L’emploi de la chaux en sylviculture n’est pas une
nouveauté ; depuis longtemps, des sylviculteurs éclairés l’employaient
tout au moins dans leurs pépinières où elle était regardée comme le plus
précieux des amendements.
La chaux exerce sur le sol et sur la végétation des arbres
de nos bois et sur les plants qui y croissent plusieurs espèces d’opérations ou
de genre d’actions. Si l’on sème de la chaux dans une terre argileuse, on la
rend plus légère, on en diminue la compacité ; il y a là une action que
l’on peut qualifier de mécanique ; une faible quantité de chaux suffit
pour rendre la terre argileuse facile à émietter. Pour arriver au même
résultat, il faudrait y introduire une grande quantité de cendres ou de sable.
La chaux sature l’acide que produisent les matières
végétales en se décomposant dans certaines circonstances et dont la présence
est nuisible à la fécondité du sol ; cela a lieu surtout dans les terres
contenant du bois, dans les terrains tourbeux et ceux récemment défrichés. La chaux,
en saturant l’acide, annule ses propriétés nuisibles. L’altération et la
décomposition des matières végétales est hâtée, stimulée et activée
considérablement par leur mélange avec de la chaux ; ainsi, le genêt,
l’ajonc, la bruyère que l’action de l’air arrive difficilement à décomposer, ne
peuvent résister à l’action de la chaux et sont désagrégés rapidement par
l’action de la chaux. Les matières organiques, contenues dans le sol de nos
bois, subissent la même influence, et c’est ce qui explique la pousse rapide
des plantes dans les pépinières à sol argileux ayant subi un simple chaulage.
L’argile peut conserver dans ses pores une quantité de gaz,
les condenser et emmagasiner les matières végétales, et la chaux a la propriété
de les rendre très rapidement assimilables, alors qu’elles ne se seraient
décomposées que très lentement. Mais l’emploi de la chaux épuise le sol
forestier et, comme on lui enlève une fertilité difficile à faire revenir, on
peut changer la place de la pépinière. La chaux n’est donc pas un engrais, et,
si l’on veut conserver la pépinière dans le même emplacement, il faut restituer
par d’abondantes fumures ce que les plants lui ont enlevé.
Si la chaux donne cet excellent résultat dans les pépinières
installées sur sol argileux, il n’en est pas de même sur les terres
sablonneuses où les matières végétales et le fumier se décomposent très
rapidement ; le chaulage n’y produit pas grand effet et donne souvent des
résultats à peu près nuls ; il en est de même pour les terrains humides.
Quand les terres légères contiennent de l’humus, le chaulage donne de bons
résultats. Tous nos arbres forestiers contiennent une certaine quantité de
chaux ; il en est même quelques-uns pour lesquels la chaux forme un
aliment indispensable.
L’addition de chaux peut produire de bons effets dans des
terrains où l’on a déjà constaté l’existence de cette matière, car la chaux se
trouve dans le sol à l’état de carbonate ou de sulfate, et ces deux sels n’ont
pas, comme la chaux caustique, la propriété de hâter la décomposition des
feuilles, par exemple, et autres matières végétales. Le carbonate de chaux, le
plus ordinairement, se trouve dans le sol à l’état pierreux, en fragments peu
broyés, et des essais ont démontré que les effets du carbonate de chaux, réduit
en poudre très fine mécaniquement, ne donne pas les mêmes résultats que le
carbonate de chaux produit par la marne, et surtout du carbonate de chaux
provenant de la chaux caustique.
La chaux mise en contact avec de l’argile rend soluble la
potasse et la soude qu’elle contient.
La potasse et la soude sont aussi des aliments
indispensables aux arbres.
Il est admis que la chaux, lorsqu’elle est passée à l’état
de carbonate, transforme les sels ammoniacaux qui se trouvent dans le sol en
carbonate d’ammoniaque. La chaux, en favorisant la nitrification dans les
pépinières, contribue à fournir aux plants l’azote qui leur est nécessaire.
La chaux a un autre avantage : elle a la propriété de
détruire les semences des mauvaises herbes et les insectes.
On peut employer la chaux de différentes façons. On peut la
déposer par petits tas sur la future pépinière ; aussitôt que l’humidité
de l’air l’a délitée, on la répand à la pelle, puis on la recouvre par un
labour ; s’il survient une pluie, la chaux est réduite en pâte, qu’il est
bien difficile de répartir également. On peut aussi faire déliter la chaux de
suite en l’arrosant avec une certaine quantité d’eau et la répandre sur le sol.
Le procédé le plus pratique consiste à déposer la chaux vive
sur le terrain qui doit contenir la pépinière sous forme d’un monceau
allongé ; on recouvre ce tas avec de la terre.
Quand la chaux est délitée, on la mélange avec de la terre
aussi parfaitement que possible, puis on répand ce mélange sur le sol par un
temps sec et on recouvre le tout par un labour superficiel. Ce mélange offre
quelques avantages : la chaux se délite avec lenteur ; étant à l’abri
de la pluie, elle agit sur l’humus et les débris que renferme le terrain et les
transforme en engrais rapidement assimilable. Son égale distribution sur la
terre est plus facile, par suite du volume plus considérable mis en œuvre. Au
lieu de terre, on peut employer des curures de mares ou de fossés, des
balayures de cour et de toutes sortes dont on dispose. La chaux active la
décomposition des matières organiques et de l’humus ; c’est certain, elle
dégage l’ammoniaque, dès qu’elle est déjà formée.
Bref, les diverses actions de la chaux peuvent se résumer
ainsi : elle ameublit les terres argileuses, raffermit les terres légères,
sature les acides naturels du sol, active la désorganisation des matières
organiques, fournit aux arbres l’élément calcaire, met en liberté la potasse
des silicates. Il est à peu près certain qu’elle contribue à fixer l’azote de
l’atmosphère, en favorisant la nitrification et qu’elle convertit les sels
ammoniacaux en carbonate d’ammoniaque.
Action de la marne dans les pépinières forestières.
La marne n’est autre chose qu’un carbonate de chaux, assez
friable et mélangé d’une quantité plus ou moins forte de sable ou d’argile. Son
action n’est pas aussi active que celle de la chaux, mais elle dure plus
longtemps, et sa capacité est d’autant meilleure qu’elle se délite avec
facilité, grâce à l’influence de l’air et de l’humidité, et que la poussière
qu’elle produit est plus fine. Les marnes les plus estimées sont : la
marne calcaire, la marne sableuse et la calcaire. La marne sert surtout à
ameubler les sols compacts et à procurer plus de corps aux terres
légères ; elle sature les acides naturels du sol et fournit aux arbres
l’élément calcaire ; elle contient assez souvent du phosphate de chaux et
quelquefois des matières organiques azotées. La durée de la marne est très
longue. Lorsqu’on veut marner une future pépinière, il faut s’assurer de la
richesse et de la nature de la marne dont on peut disposer ; cette
substance n’est pas un simple mélange, mais une combinaison de l’argile avec le
carbonate de chaux ; lorsque ce dernier domine, la marne est calcaire ou
maigre, et elle convient d’autant plus aux terres argileuses que le carbonate de
chaux y domine davantage. La marne grasse ou argileuse convient mieux pour
amender les futures pépinières sableuses ; elle leur fournit en même temps
l’argile et la chaux qui leur manquent ; elle est un stimulant et donne
deux centièmes de carbonate de chaux.
L’application de la marne aux terrains destinés à devenir
des pépinières en qualité d’amendement convient à une plus grande variété de
sols que le chaulage, parce que la marne est composée de chaux et d’argile. Le
marnage rend les plants plus forts.
Louis TESTART.
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