Il est de la plus élémentaire logique que, si l’on veut
conserver son gibier, il convient de le surveiller, c’est-à-dire de garder sa
chasse. Mais (et je parle toujours de la chasse communale), comment surveiller,
comment garder sans être organisés, c’est-à-dire sans avoir une chasse
réellement à soi ? Pour cela, il faut s’associer, bien sûr, mais aussi
faire les choses comme il faut. Je veux dire par là avoir, dans la commune, le
droit de chasse sur les quatre cinquièmes au moins des terrains ; et ce,
au moyen de baux en règle. Car sans cela, sachez-le bien, pas de surveillance
possible. Je sais des communes où un arrêté municipal publié dans la presse
avant l’ouverture interdit aux étrangers la chasse sur toute l’étendue de la
commune. Laissez-moi rire ! Si le maire a le droit, peut-être, d’interdire
la chasse sur les communaux et les vacants, quel droit a-t-il donc, dites-moi,
sur les propriétés privées ? Aucun, absolument aucun. Et tant que les
propriétaires ne défendent pas eux-mêmes de chasser sur leurs terres, le maire
n’y peut rien. Les sociétés, les syndicats de chasseurs, comme on les appelle
dans le Midi, qui vivent sous ce régime, ne sont rien et ne peuvent rien, si le
droit de chasse ne leur appartient pas régulièrement. Donc, des baux. C’est indispensable.
Des baux gratuits, bien entendu, à charge, par les sociétés, de s’engager,
envers les propriétaires, à respecter les récoltes, à ne pas occasionner de
dégâts aux propriétés, à détruire les animaux nuisibles.
Quelquefois, pour une grande propriété qui pourrait, à elle
seule, constituer une chasse au beau milieu de la commune, au profit de
quelques chasseurs étrangers qui n’hésiteraient pas à y mettre le prix, il
faudra faire un sacrifice pécuniaire.
Mais ce doit être l’exception. La société communale est, en effet,
une association de petits chasseurs, à cotisation modique. Or, figurez-vous
qu’il faille payer quatre ou cinq cents propriétaires. Ce serait
impossible ! Je sais, malheureusement, par expérience, que l’on rencontre
parfois, à la campagne, des gens entêtés, ou âpres au gain, et qui, pour une
mesquine question de personne ou une malheureuse pièce de cent sous, n’hésitent
pas à donner leur chasse à des étrangers plutôt qu’à leurs compatriotes. Dieu
vous garde, mes amis, d’être dans un pays pareil, car, alors, il faut se donner
un mal de chien pour arriver à quelque chose ; et ce n’est pas toujours
qu’on y arrive. Surtout lorsque, dans un village, dans un hameau, une ou deux
brebis galeuses contaminent tous les voisins. Alors, c’est dur, croyez-moi.
Mais on n’a pas toujours affaire qu’à des récalcitrants. Il est des gens sensés
partout et, aussi, des communes où tous les propriétaires signent volontiers.
Là, le travail est facile. Et (je dis ceci pour ceux qui ignoreraient la
combinaison), il est bon de faire des baux pour une durée assez longue, neuf
ans par exemple, et se continuant par tacite reconduction s’ils ne sont pas
dénoncés six mois avant leur expiration. Cette clause a le grand avantage de
donner des baux signés une fois pour toutes, sans qu’on soit dans l’obligation
d’en solliciter le renouvellement. On est donc tranquilles pour longtemps.
Alors, une fois le terrain bien à nous, sa surveillance pourra s’exercer
utilement et tous les chasseurs de la commune, s’ils veulent chasser librement,
devront faire partie de la société. On acceptera, bien entendu, des étrangers
dont la cotisation, plus élevée, alimentera d’autant la caisse. Il y aura
toujours, bien sûr, quelque récalcitrant, quelque forte tête, qui s’obstinera à
ne pas vouloir faire comme les autres. Mais alors, il sera très facile au garde
de le prendre en défaut, surtout dans les régions où la propriété est morcelée
et où une parcelle gardée est contiguë à une autre non louée. Et, puisque nous
en sommes au chapitre garde, l’idéal serait un garde non chasseur, connaissant
bien le pays et n’ayant pas grand’chose d’autre à ‘faire : un ancien
gendarme, par exemple, qui aurait exercé dans la région. Malheureusement, pour
avoir l’oiseau rare, il faut y mettre le prix, et toutes les sociétés ne peuvent
le faire. Alors, on se rabat sur un ou deux chasseurs. Seulement, voilà, si la
chasse leur est motif de tournées, elle est, aussi, cause de distraction de
leur rôle et, avouons-le, ce rôle ne peut être rempli dans toutes les
conditions voulues. C’est là un fait auquel on ne peut que difficilement
remédier quand on ne dispose que de petits moyens. Mais enfin, tout de même, le
fait d’avoir un garde ou deux qui sortent assez souvent inspire un peu de
crainte aux resquilleurs éventuels. S’il sait piéger quelque peu, ce sera un
grand appoint ; car on a beau repeupler, si on ne détruit pas les
nuisibles, la moitié du gibier lâché disparaîtra quelques jours après sa mise
en liberté. Il faut bien se rendre compte que le gibier qu’on lâche vient, la plupart
du temps, d’effectuer un long trajet de plusieurs jours. Il arrive fatigué,
dépaysé, et devient alors facilement la proie des chiens errants et des
nuisibles. Il y a toujours eu, bien sûr, des renards, des putois, des fouines,
des rapaces et autres acharnés maraudeurs ; leur nombre ne s’est pas accru
depuis trente ans. Mais, autrefois, ils n’avaient affaire qu’à du gibier
sauvage et leur dîme ne se prélevait à peu près uniquement que sur les éclopés
ou les nouveau-nés. Maintenant, le gibier qui vient d’être lâché est d’une
capture trop aisée pour qu’on ne cherche pas à détruire, par tous les moyens,
ses ennemis à fourrure ou à bec crochu. Surtout que, notez bien ceci, qui, à
première vue, paraît une contradiction : plus vous aurez de gibier sur
votre chasse, et plus il y aura de nuisibles. Car ceux-ci savent fort bien
trouver les endroits où la pitance est abondante. Donc, moins de bêtes de
rapine et, partant, plus de succès dans nos entreprises de repeuplement.
Et, j’en terminerai par là, puisque le repeuplement
artificiel, s’il est une nécessité, n’est tout de même pas la panacée
universelle, nous le compléterons par le repeuplement naturel. À savoir :
les restrictions, le frein mis à la passion destructrice du chasseur. Ce sera
l’objet de notre prochaine et dernière chronique sur cette question
d’organisation.
(À suivre.)
FRIMAIRE.
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