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Belgique et Hollande

Amsterdam-Anvers, 160 kilomètres, 1er août 1937.

— Gros morceau que l’étape d’aujourd’hui ; mais à quoi bon s’attarder à contempler des paysages maintenant familiers, alors qu’aucune curiosité particulière ne se trouve entre les deux grands ports ? et puis, le florin est une monnaie qui dévore les francs dévalués ... ; donc, gagnons vite la Belgique. Temps maussade pour le départ, il « crachine » comme on dit chez nous, et cet insinieux brouillard nous revêt d’une toison de petites perles et alourdit nos vêtements. Fort heureusement, le soleil dissipera cette bruine inopportune. Sortir d’Amsterdam n’est pas facile, et ce n’est qu’après de nombreux et agaçants détours que nous trouvons la route d’Utrecht. Cette route, assez ancienne, ne comporte pas toujours de piste cyclable isolée, mais une simple bande de chaussée délimitée par une ligne de pavés de grès ou de briques ; bien souvent, le revêtement est d’ailleurs constitué par des briques disposées en chevrons comme les lames de certains parquets. Les autocars se succèdent nombreux et les occupants par la vitre arrière nous font des signes d’encouragement. Il nous arrive parfois de suivre ces énormes cars sur d’assez grandes distances, — le tracé routier étant très sinueux, surtout dans les villages, — ce qui réduit leur vitesse sans atteindre la nôtre. La route épouse les méandres du Vetch, petite rivière qui va se perdre dans le Zuiderzee ; de gentilles et proprettes maisons entourées d’arbres superbes reflètent leurs façades colorées dans les eaux calmes ; çà et là, de classiques petits bateaux hollandais amarrés à la rive, — c’est dimanche, — complètent heureusement ce paysage extrêmement pittoresque. Au delà, s’étendent les polders, et bientôt c’est Utrecht, ville très ancienne, mais très propre ; le contraire serait étonnant en ce pays. D’admirables pelouses fleuries bordent le canal Nieuwe-Gratch, dont les eaux coulent très bas, si bien que sur chaque berge s’ouvrent des caves et entrepôts. La cathédrale s’honore de posséder le clocher le plus élevé de la Hollande : 110 mètres. C’est une tour très fine, carrée, puis octogonale, dont la base forme voûte et livre passage à la rue.

Quelques kilomètres après Utrecht, voici le Lek, bras du Rhin. Un énorme pont métallique, très élevé au-dessus des eaux, enjambe le fleuve près de Vianen. Dans les villages, les cloches sonnent à toute volée, annonçant le service religieux dominical ; aucune survivance des costumes anciens en cette région. La route redevient excellente, mais des tronçons sont en cours de réfection, et nous craignons fort pour nos pneus. Un nouveau type de moulin règne par ici : la cabine à section carrée supportant les immenses ailes est juchée au-dessus de l’habitation, celle-ci ayant la forme d’un tronc de pyramide à base carrée.

Gorinchem marque la mi-étape ; nous y sommes à midi juste. Au restaurant, dont nous sommes les seuls clients, nous choisissons un copieux menu ; je dis bien « nous choisissons », car notre vocabulaire néerlandais, si restreint soit-il, comporte maintenant la connaissance de plusieurs termes d’alimentation. Et, à notre étonnement, pains, jambon, viande, œufs durs et salade, le tout arrive empilé dans une seule assiette : ce peuple si propre a-t-il une aversion particulière pour le lavage de la vaisselle ?

En attendant le bac qui va nous transporter sur la rive sud de Waal, nous admirons le fleuve où la navigation est incessante. Nous sommes confondus à la vue des péniches aux dimensions énormes qui viennent de Rhénanie, bourrées de charbon à en couler, et se dirigent vers Rotterdam par cette voie naturelle, porte de la grande région industrielle et minière allemande. C’est maintenant une région deltaïque encore mal définie, boisée, coupée de champs de roseaux et de prés humides surtout à notre droite, vers la mer.

La route franchit la Meuse sur un magnifique pont métallique (que de ponts et de fleuves aujourd’hui !) et nous traversons Geertruidenberg sans nous arrêter, filant à vive allure vers Bréda. Insensiblement, le paysage se modifie ; la campagne est de plus en plus boisée et visiblement moins riche, mais gagne en pittoresque : ce sont les abords de la Campine où s’élève l’ancienne place forte de Bréda, dont la flèche de la cathédrale gothique se mire dans les eaux calmes d’un petit lac. Après 115 kilomètres de route, nous nous sentons aussi frais qu’au départ, à tel point que Pierre et moi, gagnés par l’esprit d’imitation, décidons d’allumer un cigare pour fumer en roulant : de nombreux cyclistes indigènes font ainsi et n’ont pas l’air d’en être incommodés ...

Plus de grasses prairies coupées de canaux, maintenant, mais une pittoresque campagne où bosquets et cultures alternent. Nous côtoyons les immenses pépinières royales, traversons quelques villages qui somnolent en cette après-midi de dimanche, et voici la douane ... adieu, Hollande ! Aucune difficulté avec les douaniers qui ne s’inquiètent nullement du contenu de nos sacs.

Et c’est à nouveau la Belgique : le seul et appréciable changement réside dans l’état de la piste cyclable maintenant de gravier ; nous lui préférons le bon pavage de la chaussée. Le train se ralentit ; nous sommes certains d’arriver au but, mais la lassitude et la faim y sont aussi pour une part.

Aussi, dès Merxhem, banlieue d’Anvers, nous faisons halte dans un de ces nombreux petits restaurants qui pullulent en Belgique et offrent toujours, comme plat de résistance, le bifteck-frites. L’appétit ne faisant pas défaut, nos habitudes culinaires retrouvées, nous dévorons comme des ogres. Après une bonne sieste, nous enfourchons à nouveau les machines, jambes raidies par le repos et traversons complètement Anvers en suivant ses magnifiques avenues jusqu’à la gare du Sud et Kiel pour revenir chercher un logement près de la gare centrale. Le jour baisse et l’étape a été longue; nous visiterons demain.

(À suivre.)

A. BIHOREL.

(1) Voir nos 588 et suivants.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 88