Si les heures sombres ne durent, selon nos espérances,
d’ores et déjà cependant nous devrons compter pour les temps meilleurs, lorsque
reprendra l’élevage, sur la réduction considérable du cheptel. Certaines races
aux représentants peu nombreux peuvent disparaître, soit être vouées à végéter
dans une étroite consanguinité antichambre de la mort, soit à l’absorption par
une race voisine, soit à modification par croisement.
Les défenseurs de la consanguinité à jet continu, qui
aboutit à l’inceste sans rémission, vont disant ce genre de vie exempt de
dangers, quand on sait se débrouiller. C’est absolument faux. Tous ceux qui
cynophilisent depuis quarante ans ont sur les lèvres les noms de véritablement
très grands éleveurs qui ont voulu vivre de ce pain durant toute leur carrière.
Ceux d’entre eux, ayant vu une longue série de générations de leur
« strain » ont été contraints d’avouer, qu’en dépit des précautions,
la santé et la longévité étaient atteintes. On peut éloigner le danger en
élevant en milieux différents, éloignés, avec des modes de nourriture
variés ; mais tôt ou tard il se présente. C’est pour demeurer dans la
pureté convenue que certains équipages ne présentaient plus que des chiens
perdus de poussées à la peau, avec une mortalité effrayante des chiots. À part
ça, tout était pour le mieux. Mais les amateurs qui achetaient de ces toutous
goûtaient mal la plaisanterie.
Avec les races où tout le monde est déjà apparenté,
prétendre demeurer dans les alliances de plus en plus incestueuses et n’en
jamais sortir est une absurdité démontrée par les faits. Les Anglais ont bien
dit depuis longtemps qu’un « in breeding » peut être un bienfait,
mais que l’« in and in » est une erreur. Que penser alors de cette
dernière opération perpétuée sans trêve ? Il faut être raisonnable et en
élevage, comme en tout, cela consiste à observer les faits et à savoir les
interpréter d’une âme exempte de parti pris. Celui-ci étant généralement le
produit d’une infection de l’entendement par l’orgueil et les théories sans
fondement, il convient de s’en méfier. Beaucoup de découvertes sont le propre
d’amateurs intelligents dont l’esprit n’est pas imprégné d’hypothèses
ingénieuses, mais incomplètes ou fausses.
Nous devrons donc, contents ou non, retremper les races que
nous allons retrouver nanties d’un cent ou moins de représentants tous
apparentés. La physionomie du cheptel présentera au début quelque aspect
hétérogène ; mais, quand une retrempe est faite avec les éléments convenables,
elle se perd dans la race, comme les fleuves dans la mer. Ceci est un adage qui
a cours en Angleterre, pays où toutes les audaces en élevage se donnent libre
cours, il est vrai, mais dont on conviendra que les races canines sont assez
bien gouvernées ; n’est-il pas vrai ? Prenons-en donc de la graine et
envisageons d’une âme sereine cette opération devant laquelle certaines
générations ont tremblé. Cette crainte a été inoculée par un zootechnicien qui
a dit beaucoup de choses très exactes, mais a lancé quelques aphorismes à
succès contre le croisement, tout en disant que les métis de 15/16 de sang
pouvaient être assimilés à la race pure. Ce n’est d’ailleurs pas vrai. Quant à
y trouver de la logique, c’est malaisé. Les théories sont décidément
dangereuses, quand on fait abandon de tout esprit critique.
Sans doute, doit-on l’extrême réduction des représentants de
telle ou telle race à un inexplicable détachement de l’amateurisme parfois.
Souvent aussi il y a inévolution, manque d’adaptation aux besoins nouveaux.
Dans le premier cas, il n’y a pas beaucoup à espérer, car entrer en guerre
contre la mode est temps perdu. Dans le second, il n’est que d’évoluer, au prix
de quelques changements de physionomie, taille, volume, etc. Et n’écoutons pas
les rêveurs attardés qui diront : « Mais alors vous ne serez plus
purs ! » Vaudrait-il mieux mourir, par hasard ? Durer,
maintenir, améliorer, n’est-ce pas le but ? Il s’agit bien vraiment de la
conservation d’une physionomie de convention arbitrairement fixée !
Ne nous dissimulons pas que le père Sanson disait vrai en
avançant que le grand nombre « de prétendues races d’animaux domestiques
pouvait être réduit de beaucoup ». Quand on analyse les caractères
fondamentaux, on voit qualifier du nom de races des variétés et familles dont
l’affinité est évidente. La logique voudrait qu’on les groupât autour du
prototype, sous même étiquette. Mais, dès qu’un éleveur a obtenu la fixation
plus ou moins certaine d’un caractère secondaire, généralement concernant le
pelage ou la taille, il dit immédiatement avoir créé une race. Vanité le plus
souvent, intérêt parfois, ignorance certainement. Les animaux sauvages
eux-mêmes ont la plus grande tendance à varier, sous certains rapports. Il n’y
a peut-être pas deux écureuils de même teinte parmi ceux que je vois gambader
dans mon bois. Il en est de presque noirs et certains très clairs ont la queue
panachée de blanc. Par isolement, on obtiendrait certainement des variétés. Ce
n’en seraient pas moins des animaux de même race. Vous pouvez être assuré que
celui qui a réalisé en Angleterre le beagle bleu, celui qui a fait le blanc
fauve, n’ont ni l’un ni l’autre proclamé avoir créé des races nouvelles. Chez
nous, cela n’eût pas manqué, à supposer qu’un quidam ait eu l’audace de rompre
avec la tradition qui veut le beagle « tricolore vif et à manteau »
s’il vous plaît, sous peine de déconsidération absolue.
Les variétés soigneusement isolées, et représentées par rien
du tout comme nombre de têtes, n’auront qu’à rentrer dans le giron de la race
mère. Si c’est compris, ce sera un des rares bienfaits de l’épreuve que nous
subissons.
Le sort des abandonnées, sans motif sérieux, est bien plus
tragique. Il est un chien touchant de près à ma province et susceptible d’y
rendre, pour la chasse à tir à tout venant, les meilleurs services. Je veux
dire le briquet Vendéen. De l’aveu de ses tenants, le nombre de ses
représentants avouables est très réduit. Ils sont tous plus ou moins parents.
Enfin, la situation n’est pas brillante. Pourtant les amateurs du chien
solitaire ou de la paire, pour tirailler, sont légion. On se demande vraiment
comment un collaborateur de taille assez réduite, aussi peu encombrant et si
travailleur, a pu être négligé. On ne saurait mieux faire que rappeler son
existence et ses vertus. Il est possible qu’un jour il faille le retremper,
parce que tous seront trop consanguins. On a déjà désigné la retrempe dans les
milieux intéressés et elle est judicieuse. L’essentiel sera de partir à temps.
Il n’y a pas beaucoup de Nivernais non plus, et c’est un bon chien courageux
pour tirer le sanglier ; mais lui a un cousin plus que germain dans
l’otterhound qui en sort et lui ressemble comme un frère. Ses tenants ont
compris le parti qu’on pouvait en tirer.
Le chien d’Artois, mort victime d’une conjuration, ne
ressuscitera pas.
On peut concevoir quelque inquiétude pour le Porcelaine. Ses
bataillons ne sont plus ce qu’ils étaient avant l’autre guerre. On voit
pourtant de bien jolis sujets aux expositions. Peut-être la taille de certains
d’entre eux paraît-elle excessive au goût du jour ? Celle de 0m,55, qui est à peu
près la hauteur du briquet Suisse d’autrefois dont il dérive, devrait être
aussi la sienne. Entre 0m,50 et 0m,55,
ce serait assez, à condition d’avoir de l’os et des points de force.
La retrempe Suisse serait aussi assez logique, devant un
certain refroidissement perçu dans les épreuves pratiques. Par malheur, le
cousin helvétique n’a pas l’oreille roulée, pas plus que ne l’avait le Comtois
avant l’alliance Normande du XIXe
siècle. Alors c’est extrêmement grave et suffit à freiner les meilleures
initiatives. Songez qu’il y a le standard, ce mur ! Plutôt périr ; à
certains yeux, cela semble préférable, que de remanier un texte.
Je ne dirai rien des courants du Midi de petite vénerie.
Comme il n’y a qu’eux réussissant sur leurs terrains, ils se défendent fort
bien. Le jour où l’on reconnaîtra chez tous la prédominance du sang Gascon,
peut-être verrons-nous disparaître les noms articulés et à courant d’air
servant à désigner des variétés dont les caractères différentiels se perçoivent
surtout dans l’étiquetage. Ce sera un autre bien dû aux événements.
Quant aux bassicots, on peut être sans crainte, pour les
petits chiens courants anglais, de même ; parce qu’ils sont nombreux, et
qu’on recherche les petits chiens.
Ce tour d’horizon, consacré aux chiens français servant à la
chasse à tir et par surcroît au courre du lièvre, ne laisse pas entrevoir un
avenir de beaucoup de sécurité. Quant à ceux de grande vénerie, on ose à peine
songer à leur sort.
Pour sauver ce qui pourra l’être, une grande largeur de vues
devra présider aux opérations. Si on s’embarrasse de théories sur la race
chimiquement pure et des rigueurs des standards, on est perdu d’avance. Puis il
y a les détails d’esthétique qui ont coûté si cher. Le précieux Artésien a été
condamné, parce qu’il avait l’oreille plate et une bonne grosse tête un peu
commune. J’en passe et des meilleures. Enfin, tout le monde devra s’y mettre
que cela intéresse, et peste soit des particularistes qui préfèrent tuer leurs
élèves que d’en céder, pour être seuls à conserver « leur race ».
Cette funèbre rigolade, qui semble propre à notre pays, a coûté la vie à des
races notoires, telle la Saintongeoise authentique, morte depuis longtemps. Il
est des états d’esprit qu’on ne parvient vraiment pas à comprendre et dont il
n’y a pas lieu d’être fiers. Vous ne voyez pas les Anglais détruisant leurs
foxhounds en surnombre pour priver le monde de leur chef-d’œuvre zootechnique.
Autrefois, de ce côté de la Manche, il y avait des gens pensant autrement. Espérons
que l’espèce n’en a pas proliféré, car ce n’est pas sur ses représentants que
nous pourrons compter à l’heure de la résurrection de l’élevage, ni sur les
timorés, ni sur les chercheurs de petites bêtes, ni sur les esclaves de la
lettre. Ça fait beaucoup de monde ; aussi m’arrêtai-je afin de n’en pas
désobliger d’autre, si d’aventure j’ai été trop acerbe, ce qui ne fut nullement
dans mes intentions : « Qui aime bien ... », dit le
proverbe.
R. DE KERMADEC.
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