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Élevage du gibier

Instinct maternel chez les perdrix.

L’on peut citer beaucoup de cas dans lesquels la fibre maternelle de la perdrix vibre d’une façon qui nous charme, et dont un des plus anciens exemples est donné par le bon La Fontaine, dans une de ses fables :

      Quand la perdrix.
      Voit ses petits
    En danger et n’ayant qu’une plume nouvelle
    Qui ne peut fuir encor, par les airs, le trépas,
    Elle fait la blessée et va tirant de l’aile,
    Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,
    Détourne le danger, sauve ainsi sa famille
    Et puis, quand le chasseur croit que son chien la pille,
    Elle lui dit adieu, prend sa volée et rit
    De l’homme qui, confus, des yeux en vain la suit.

Nous allons citer d’autres cas que nous avons personnellement observés.

Le désir intense qu’a la perdrix, dans sa fièvre d’incubation, de voir naître rapidement les jeunes qu’elle est occupée à couver, peut être néfaste à la réussite de cette couvée.

Si, à ce moment, vous placez près de son nid un jeune de deux ou trois jours, il appelle la perdrix par ses cris. Celle-ci abandonne tous ses œufs pour soigner ce petit égaré. Lors de notre dernière observation, il y eut ainsi dix-huit œufs perdus.

Cela oblige à de grandes précautions, quand on construit les petits parquets pour la reproduction des perdrix sauvages. Il faut que les plaques de fibre-ciment placées au bas de chaque clôture soient bien posées sur le sol, et qu’il n’y ait aucun intervalle en dessous.

Les jeunes perdreaux, après quarante-huit heures, trottent comme des souris et, s’ils trouvent un passage pour aller dans le parquet voisin, il leur est généralement impossible de le retrouver pour revenir sous l’aile de leurs parents. Si la perdrix voisine est en couvaison et quitte son nid, c’est alors un désastre pour sa propre incubation.

Un autre exemple de l’instinct des perdrix, c’est le soin qu’elles mettent à recouvrir leur nid d’un matelas d’herbes et de brindilles pendant la durée de la ponte.

Nous trouvant un jour chez un grand chasseur qui avait fait construire un parc de reproduction des perdrix, nous demandions en arrivant auprès des parquets, au début du mois de mai, combien il avait déjà de perdrix en ponte.

« Deux », répondit le garde ; et il nous montra dans deux parquets ce que nous appelons un œuf perdu. Ce sont les œufs que les perdrix pondent sans avoir fait de nid, et c’est généralement le fait de perdrix pondant pour la première fois. Visitant alors quelques parquets pour voir s’il y avait des préparations de nids, car certaines perdrix creusent le terrain plusieurs jours avant d’y pondre, nous vîmes, dans un parquet, le matelas de brindilles révélateur d’un nid. Le leur ayant montré à distance, le garde ainsi que son maître déclarèrent ne rien voir, et il fallut lever le petit matelas pour leur faire constater en dessous un nid de six œufs et dans les mêmes conditions dans un autre parquet un nid de quatre œufs.

Ce fait est courant, et l’on peut être assuré que c’est grâce à cela si la perdrix est encore abondante en France, car, avec le nombre de pies et de corbeaux qui pullulent, tous les œufs, sans cette précaution de la nature, seraient rapidement enlevés.

L’on s’est souvent demandé si les animaux avaient entre eux un langage et, pour notre part, nous pensons que, non seulement cela n’est pas douteux, mais qu’en outre, chaque espèce a un langage différent de l’espèce voisine. Nous en voyons la preuve dans le fait suivant observé bien des fois dans l’élevage des perdrix.

On sait que, dans certaines propriétés, l’on ramasse les œufs mis à découvert à la fauchaison et qu’on les donne à couver à des poules de ferme.

Quand les œufs sont éclos, la poule les élève comme de petits poulets, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas sauvages et viennent manger à vos pieds.

Au contraire, dans un parquet de perdrix sauvages, les jeunes, dès qu’ils entendent un certain cri poussé par les parents, s’aplatissent au sol et n’en bougent pas tant qu’un autre cri ne soit venu leur en donner la permission.

Dans les deux cas cependant, les œufs sont d’origine sauvage et, si les jeunes agissaient d’instinct, ils devraient avoir le même comportement devant l’homme, ce qui n’est pas.

C’est pourquoi nous fîmes l’essai suivant :

Une perdrix couvait 18 œufs depuis vingt jours. Nous lui prîmes 9 œufs qui furent mis à couver sous une poule de ferme, en attente sur des œufs de poule.

Les œufs éclorent en même temps et, à deux jours, nous donnions aux neuf perdreaux, élevés par la poule de ferme, de la nourriture qu’ils prirent sans s’effaroucher.

Dans le parquet au contraire, les jeunes perdreaux, rasés au sol à notre approche, ne bougèrent plus jusqu’à notre départ.

Nous devons ajouter que cette expérience répétée donna toujours les mêmes résultats, et nous pensons que c’est pendant le bêchage de l’œuf que la mère perdrix fait l’éducation de ses jeunes.

En effet, pendant ce temps, le jeune dans sa coquille émet une sorte de piaillement auquel répond sans cesse la perdrix.

Comme dernier exemple d’instinct maternel, rappelons que l’adoption des perdreaux par des perdrix mâles et femelles qui ne les ont pas couvés est basée sur leur très grand désir d’élever des jeunes et, s’ils n’en ont pas obtenus par le moyen ordinaire, ils sont tout disposés à adopter et élever ceux qu’on voudra leur présenter. Cette façon de faire, qui permet le sauvetage de bien des œufs lors de la fauchaison, présente sur l’élevage à la poule le très grand avantage de coûter peu, tout en étant d’un résultat plus certain, puisqu’on forme ainsi de petites compagnies qui, remises en liberté aux champs, s’élèvent seules, alors que l’élevage avec la poule exige une grande dépense de nourriture et de nombreux soins.

Cependant, pour employer le premier moyen, il faut, avec prévoyance, avoir gardé en parquet des perdrix sauvages depuis l’hiver jusqu’au mois de mai, car, à cette époque, il est presque impossible d’en acquérir.

Pour ceux qui veulent sauver des œufs récoltés à la fauchaison, mais qui n’ont pas mis en réserve des adopteurs, il ne reste que la ressource de mettre les œufs à couver sous des poules de ferme et de les faire élever jusqu’à l’âge adulte par ces poules qui les ont fait naître.

René DANNIN,

Expert en agriculture (chasse gibier) près les Tribunaux.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 75