Parmi les nombreuses histoires, plus ou moins authentiques
et plus ou moins significatives, qui se colportent dans les milieux hippiques,
à propos des opérations des Commissions de Réquisitions des Chevaux,
celle des ... « J. P. P. » ( ?) nous fournit
l’occasion de sourire avec indulgence, plutôt que de protester avec
indignation, encore qu’en temps de guerre surtout le système D ne soit
tolérable qu’autant qu’il ne nuise pas.
Pour ceux qui l’ignorent, et qui sont certainement très
nombreux, l’abréviation alphabétique « J. P. P. » désigne,
dans la paperasserie militaire et dans ce langage, dont on abuse un peu trop,
les juments présumées pleines. C’est-à-dire les juments qui ont reçu, en temps
voulu, les services d’un étalon et qui, de ce fait, sont supposées avoir été
fécondées, situation qui les dispense légitimement de toute réquisition ;
les chevaux entiers, pour d’autres raisons faciles à deviner, bénéficient des
mêmes avantages.
Or, très au courant de ces exemptions, certain éleveur
normand, propriétaire de plusieurs étalons de demi-sang, pour rendre service
à ses clients (ce qui est une façon de dire et de faire plus que discutable),
délivra au moment de la mobilisation, à une cinquantaine d’entre eux, de faux
certificats de saillie de leurs juments, papiers de caractère officiel et
suffisants pour éviter la présentation de ces animaux devant la Commission de
Réquisition, qui les exemptait d’office.
Bien que ces faits se soient passés dans un centre d’élevage
réputé pour le nombre et la qualité de ses poulinières, les officiers ne
manquèrent pas d’être surpris qu’il y en eût un si grand nombre dans une
commune de très moyenne importance, et, des suites d’une enquête conduite à bon
escient, ils eurent vite fait de découvrir le « pot aux roses » et les
différentes complicités de cette combinaison malencontreuse.
Celui qui en porte la plus grosse responsabilité et qui n’en
fut peut-être pas l’instigateur, n’y voyait sans doute qu’une manifestation
adroite et plaisante, de ce système D, dont nous parlions plus haut, et
l’occasion d’obliger des clients avec lesquels il était en relations d’amitié.
Mais l’autorité militaire en a jugé tout autrement, et le coupable et ses
nombreux complices se trouvent actuellement sous le coup de poursuites pour
« abus de confiance » et contravention aux lois et décrets, qui vont
les obliger à faire amende honorable, en payant des amendes pécuniaires qui ne
leur rapporteront ni honneur, ni profit ...
À côté de ces juments présumées pleines pour avoir été
saillies et dispensées, de ce fait, de la réquisition, d’autres, ayant été
aussi livrées à l’étalon (sans succès apparent) ou saillies accidentellement,
ont été, par erreur ou par ignorance, mobilisées et expédiées dans les
formations hippomobiles des armées, où on a pu se rendre compte qu’elles
étaient en état de gestation plus ou moins avancé.
Ces juments, certainement pleines (et non pas présumées
certainement pleines, comme nous l’avons pu lire sur des catalogues de ventes
aux enchères), sont aussitôt que possible rendues à leur propriétaire, si
celui-ci désire reprendre son animal, ou bien mises à la disposition d’autres
cultivateurs ou éleveurs sérieux, capables de les nourrir et de les bien
traiter, s’ils en ont fait la demande en bonne et due forme.
Ils doivent, à cet effet, s’adresser en franchise postale
au chef d’escadrons, président du Comité d’achat de chevaux pour l’Armée, au
service des Remontes, du chef-lieu de la région.
Les produits des juments sont abandonnés en toute propriété
aux éleveurs ou cultivateurs détenteurs de la mère. Ceux-ci prennent à leur
charge la nourriture et les soins que réclament ces poulinières, les frais de
transport à l’aller et au retour, et une assurance tous risques contractée dans
le mois de la livraison et dont les quittances des primes seront adressées au
service des Remontes.
Les juments ainsi prêtées peuvent être employées à des
travaux de culture légers, mais les labours de défrichage et les gros charrois
leur sont interdits.
Après cinq ou six mois d’allaitement du poulain, les juments
devront être réintégrées en bon état d’entretien et de santé et avec une
ferrure en bon état.
Les intéressés peuvent demander tous renseignements utiles à
ces mises en dépôt, à la gendarmerie la plus proche de leur résidence, au chef
d’escadrons du service régional des Remontes (franchise postale), ou bien ils
pourront trouver toutes indications complémentaires à l’annexe no 9, de
l’instruction ministérielle du 7 septembre 1937 (B. O. E. M.,
vol. 69, p. 180).
À titre de renseignements que nous jugeons utiles, nous
indiquons pour ceux qui seront appelés à exercer leur choix parmi ces juments,
dont le nombre est peu élevé, par comparaison avec le nombre de demandes déjà
reçues, certains caractères ou signes extérieurs dénotant les prédispositions
favorables aux fonctions de reproduction.
Au point de vue du modèle, de la conformation, il faut
rechercher chez une future poulinière les formes amples et arrondies, un
poitrail large, bien ouvert, un bon coffre (poitrine), un flanc amplement
dessiné, indiquant un spacieux moule à poulain, sans que le ventre soit
trop proéminent, ni trop abaissé, sauf quand il s’agit de juments ayant eu déjà
plusieurs gestations.
Une encolure légère relativement au reste du corps, un
garrot bas et un rein long, s’il est bien tendu et de bonne largeur, ne doivent
pas toujours être regardés comme critiquables, mais plutôt des attributs du
sexe dont il faut savoir faire la part. L’arrière-train de la jument doit être
particulièrement développé, elle doit avoir, comme on dit couramment, un
beau carré de derrière et, si, en même temps, le poitrail est large et
puissant, la jument est jugée bien ouverte dans ses deux bouts,
dispositions très favorables pour l’entretien du poulain pendant la gestation
et une mise-bas facile.
La jument doit être encore profonde et près de terre,
c’est-à-dire avoir une poitrine bien descendue sur des jambes courtes, avec des
articulations larges et une épaisseur accentuée des muscles des bras et des
cuisses, toutes les parties postérieures du corps se montrant plus développées
que les antérieures, à l’inverse de ce que l’on recherche chez l’étalon.
L’examen de l’appareil digestif et de son bon fonctionnement
a une grosse importance pour de futures mères, qui doivent, grâce à un bon
estomac et à un bon appétit, pouvoir fabriquer en abondance du sang pour le
fœtus, puis du lait pour le poulain. Les poulinières grosses mangeuses ont, en
général, de grosses mamelles, qui en font d’excellentes nourrices dont les
produits se vendent plus facilement et plus cher parce qu’ils grandissent
rapidement en force et beauté.
Pour cette raison, il ne faut pas manquer d’explorer du
regard d’abord, puis de la main, ces mamelles, en donnant la préférence à celles
qui sont les plus développées et dont les mamelons sont bien écartés. La
palpation de l’organe permet de s’assurer du caractère de la jument qui doit
être très douce, calme, habituée à se laisser toucher, atteler, panser sans
difficulté ; les juments chatouilleuses, impressionnables ou nymphomanes
(plus vulgairement appelées « pisseuses ») sont presque toujours ou
de mauvaises mères et de mauvaises nourrices.
Enfin, avant d’arrêter un choix définitif, il faut s’assurer
du développement normal des organes génitaux, du moins autant qu’il est
possible de le faire extérieurement, les bons offices du vétérinaire étant
indispensables pour un examen plus approfondi (vagin, utérus et col).
Pour faire un bon poulain, enseigne un vieux dicton fort
judicieux, il faut un bon père, une bonne mère et un coffre à avoine bien
garni ; celui-ci aura dans l’occurrence une importance prépondérante pour
l’avenir du poulain et la réussite de l’éleveur, qui pourra sur ce point
exercer complètement, plus ou moins heureusement, les connaissances qu’il
possède de par sa science ou son expérience.
J.-H. BERNARD.
|