Le chien

Le Braque de l’Ariège est demeuré ce qu’il était il y a trente ans : un animal lourd, viandeux, à la peau très abondante, beaucoup trop abondante. On peut le considérer sans hésitation comme le plus massif et le plus lourd de nos Braques. Ce chien d’arrêt, que certains considèrent, non sans quelques raisons, comme un modèle d’un autre âge, était presque toujours marqué de marron en tête et, plus rarement, d’orange. Cette dernière couleur est devenue la préférée ; l’autre aujourd’hui est de plus en plus rare. Le corps est très peu taché, ou point du tout. Dans l’ensemble, c’est un fort bel animal, très plaisant ; mais qu’est-il au juste, aujourd’hui surtout ? La couleur orange n’est pas une couleur de Braque, Je veux dire de Braque de France. Certains m’objecteront, je m’y attends, que c’est cependant la robe de notre Braque de Saint-Germain. Nous sommes d’accord ; seulement, j’ai l’habitude d’appeler les choses par leur nom ; j’appelle un chat un chat, et un Braque un Braque. Or, si on laisse à ce mot toute sa véritable valeur, il faut bien reconnaître que le Saint-Germain n’est pas un Braque ; c’est un demi-Braque, un 50 p. 100, un anglo : la différence est grande. Et c’est pourquoi je crois le chien de l’Ariège actuel beaucoup moins Braque qu’il le fut jadis.

Certes, les très jolis Braques royaux immortalisés par les peintures d’Oudry et de quelques autres étaient tachés d’orange ; bien des auteurs se sont plu à nous le dire et répéter bien souvent ; mais à cela j’ajouterai ce qu’ils ont toujours omis, à savoir que ce n’étaient pas des Braques de France : ils venaient d’Italie. Donc, chez un Braque, cette couleur est nettement caractéristique d’un croisement.

Définir ce croisement est assez délicat, je veux dire chez l’Ariégeois, car, pour le Saint-Germain, l’hésitation n’est pas permise. On peut cependant remarquer chez le Braque d’Ariège des signes révélateurs, des indications qui ne trompent pas. Et d’abord ce chien est loin d’avoir toutes les caractéristiques du Braque : le fouet incite, malgré tout, à un rapprochement ; il est souvent beaucoup trop distingué pour un Braque ; il fait penser, malgré soi, au Saint-Germain et aussi parfois, pourquoi ne pas le dire ? au Pointer lui-même. Sa silhouette aussi s’éloigne du gabarit de notre bon paysan de Braque. Et puis, il y a encore cette peau lâche, si lâche ! Ah ! je vous garantis qu’elle ne vient pas du Pointer celle-là ; mais la forme, la tournure et l’attache de l’oreille pourraient utilement vous compléter l’explication.

Ce qui est bien sûr, c’est que, depuis trente ans environ, la race est très nettement en baisse, et il n’est pas téméraire de dire qu’elle est en voie de disparition. La cause de qui ? de quoi ? Est-ce la disparition du très remarquable Club Gaston-Phœbus qui a tant fait pour les races de chiens d’Ariège courants et d’arrêt ? La race a-t-elle disparu proprio motu, par le fait seul de ses imperfections ? N’est-ce point aussi la malencontreuse infusion de sang pointer reconnue nettement néfaste ? Dick Duck et quelques autres en ont fourni la preuve. Peut-être aussi quelque autre croisement que je ne citerai pas. Car, je ne saurais trop le répéter, le Braque et bien d’autres ne supportent pas l’infusion de sang étranger. Ce système étouffe la race et crée le bâtard. Une race mauvaise doit être abandonnée. Dans le cas contraire, la sélection est là. Je sais que c’est une œuvre délicate et de longue haleine, mais la réussite est au bout.

La race qui nous occupe méritait-elle un si long travail ? Certes, les Verrier, les Baillet, les Cerfons et autres l’ont couverte d’éloges, en ont fait un super-chien. Mais tous ces cynophiles étaient complètement étrangers au pays et n’avaient connu de la race que quelques rares spécimens plus ou moins frelatés. Pour juger une race, il faut la bien connaître et l’avoir suivie de près, dans son pays. Aucun de ces messieurs ne connaissait notre véritable Braque français du Sud-Ouest, compatriote de l’Ariégeois dans les Pyrénées Centrales. La comparaison de ces deux chiens était dure pour le premier. Il y eut cependant quelques bons Braques d’Ariège ; il y eut surtout des veaux et des chiens méchants. Du reste, ceux qui, en chasse, firent montre de quelques qualités, ne sortaient pas d’une honnête moyenne, sans plus.

De leur endurance, il y a assez peu à dire : ce sont des chiens mous, ultra-mous, et ce n’est pas dans ce tempérament qu’il faut chercher « du ressort ».

Le Braque du Bourbonnais est encore un Braque français sélectionné, non point sur un tempérament chasseur, non point sur les qualités de chasse, mais ... sur le nombre des vertèbres caudales et sur celui des truitures. Il y avait, à mon sens, mieux à faire. Ce n’est pas moi qui, le premier, ai jeté le cri d’alarme : in cauda venenum ! Ce n’est pas moi qui ai tourné en ridicule « les compteurs de mouchetures » ; c’est mon vieil ami Delage, et il avait grandement raison. À la façon de saint Jean Chrysostome, cet excellent homme vous fera connaître l’importance de l’instrument cher à Anastasie pour la modification de l’appendice des malheureux cabots qui s’entêtent à ne pas naître anoures. Cette circoncision postérieure a fait couler plus d’encre que de sang, mais elle n’améliorait le nez en aucune manière.

Mais les critiques et les railleries ont du bon quelquefois, je veux dire quand elles sont basées sur un fonds de vérité. Les amateurs sérieux de Braques du Bourbonnais se groupèrent en un club dont la présidence fut confiée à un éleveur bien connu, à un cynophile distingué et travailleur qui devait peu d’années après prendre aussi la grande présidence de la Centrale. J’ai nommé M. de Lachomette. On procéda donc à une sélection intelligente, méthodique, à la fois sur les qualités de travail et sur le type de la race ; on choisit dans les meilleurs sujets les individus le plus typés. Et l’on trouva du sang chasseur ! Sans s’occuper de la queue, on poussa à la sélection du système olfactif. Les chiens avaient peut-être, les premières années, des truitures moins bien colorées, moins régulières, mais ils s’intéressaient à la chasse, au gibier, et ils couraient en field-trials. Et aujourd’hui le Bourbonnais est ce qu’il aurait dû toujours être, si l’on s’était un tant soit peu occupé de lui : un bon chien de chasse pratique, un bon chien de petit chasseur. On doit tout cela à l’intelligence et au travail des dirigeants du Club, on le doit aussi aux épreuves pratiques organisées tous les ans par la Société canine du Sud-Est ; on le doit surtout, je le répète, au distingué M. de Lachomette et à son brillant état-major.

(À suivre.)

J. DHERS.

(1) Voir n^os 588 et suivants.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 79