Comment un bombardier dépassant 10 tonnes est construit
avec autant d’aisance qu’une automobile.
— Un hall aussi vaste que celui d’une gare parisienne,
des machines-outils qui crépitent, des milliers d’ouvriers ...
C’est dans cette usine, située « quelque part en
France » que se construisent en grande série des bombardiers. Dans cette
immense fabrique, tout matériel, outillage, personnel, semble si parfaitement à
sa place que de toute cette activité se dégage une impression saisissante
d’ordre et de puissance.
Travail à la chaîne, production en grande série ...
Pour réaliser ce programme, la Direction a dû, selon sa propre expression,
« disséquer » le travail. D’importantes usines annexes, chaque jour,
par wagons ou tracteurs, expédient ici ailes, empennages, tronçons de coque.
Avant d’être assemblées, ces différentes parties sont
aménagées séparément sur des « tables ». Les ouvriers ne sont plus
obligés, comme autrefois, de travailler aplatis à l’intérieur d’une carlingue,
mais effectuent leur besogne dans les meilleures conditions possibles :
gain de temps appréciable, suppression de fatigues inutiles, la nouvelle
méthode a prouvé sa supériorité.
La « chaîne » et ses « maillons ».
— Dominée par ses ponts roulants, entourée de chariots
de transport et de tables d’assemblage mobiles, l’énorme chaîne de production,
sans arrêt, effectue la marche qui, d’heure en heure, et de 10 mètres en 10
mètres, la conduit vers l’aérodrome où, toutes les parties enfin assemblées,
ayant pris définitivement forme d’avion, pourront gagner leur nouvel
élément : l’air.
Cette chaîne est elle-même divisée en deux parties
principales. La première verra le montage des parties centrales d’aile, des
empennages, et l’équipement des groupes motos propulseurs (entendez par
là : moteurs et hélices). La seconde sert à l’assemblage définitif des
parties extrêmes d’aile et des équipements.
À la fin de ce dernier stade, l’avion est achevé :
armement, lance-bombes, moteurs puissants, tout est à sa place. L’usine a
terminé son œuvre.
L’un des principaux éléments d’intérêt de ce travail, en
grande série, est la possibilité de spécialisation des ouvriers. Chaque équipe
— un maillon — effectue chaque jour le même travail d’assemblage.
Commandé par un chef d’équipe, chaque « maillon »,
quotidiennement, devra monter une même partie d’aile ou un groupe
moto-propulseur, exactement semblables à ceux qui furent montés la veille.
Des milliers de « producteurs ».
— Arrivant chaque matin par trains complets ou par
camions automobiles, des milliers d’ouvriers animent cette énorme usine de
production.
Pour ceux de « jour », comme pour leurs camarades
qui travaillent de nuit, la Direction a prévu des réfectoires, des cuisines, où
les producteurs pourront faire réchauffer le plat préparé à la maison.
D’autre part, un effort considérable est effectué pour
utiliser la main-d’œuvre féminine. Le cycle de fabrication, réduit au minimum,
a tellement simplifié le travail que des jeunes femmes peuvent être employées
par centaines. Aussi la Direction de l’usine a-t-elle prévu des garderies, des
pouponnières, des jardins d’enfants où les « tout petits » seront
surveillés par des assistantes sociales et, chaque jour, examinés par des
docteurs ...
* * *
Chaînes de production fonctionnant sans trêve, machines à
percer, à revêtir, à perforer qui, sans arrêt, font entendre leurs voix
sonores, presses à découper ou à emboutir dominant les halls de leurs masses
impressionnantes, milliers de producteurs ne ménageant ni leur temps, ni leur
peine, toute la puissance de ce formidable ensemble n’a qu’un objectif :
façonner la matière première, l’animer et mettre au monde, dans des temps
étonnants de brièveté, des bombardiers qui se classent au premier rang des
aéronautiques modernes.
À peine achevés, ces géants des airs quittent l’usine. Sur
l’aérodrome voisin, des pilotes d’essais attendent les nouveaux venus :
essais des moteurs au point fixe, essais en vol ... Trois jours après leur
mise au monde, les bombardiers peuvent être dirigés vers les unités, où leur
vitesse et leur rayon d’action permettront à nos équipages d’effectuer des
reconnaissances jusqu’au cœur des pays ennemis.
Grâce à des méthodes d’une conception intelligente et
audacieuse, à une organisation impeccable, grâce à un matériel comprenant les
plus modernes des machines-outils et surtout grâce au remarquable état d’esprit
d’un personnel d’élite, l’industrie française, abandonnant enfin l’artisanat,
est entrée dans la grande construction en série. Un avion, désormais, se
fabrique comme une automobile.
Rendement maximum, écrivions-nous. S’il plaisait à nos
services de fabrication de faire construire dans cette seule usine des
monoplaces de chasse, le chiffre des sorties mensuelles serait au moins
l’équivalent de la production totale de nos usines avant la guerre ...
Armand AVRONSART.
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