Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°596 Février 1940  > Page 103 Tous droits réservés

Assolements de guerre et fourrages

Des fourrages pour avoir du blé. La formule n’est pas nouvelle ; Jacques Bujault la spécialisait dans le pré représentant les fourrages et, dans cette relation établie entre l’herbe et la céréale, il fallait voir et il faut voir encore tout le cycle si souvent célébré : fourrage, bétail, fumier, blé.

Le pré, c’est quelque chose aux aspects variés, aux rôles divers suivant les circonstances ; dans le cas le plus fréquent, le pré est annexé à une ferme de culture, il ne constitue pas l’exclusivité comme en Normandie ; ainsi la prairie donne du foin ou de l’herbe consommée sur place, et c’est au cours de la mauvaise saison que se fabrique le fumier améliorateur.

Quelle est cependant la pensée qui doit guider d’une manière générale en vue de rechercher la combinaison fourragère qui sera utile pour le blé ? La prairie naturelle est permanente ; c’est indirectement que s’établit donc la liaison ; on peut marquer encore mieux la relation en s’adressant à la prairie temporaire ou à la prairie artificielle.

L’expression prairie temporaire marque qu’il est question de durée ; celle-ci variera avec les circonstances, le terrain, le climat, le but poursuivi, l’intensivité du système de culture ; mais, en outre, on désigne sous ce nom un mélange de graminées et de légumineuses, un mélange relativement simple, des plantes qui n’ont pas la prétention de gazonner ; on ne leur laisse pas le temps de garnir, de prendre entière possession du terrain ; le développement des plantes en hauteur l’emporte sur toute autre considération d’élargissement à la base.

La prairie temporaire est retournée au bout de quelques années, la culture du sol revient. C’est par le fourrage rentré à la ferme que la prairie temporaire va procurer les avantages dont il a été question ci-dessus ; mais il reste sur la surface du sol des débris végétaux qui vont être incorporés à la couche arable ; les racines des plantes se décomposeront, gain de matière organique avec toutes les conséquences qui en découlent. La présence des légumineuses, trèfle des prés, sainfoin, même luzerne, minette en mélange avec les graminées, constitue une certitude de gain d’azote pour le sol.

La prairie temporaire est formée par l’association de plusieurs plantes pour atténuer les risques d’un échec en cas de culture d’une plante. La démonstration n’est plus à faire que cette association constitue un moyen sûr de tirer du sol le maximum de ce qu’il peut donner. On peut aussi recourir à ce genre de production, lorsqu’on veut distribuer aux animaux un mélange d’espèces de deux familles qui se rapproche bien de la production, des prairies naturelles fournissant une base de ration plus maniable que des foins de graminées ou de légumineuses seules.

On s’adresse plus souvent dans notre pays aux prairies artificielles ; dans l’histoire agricole, celles-ci sont plus anciennes que les prairies temporaires ; justement, elles sont venues à partir du XVIIe siècle s’inscrire à côté des prairies anciennes assurant alors la nourriture d’hiver du bétail, dans des pays où la paille des céréales, ou un foin récolté quelquefois très loin, et par conséquent coûteux, constituaient l’alimentation hivernale des animaux.

L’introduction du trèfle correspondit à une véritable révolution que l’agronome Schwerz a fort bien soulignée. On répétait sur de vastes surfaces, sous des climats variés, l’observation des Romains célébrant les mérites des vesces, des fèves alors utilisés comme engrais vert. Le secret de la fixation de l’azote grâce aux légumineuses ne devait être percé que dans le dernier quart du XIXesiècle ; peu importe, le fait était là, et la production du blé rebondit lorsque la céréale succéda au trèfle. Le sainfoin, la luzerne allaient procurer les mêmes satisfactions.

C’est donc l’addition d’azote sous forme organique qui constitue le point de départ heureux, enseignement à retenir d’ailleurs pour les blés qui ne viennent pas sur un précédent de ce genre ou sur un sol préalablement fumé. Il faut même se méfier de cette fumure non équilibrée ; la verse est fréquente lorsque l’on ne prend pas la précaution d’apporter les éléments phosphatés et potassiques indispensables.

Pour que les prairies artificielles remplissent parfaitement leur rôle, il est nécessaire qu’elles soient réussies : c’est donc un peu de ce côté que l’effort doit porter même dans les circonstances présentes. Quelles sont les manières de réussir ? Quels sont les points essentiels les plus accessibles ? Aucun facteur ne peut véritablement être détaché des autres en agriculture ; tous sont solidaires dans la recherche du résultat ; mais, tout de même, il semble que l’état du terrain soit l’un des moyens à envisager. Rechercher une terre propre avant la céréale qui abritera généralement la légumineuse ; ne pas faire comme on agit le plus souvent ; la luzerne, le sainfoin, le trèfle sont considérés comme des moyens de se débarrasser d’une terre. On pourrait l’admettre en ce qui concerne l’état de fertilité, mais le gain à espérer est d’autant plus grand que le milieu permet à la légumineuse de mieux se développer.

Le labour sera donné un peu plus profond, surtout si la luzerne doit apparaître ; avant le semis, une façon de plus sortira le chiendent, fera lever quelques plantes adventices ; si le semis n’a pas lieu en même temps que celui de la céréale, un coup de herse approprié, bien léger, arrachera les mauvaises plantes dont le système radiculaire n’aura encore pris qu’un faible développement. L’hiver suivant, on interviendra rarement ; seule la luzerne pourrait être traitée à la herse, et encore faut-il le faire avec légèreté. Mais, pour cette plante, ne pas hésiter les autres hivers. Cette année, le retard dans les travaux est tel que l’on se demande si l’on a le droit d’en parler ; pourtant, les favorisés pour une raison ou une autre ont le devoir absolu de faire un effort de plus, et c’est à ceux-là que le repos pèserait s’ils réfléchissaient aux conséquences d’un ralentissement dans le travail.

Bientôt il faudra acheter les semences; leur prix fait toujours hésiter, car le kilogramme en coûte cher quand on établit la comparaison avec d’autres semences de la ferme. Pourtant, il ne faut pas chercher à réaliser des économies basées uniquement sur la différence de prix, mais se rendre compte de la valeur réelle de la semence présentée par le voyageur ou annoncée sur le catalogue. Il n’est pas question de voir à l’œil si la germination est bonne ou mauvaise, mais l’aspect, la propreté sont déjà des indices sérieux ; on ne perdrait d’ailleurs rien, au contraire, à réaliser un simple essai de germination, après lequel seulement la commande serait passée.

Ainsi ces précautions assurent la réussite de la prairie artificielle et contribuent à donner de meilleurs blés.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole, Professeur à Grignon.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 103