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La guerre économique et l’Allemagne

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Nous avons terminé le mois dernier sur la question du minerai de fer et de l’acier, et nous avons vu que nos ennemis se trouvaient en réalité dans une position excessivement délicate ; même s’ils trouvaient le moyen d’accaparer, d’une façon ou d’une autre, tout le minerai géographiquement à leur disposition. Mais, si la métallurgie allemande en général est obligatoirement tributaire de l’étranger par ses besoins de matière première, la métallurgie spécialisée et la mécanique le sont doublement par suite de l’absence presque absolue de métaux rares en Allemagne.

Pour le grand public, la nouvelle technique des alliages d’acier et de métaux divers, semble uniquement se traduire par l’existence des couteaux inoxydables ou encore d’articles métalliques d’ameublement, d’hygiène ou autres jouissant des mêmes qualités d’inaltérabilité. Ce n’est qu’un petit côté de la question. Le principal emploi de tous ces métaux rares se trouve dans la fabrication des aciers spéciaux pour l’automobile, l’aviation, la marine, les moteurs de toutes sortes, les machines-outils, etc. Leur alliage, selon des formules multiples, donne à l’acier, non seulement la résistance à l’oxydation, mais aussi de nouvelles qualités de dureté, de résistance accrue avec un poids diminué, d’élasticité, de résistance plus grande aux acides ou autres agents de destruction, etc. En un mot, tous les progrès de la mécanique moderne tirent en partie leur origine de l’emploi de ces métaux ; qu’il s’agisse d’avions, de tanks ou d’autos de course, de moteurs allégés, etc. Que le nickel, le tungstène ou autres, viennent brusquement à manquer, et la mécanique, pour certaines parties de sa technique, revient brusquement vingt ans en arrière ; or, c’est justement le cas de l’Allemagne. De tous ces métaux secondaires de plus en plus indispensables, ce pays ne produit qu’un peu de cadmium, en quantité très nettement inférieure à ses besoins courants du temps de paix. Pour tout le reste, l’aide de l’étranger est indispensable. Or, quels sont les principaux producteurs, et quelle est leur position vis-à-vis de nos ennemis ?

Pour le nickel, probablement le plus important de tous les métaux rares, la situation est fort simple. Sur une production mondiale d’environ 115.000 tonnes, la presque totalité est sous le contrôle du trust canadien de l’International Nickel qui en produit 105.000. La seconde source de production, encore importante, mais loin derrière le Canada, est notre colonie de la Nouvelle-Calédonie avec 6.300 tonnes environ. Ce qui revient à dire que le ravitaillement en nickel est entièrement dans les mains des ennemis de l’Allemagne. Comme possibilités germaniques, citons : la Norvège, qui produit environ 1.400 tonnes, la Grèce, autant, la Finlande ; c’est insuffisant. Il est probable qu’il existe Outre-Rhin certaines réserves de ce métal ; mais, de ce qu’on sait du marché du nickel de ces dernières années, très facilement contrôlable du fait de la concentration de la production, elles ne peuvent pas être importantes. D’où, point d’interrogation pour le très proche avenir.

La situation pour le molybdène est comparable à celle du nickel. Usages de plus en plus nombreux, non seulement comme alliage d’acier, mais aussi dans l’industrie chimique et l’industrie électrique ; production marchant à pas de géants. 2.200 tonnes en 1929 et 20.000 en 1938 ; concentration mondiale de la production, cette fois aux États-Unis, avec plus de 85 p. 100 du total, soit 18.000 tonnes. D’où l’utilité du blocus et de la loi de neutralité américaine. Les autres producteurs, très relativement importants, sont loin de l’emprise germanique : Mexique, 500 tonnes ; Maroc, de 80 à 100, etc. Seule la Norvège avec ses 360 tonnes annuelles pourrait constituer une possibilité géographique pour nos ennemis.

Le vanadium possède les qualités des métaux précédents, avec quelques différences qui le font préférer pour l’industrie de l’outillage et des machines-outils ; c’est dire son importance dans la technique actuelle. La production mondiale des minerais et concentrés dépasse 2.000 tonnes, et se trouve répartie en deux aires géographiques distinctes : en Amérique, le Pérou avec 640 tonnes et les États-Unis avec 720, le tout sous le contrôle américain, et utilisé dans le Nouveau-Monde ; en Afrique, le S.-W. africain anglais avec 582 tonnes, et la Rhodésie, autre colonie anglaise, avec 235 ; et c’est tout. Autant dire que le ravitaillement allemand ne sera pas des plus facile.

Pour le manganèse, la situation de nos ennemis est meilleure, tout au moins sur le papier. Leur production est nulle, mais la Russie dispose d’un surplus exportable d’une certaine importance, et dont elle n’a pas l’usage. Et sa production pourrait être augmentée. Mais, même en considérant la question de la bonne volonté russe et celle du paiement réglées, il n’en reste pas moins celle des transports, qui en l’occurrence ne pourraient guère être que le rail. Or le manganèse est une matière première de très grand encombrement. Il est curieux de remarquer qu’avant-guerre l’Allemagne ne se fournissait pas du tout en Russie, mais presque uniquement aux Indes et dans le Sud-Afrique, ce qui nécessitait le débours de changes précieux. Il devait y avoir pour cela des raisons techniques primordiales, et peut-être aussi des raisons de prix.

Pour le chrome, production allemande nulle. Petite production en Grèce, comme seule possibilité géographique. Même situation pour l’amiante, avec toutefois des possibilités du côté des Soviets, ainsi que pour les phosphates, dont l’Allemagne ne produit même pas la moitié de ses besoins.

Parmi les autres produits secondaires dont l’Allemagne est absolument déficiente, et dont les sources de ravitaillement possible sont sous le contrôle des Alliés, citons : le tungstène, le mercure, le cobalt.

Après le fer, base de la métallurgie de guerre, le métal le plus important est sans contredit le cuivre. Or, la production germanique représente à peine 20 p. 100 des besoins du temps de paix. Deux grands centres de production mondiale, l’Amérique et l’Afrique. Le premier comprend les États-Unis 562.000 tonnes, le Canada 300.000, et le Chili 370.000, auxquels on peut joindre le Mexique ; pour de multiples raisons, l’accès en est impossible à nos ennemis. Il en est de même pour l’Afrique, où les principaux producteurs sont la Rhodésie anglaise et le Congo belge.

La consommation allemande a certainement dépassé 300.000 tonnes en 1938, ce qui comprenait probablement des besoins de guerre accrus, car, ces dernières années, les chiffres varient entre 140.000 et 230.000 tonnes ; en face nous ne trouvons qu’une production indigène stable de 35.000 tonnes environ, ce qui donne un besoin annuel d’importation variant entre 200.000 et 300.000 tonnes. Les sources principales de ravitaillement étant bouchées, quelles sont les possibilités restantes ? La Russie produit péniblement 110.000 tonnes, mais en use 165.000. Reste la Yougoslavie, que sa production non utilisée d’environ 40.000 tonnes met dans une position politique bien délicate, d’autant plus que le contrôle financier en est français (mines de Bor), et anglais. Mais, quoi qu’il en soit, même en admettant que toute la production balkanique passe entièrement en Allemagne, il n’en restera pas moins un besoin d’au moins 200.000 tonnes par an. Et sur ce chiffre, plus de la moitié est utilisée par l’industrie électrique, qui n’a aucun ersatz réel à sa disposition. Donc, pour résumer, situation insoluble pour nos ennemis, dès que les stocks de guerre auront été utilisés.

Malgré qu’il perde du terrain tous les jours, le plomb reste un métal de première importance, tout au moins pour les usages du temps de paix, car son emploi à la guerre est plutôt limité. Là non plus, la position de nos adversaires n’est pas fameuse. En face d’une consommation de plus de 240.000 tonnes, se trouve une production d’à peine 70.000. Aucune aide à espérer de la Russie qui produit 50.000 tonnes et en consomme le double ; par contre, possibilités du côté Yougoslave, dont la production de 75.000 tonnes est presque entièrement disponible pour l’exportation. Donc, pour le plomb, situation pour ainsi dire identique à celle du cuivre, avec cette différence toutefois d’un besoin moins absolu. Même situation politico-économique pour le zinc. Consommation germanique, 230.000 tonnes environ, en face d’une production d’environ 200.000 (soit près du double d’il y a dix ans). L’invasion de la Pologne augmente les possibilités d’environ 110.000 tonnes (consommation polonaise environ 40.000) ce qui couvre largement les besoins extraordinaires de guerre. Donc, de ce côté, l’Allemagne est solidement approvisionnée. Ce qui d’ailleurs est actuellement d’une utilité secondaire, les usages militaires du zinc étant pour ainsi dire nuls, le seul avantage pouvant être le remplacement du cuivre pour certaines utilisations électriques.

Marcel LAMBERT.

(1) Voir no 595.

Le Chasseur Français N°596 Février 1940 Page 125