Pendant la Grande Guerre de 1914-1918, la T. S. F.
était encore dans l’enfance. Des transmissions de paroles à grande distance, et
même entre la France et l’Amérique, avaient pu être tentées, sans doute, à
titre d’expériences, au moyen d’alternateurs, mais la radiodiffusion n’existait
pas ; elle n’a pris naissance, en réalité, que vers 1921.
Pour l’émission, on employait des émetteurs à étincelles à
ondes amorties, ou des alternateurs ; pour la réception, des détecteurs à
cristaux, électrolytiques, ou même magnétiques.
La lampe à vide, « la petite lampe merveilleuse »
de notre temps, n’a fait son apparition qu’à la fin de la guerre ; les
premiers modèles universels T. M. étaient construits suivant la technique
des ampoules d’éclairage électrique. L’alimentation des récepteurs exigeait de
lourdes batteries et les équipements étaient bien peu portatifs.
Actuellement, la radiodiffusion permet de diffuser jour et
nuit dans le monde entier les informations, les bulletins militaires, les
radio-concerts, qui doivent soutenir le moral de « l’avant » et de
« l’arrière ».
La radiophonie est devenue le plus efficace des moyens de
propagande : elle agit, à domicile même, sans se soucier des distances
ni des frontières !
En août 1914, au moment de la mobilisation, tous les
récepteurs de T. S. F. furent saisis par la gendarmerie, ou remis aux
autorités militaires, afin d’interdire l’audition des émissions
radio-télégraphiques par la population civile.
Les récepteurs de ces âges héroïques de la
T. S. F. étaient bien primitifs et exigeaient l’emploi obligatoire
d’une longue antenne pour recevoir les émissions étrangères. Pourtant, on
pouvait déjà réaliser des appareils sous des formes réduites, et, dans les pays
envahis, de nombreux patriotes risquèrent leur vie pour recevoir les
communiqués alliés qui leur apportaient des raisons d’espérer.
À l’heure actuelle, les récepteurs de T. S. F.
sont tellement sensibles qu’une antenne de fortune, une masse métallique
quelconque, suffit généralement pour la réception des principales émissions
européennes. Un poste sensible à lampes n’est souvent pas plus encombrant qu’un
appareil photographique : il existe même des modèles spéciaux,
émetteurs-récepteurs à ondes très courtes, qu’on peut dissimuler dans des
boîtiers affectant les formes les plus diverses, sacoches, serviettes,
chapeaux, etc.
Le rôle de la T. S. F. n’est donc pas comparable,
en 1939, à celui qu’elle a joué en 1914, et les règlements de guerre concernant
la radiodiffusion sont également très différents.
Une question s’est posée dans les mois qui ont précédé la
guerre actuelle. En cas de guerre, faut-il supprimer complètement les émissions
radiophoniques et interdire l’usage des récepteurs, ou maintenir l’activité des
émetteurs et conserver pour la réception la réglementation du temps de
paix ?
En fait, tous les pays belligérants ont maintenu en activité
leurs postes émetteurs et en ont même, sinon accru le nombre, tout au moins
augmenté au maximum la puissance. Ils ont multiplié les émissions d’information
et de propagande, destinées à leurs nationaux, et plus encore à leurs ennemis
et aux neutres. Ils ont créé des postes spéciaux de contre-propagande, destinés
à combattre les assertions des émissions ennemies, à empêcher, autant que
possible, la diffusion de ces émissions, à l’aide de moyens techniques et
spécialement de brouillages.
En ce qui concerne la réglementation de la réception,
les modifications apportées au régime du temps de paix ont été très différentes
dans les pays totalitaires et dans les nations démocratiques.
À l’intérieur de leurs propres pays, les dictateurs
craignent avec raison la diffusion de la vérité, et ils ont d’abord voulu
interdire à leurs auditeurs de T. S. F. la réception des émissions
étrangères.
Un premier moyen technique, pour obtenir ce résultat, a
consisté, dès avant la guerre, à favoriser la diffusion d’appareils peu
sensibles, ne permettant de recevoir que les émissions nationales ou locales.
L’Administration des P. T. T. allemande a fait construire, durant ces
dernières années, des centaines de milliers de récepteurs de série, de prix
réduit mais de faible sensibilité. Ces appareils étaient vendus à crédit,
moyennant des mensualités extrêmement faibles, et la vente des récepteurs
populaires allemands s’est montée, en 1938, à 573.000 appareils.
Pour les appareils sensibles, on a essayé d’imaginer des
dispositifs plombés, pouvant leur être adaptés en temps de guerre et réduisant
leur sensibilité, de manière à interdire la réception des émissions étrangères.
Au point de vue technique, l’interdiction de la réception
d’émissions étrangères est assez illusoire. Un récepteur relativement peu
sensible peut encore assurer assez facilement l’audition des émissions
lointaines, s’il est adapté à un collecteur d’ondes convenable. On peut
construire des appareils de très petites dimensions, mais sensibles, alimentés
à l’aide de piles sèches et qu’on peut installer dans un espace très restreint.
Il n’existe guère de moyens techniques permettant de
découvrir les récepteurs clandestins ; les procédés destinés à localiser
les appareils de T. S. F. sont établis pour la recherche des
émetteurs, et non des récepteurs.
À défaut de méthodes techniques, les administrations
totalitaires ont eu recours à des procédés de répression et à des moyens
policiers. Une ordonnance du Reich du 30 août 1939, a interdit l’écoute
des émetteurs étrangers : les contrevenants sont punis de travaux forcés
et les récepteurs confisqués ; celui qui propage les nouvelles des
émetteurs étrangers est puni des travaux forcés et, dans les cas graves, de
mort.
On peut sans doute essayer de dissimuler un récepteur de
T. S. F. dans une chambre isolée, une armoire ou une cave : on
peut réduire l’intensité de l’audition, ou employer des écouteurs
téléphoniques ; il est bien difficile d’éviter toujours l’observation de
cet appareil, ou même l’audition directe ou indirecte par un domestique, un
familier de la maison, ou un enfant.
Toute parole imprudente ou malveillante, répétée devant un
agent de la police secrète ou transmise à l’Administration, suffit à faire
envoyer l’imprudent sans-filiste dans un camp de concentration, sinon aux
travaux forcés !
Ce sont là des questions qui ne se posent pas en France, ni
en Angleterre. Avec un admirable libéralisme, qui contraste là encore avec la
tyrannie des pays totalitaires, le Gouvernement français a laissé absolument
libre la réception des émissions radiophoniques, comme en temps de paix.
Suivant un décret du 29 août 1939, les récepteurs sont
laissés à la disposition de leurs détenteurs, dans les mêmes conditions qu’en
temps de paix : il a été seulement précisé, par la suite, que les
émissions étrangères de propagande ne pouvaient être entendues dans un lieu
public ; c’est là, on en conviendra, un minimum de précautions !
Les pays alliés ont, par contre et avec raison, ordonné la
suppression de toutes les émissions d’amateur, le démontage des postes
émetteurs correspondants, ainsi que de toutes les installations de
T. S. F. établies à bord des automobiles et la remise des
installations d’émission à l’autorité militaire.
Les amateurs émetteurs constituent, en temps de paix, une
véritable pépinière d’opérateurs spécialistes et peuvent rendre de grands
services en cas d’interruption des communications télégraphiques ou
téléphoniques normales. Mais, en temps de guerre, les inconvénients possibles
des émissions privées l’emportent sur leurs avantages. Il faut interdire les
émissions de propagande ennemie à l’intérieur même du pays, et le
fonctionnement de postes non déclarés, pouvant servir de moyen de liaison pour
les agents de l’espionnage ennemi. Fort heureusement, la recherche des émetteurs
clandestins peut s’effectuer suivant des méthodes techniques sûres et les
résultats obtenus l’ont déjà bien montré.
Les gouvernements démocratiques ont ainsi limité au minimum la
réglementation de la radiophonie de guerre. Ils ont, avec raison, fait
confiance à l’intelligence, au bon sens et au patriotisme des auditeurs
français, pour discerner les mensonges de la propagande ennemie.
La psychologie des grands maîtres de l’Information
d’outre-Rhin ne semble, d’ailleurs, pas très adaptée à la mentalité française.
La plupart de leurs émissions sont encore plus ennuyeuses que perfides et
mensongères; les changements continuels et incohérents des opinions diffusées
ne méritent que le mépris des compatriotes de Descartes et de Montaigne.
P. HÉMARDINQUER.
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