Nous avons parlé de la perche, du brochet et de la truite.
Les deux seuls poissons de capture régulière au lancer léger qu’il nous reste à
envisager sont le chevesne et le saumon.
Je commence par le saumon, parce que nous sommes en pleine
saison de sa pêche. Je serai assez bref sur la question, d’abord parce qu’elle
n’intéresse plus, hélas ! qu’une minorité, les eaux à saumons s’étant
raréfiées à l’extrême en France depuis un demi-siècle. Cela, par la faute des
Pouvoirs public qui n’ont pas compris leur devoir dans cette affaire où était
impliquée une richesse nationale de toute première importance. Il aurait fallu
faire plier tous les intérêts particuliers, quelque respectables qu’ils pussent
paraître, devant l’intérêt général. Inscrits maritimes, professionnels du
filet, industriels pollueurs et constructeurs de barrages, tous auraient dû
s’incliner devant une discipline nécessaire. Je ne parle pas de messieurs les
braconniers qui jouissent d’une scandaleuse indulgence. La France pourrait, grâce
à l’étendue de ses côtes et à l’abondance exceptionnelle de ses cours d’eau,
être la première nation d’Europe en ce qui concerne la pêche et la production
du saumon.
Non seulement il n’en est rien ; mais nous sommes en
train de ruiner nos derniers bassins à saumon, par des installations
hydro-électriques mal étudiées et inopportunes.
Les seules eaux à saumons qui nous restent sont : le
bassin du haut Allier, les gaves pyrénéens et cinq ou six petits fleuves
côtiers de Bretagne et de Normandie. De magnifiques rivières, comme la Creuse,
la Vézère, etc., où le saumon abondait encore il y a vingt ans, sont dépeuplées
sans espoir par quelques barrages « bien placés ».
Or, la question n’est pas limitée au « sport », à
l’amusement de quelques centaines de pêcheurs. Il s’agit de l’anéantissement
d’un chiffre d’affaires de plusieurs milliards.
Quand la paix sera revenue, on n’aura plus le droit de
négliger quoi que ce soit de la fortune française, et surtout de ce qui peut
remettre d’aplomb notre « balance commerciale » déficitaire. Il
faudra se remettre sérieusement à la question du saumon, et assurer le
redressement nécessaire.
Hélas ! l’homme qui a le plus fait depuis dix ans pour
rendre à notre pays cette richesse gaspillée, ne sera plus là pour achever
l’œuvre si bien commencée, et qui avait donné déjà, en Bretagne et dans le
Sud-Ouest, de si encourageants résultats. M. le conservateur Kreitmann,
chargé des services de la pêche au Ministère de l’Agriculture, est mort au
début des hostilités. Sa santé qu’il ne ménageait pas, depuis longtemps
chancelante, n’a pas résisté aux angoisses de la tragédie qui s’approchait. La
pêche et les pêcheurs ont fait, ce jour-là, une perte bien lourde, mais que je
ne veux pas qualifier d’irréparable, car je suis persuadé qu’il se trouvera,
parmi mes jeunes camarades forestiers, un homme plein de foi et de dévouement,
pour relever le flambeau et mener à bien la tâche interrompue.
Je disais que je serais assez bref en ce qui concerne le
saumon. Une seconde raison de cette brièveté est que mon éminent confrère, M. Portier,
a fait paraître ici, il y a peu d’années, une étude très complète de la pêche
de ce poisson.
Je me bornerai donc à traiter de l’application du lancer
léger aux diverses méthodes de pêche à la ligne du saumon, soit : le
spinning, la crevette, la mouche et le ver.
Vous savez tous que le saumon est un poisson de mer, qui se
nourrit et se développe uniquement dans les grandes profondeurs de l’Océan (il
n’existe pas en Méditerranée ; c’est pourquoi on n’en a jamais vu dans le
bassin du Rhône). Il ne remonte en eau douce que pour frayer. Les œufs ne se
peuvent développer que dans une eau très pure, très aérée et très froide. C’est
pourquoi il est forcé de monter jusqu’aux plus petits cours d’eau de montagne
pour y trouver les frayères propices. Les jeunes saumoneaux ou « tacons »,
nés de ces œufs, redescendent à la mer lorsqu’ils pèsent au maximum un quart de
livre. Il est absolument interdit de les capturer, puisque, même avec notre loi
si insuffisante, la dimension légale minimum du saumon est cependant fixée à 60
centimètres (2). Or, des quantités de ces innocents sont pris, soit au
filet, soit à la ligne, sous le nom de « truites ». Cela est
absolument inexcusable : il est très facile de reconnaître un jeune saumon
d’une jeune truite. Ne serait-ce que par la forme de la queue qui est échancrée
en deux parties chez le saumon et à bord absolument droit chez la truite.
Les saumons pêchables sont ceux qui montent pour frayer. À
la première montée, ils pèsent de 5 à 8 livres ; à la deuxième, de 15
à 25. Il est évidemment regrettable de capturer ces poissons avant leur frai.
Mais, dans une rivière normale, je veux dire suffisamment peuplée, il est
naturel de prélever sur les reproducteurs un certain contingent pour alimenter
la pêche, à condition d’en laisser passer suffisamment pour garantir l’avenir.
Les poissons ayant frayé sont impropres à la consommation.
Amaigris, épuisés, flasques, ils n’offrent aucune défense au pêcheur, et
celui-ci doit les remettre à l’eau s’il lui arrive d’en prendre. Ces poissons
épuisés (bécards, charognards, etc.) meurent dans une forte proportion.
Cependant, beaucoup d’entre eux se remettent et retournent à la mer où ils
grandissent et grossissent avec une rapidité extraordinaire.
Le record du saumon européen appartient à M. Denisoff,
un aimable Russe fixé en France, qui a fait cette capture en Norvège. Il
dépassait les 50 livres, et la photographie nous le montre à peu près
aussi grand que le pêcheur.
En France, un saumon d’une trentaine de livres est déjà une
pièce exceptionnelle.
La pêche du saumon ouvre le 15 janvier. Cela permet à
une moitié environ des reproducteurs, en route depuis fin octobre, de parvenir
jusqu’aux frayères ... si l’état des eaux leur a été favorable.
Car, si les eaux sont basses, ils restent longtemps au pied
des chutes et des barrages, attendant la crue qui leur permettra de franchir
l’obstacle.
On prétend que le saumon ne se nourrit pas en eau douce,
ayant le tube digestif presque atrophié. Je suppose que c’est un peu exagéré
puisqu’il mord à la ligne. Évidemment, il peut prendre certains appâts :
cuillers et mouches, surtout sans aucun appétit, et soit par curiosité, soit
dans un mouvement de colère contre ce petit être inconnu qui vient l’agacer.
Mais la façon très franche dont il s’accroche au poisson
naturel et à la crevette fait tout de même supposer qu’il jouit d’un certain
appétit.
Et s’il n’avait aucunement faim, comment mordrait-il à ce
qu’on appelle en Bretagne « la mouche de jardinier », c’est-à-dire le
ver de terre, soit « en paquet », soit même isolé ?
Je connais un exemple authentique d’un petit saumon de six
livres pris à la ligne de fond, oui, à la corde de nuit, dans mon coin de Loire
moyenne. Celui-là n’avait pas été agacé par un ver dandiné sous son nez, il
était bel et bien venu le ramasser sur le fond.
Les exemples de saumons pris à la ligne dans les eaux des
grands neuves qu’ils remontent, et loin des frayères, sont très rares. Tous les
ans, des milliers de saumons remontent la Loire. Il n’en est pour ainsi dire
jamais pris un avant la haute vallée de l’Allier. Je ne connais que deux
exemples du contraire : une jeune femelle de sept livres capturée au
lancer léger en Loire à l’embouchure du Loiret, en juillet, et sans
préméditation par mon ami L. Kunslers, et un petit mâle de sept livres,
également pris l’hiver dernier à la crevette, toujours au lancer léger, par M. Hublot,
frère de notre collaborateur, l’éminent veneur Guy Hublot. Prouesse
remarquable, car elle était préméditée.
A. ANDRIEUX.
(1) Voir numéros précédents.
(2) Depuis que cet article avait été écrit, a paru le décret
réglementant à nouveau la pêche. La dimension du saumon y est réduite à 40
centimètres ! Sans commentaires.
|