; au même instant, les chiens donnent à pleine gueule
et un second renard saute à son tour, salué de deux cartouches qui ne font
qu’accélérer sa fuite : ce sont des choses qui arrivent, car la queue ne
compte pas, il faut s’en souvenir aussi ... Et le matois qui bondit n’est
pas toujours l’animal de meute.
La chasse va se dérouler comme nous le disions dans notre
précédente causerie. Nos chasseurs vont donc s’égayer suivant leurs
inspirations et leur degré de science cynégétique. Certains iront se poster
auprès des terriers, se doutant bien qu’au cours de sa randonnée Maître Goupil
pourrait y faire un tour. D’autres occuperont certains bons passages qu’ils
connaissent et qui se trouvent sur les routes forestières que les animaux
tracent dans les bois ; quelques-uns suivront la chasse, espérant que dans
un crochet ils pourront tirer leur animal ; tout cela est fort bien, à
condition de prendre les mêmes précautions que celles que nous gardions au lancer,
c’est-à-dire le silence et l’immobilité.
Parfois un renard randonne dans un petit canton ; il
vient passer à quelque endroit tranquille et vous vous en rendez compte, sans
pouvoir le tirer ; gardez ce poste, il est excellent, le matois que rien
n’a troublé viendra sans doute y repasser et vous pourrez le saluer à votre
aise.
La chasse à tir, nous l’avons dit bien des fois, est
pratiquée par des piétons et, comme tels, ces piétons doivent pouvoir suivre,
servir les chiens si besoin en est, et même gagner les devants par quelques
raccourcis, afin de pouvoir tirer l’animal lancé. Si, à un certain âge et pour
quelques individus privilégiés, il est possible de suivre des chiens
relativement rapides, dans la norme et pour l’agrément de la majorité, il faut que
la meute de chiens de chasse à tir soit plutôt lente ; pour le renard
encore plus, car, les défauts étant inexistants, il ne faut plus compter sur
les balancers immanquables de la chasse du lièvre, par exemple, pour pouvoir
espérer reprendre contact avec le petit équipage. Les chiens destinés à chasser
le renard à tir doivent donc être choisis parmi les races de pied moyen. Le
plaisir de la chasse en est doublé ; chargé de ses impedimenta de coureur
des bois : fusil, corne, fouet, sac à cartouches imperméable, cuissard,
etc., le chasseur si lourdement harnaché ne progresse qu’avec peine à travers
les allées défoncées et boueuses, les sentiers glissants, les coupes ou les
gaulis ; il lui serait bien difficile d’y soutenir, les coudes au corps,
une de ces allures de cross que quelques fanatiques chasseurs de lièvre gardent
pendant des heures, quand ... ils sont jeunes et en plaine.
Pas trop bousculé par cette meute plus bruyante que
menaçante, un renard se fera promener dans ses cantons habituels sans chercher
le grand parti ou le débucher qui laissent pantois toute l’assemblée des
tireurs.
Il est assez facile de créancer des chiens dans la voie du
renard ; généralement ils le chassent tous volontiers et certains y
deviennent enragés. Il est probable que vous avez dû entendre dire souvent
qu’il était peu recommandable de faire chasser ce puant par des chiens de
lièvre ; cela leur gâtait le nez, et ils y prenaient de fort mauvaises
habitudes. Pour ma part, je n’ai jamais remarqué semblable inconvénient ;
il fut un temps où l’on spécialisait les chiens à outrance : sortis de
leur animal habituel, ils ne voulaient rien savoir. Je ne nie pas que, pour
certaines races, cela soit la bonne méthode ; mais, d’accord avec bien des
vieux maîtres, je crois qu’un bon chien doit chasser l’animal qu’on lui
donne. Il me souvient qu’un équipage, jeune équipage alors puisque formé
seulement depuis quatre ou cinq ans, venait de prendre dans sa saison 45 cerfs,
les 20 derniers de suite sans en manquer un ; pour occuper le mois d’avril,
la chasse, du cerf étant fermée dans ce département depuis le 31 mars, le
maître d’équipage résolut de courir des sangliers, dans la même forêt où il
venait de prendre ses cerfs ; j’assistais à la première chasse ;
froids d’abord, les quarante poitevins ne criaient que peu derrière deux ou
trois anglais qui emmenaient un bon ragot, mais bien soutenus par leur maître
et son piqueux, ils se mirent à bourrer et prirent leur animal de volée en
quatre heures et demi. Ce succès fut répété, puisque sept autres sangliers
furent pris dans ce même mois d’avril.
Tout cela pour dire que de bons chiens de chasse à tir
peuvent très bien chasser le renard. Il est évident que, si on opère dans des
bois très vifs et qu’on veuille attaquer à coup sûr, on pensera acquérir
quelque vieux chien de créance, sortant d’un équipage, et uniquement dans la
voie du renard. Je dois dire aussi que, dans la pratique, les résultats ne sont
pas toujours encourageants. Ce vieux chien, séparé de ses camarades, foule le
plus souvent sans enthousiasme, il est peu lanceur et, à part des exceptions,
on attend des journées entières le récri du vaillant limier ! Les
chasseurs à bout de patience décident à la fin de tout découpler à la suite de
ce mentor, et on s’aperçoit un beau jour que le fameux chien chasse comme un
voleur, avec tout le lot, quelque lièvre, brocard ou lapin, dont il rêvait,
depuis si longtemps, goûter la voie.
Nous l’avons dit, il est facile d’attaquer un renard quand
on connaît son terrain. Avec une meute sans expérience, il est prudent de
découpler de très bonne heure pour tomber sur des voies d’excellente qualité.
Au début, on foulera avec la meute dans des forts difficiles : ajoncs,
grands genêts, fourrés de ronces ou d’épines ; d’abord les chiens, ayant
peine à passer, seront plus faciles à tenir et à surveiller. Quand mes griffons
étaient un peu chauds et que je craignais des bêtises, c’est toujours dans une
enceinte comme celle-là où je les faisais débuter : au bout d’une
demi-heure, tout le monde était calme ! ... Ensuite, il est rare que,
dans ces forts, on trouve autre chose que renard ou sanglier, parfois un
lièvre ; mais dans ce cas on arrête et on recommence. Car, en matière de
vénerie, il n’y a rien d’absolu, il n’y a de certain que l’imprévu ...
Dans ces premières sorties, les hommes qui conduisent les
chiens devront les appuyer plus vigoureusement que de coutume et de la voix, et
de la trompe s’ils font usage de cet instrument qui est cependant plus gênant
qu’utile pour des piétons. Tout ce bruit a pour but d’inquiéter le renard et de
lui faire quitter sa reposée ; de cette façon, les chiens croisant une
voie chaude partiront dessus plus volontiers, et c’est ce que nous cherchons.
La chasse du renard est la plus facile de toutes : tout
animal lancé est tué, s’il ne se terre. Avec lui point de ces défauts qui font
perdre au bout d’une heure un lièvre ou un chevreuil. La menée est régulière,
bruyante, ininterrompue, et immanquablement le renard est tiré.
Ce passe-temps est de plus fort utile : il permet de
détruire des fauves redoutables pour le gibier et les basses-cours ; les
chasseurs qui s’y adonnent se font fort bien voir des cultivateurs
voisins ; il se noue là de bonnes et franches amitiés et les rapports de
bon voisinage y sont améliorés de beaucoup.
Toutes choses qui ne peuvent que nous inciter dans les mois
d’hiver et de début de printemps à houspiller ces renards qui vous donneront,
j’espère, autant de plaisir que celui qu’ils m’ont donné si souvent.
Guy HUBLOT.
(1) Voir no 595.
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