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Autour d’une polémique

L’an dernier, on s’est beaucoup ému, dans le monde du chien courant, de révélations sur un mariage qui aurait été fait entre le basset de Gascogne et celui de Normandie. Je n’ai jamais caché, en d’autres revues, mon sentiment sur cette agitation. J’ai jugé, en effet, plusieurs fois les descendants supposés de cette alliance à la troisième ou quatrième génération. J’ai bien vu quelques mouchetures, entre autres chez un lauréat bien connu des concours pratiques. Et après ?

Quelle importance cela peut-il avoir ? On oublie que le Normand et le Gascon sont l’un et l’autre représentants de la forme naturelle : crâne ogival, oreille papillotée, chassant scrupuleusement par la voie. Moralement, et par l’architecture, ces deux races présentent les plus grandes affinités. Diffèrent bien plus entre eux le chien d’Artois et le Normand qu’on a alliés sans discussion ni murmure, parce qu’ils étaient voisins et plus ou moins de même robe. Or, le premier est bréviligne et plein cintre, au crâne épanoui et tête courte, oreille plate, au moral entreprenant, en tout fort différent. Mais, l’habit ne différant guère, cela a passé comme lettre à la poste.

Il me souvient d’avoir examiné un jour, dans l’Ouest, le petit équipage d’un amateur composé de chiens de mêmes taille, livrée et volume, dont l’observateur superficiel aurait admiré l’homogénéité. En réalité, ils présentaient les deux types bien différenciés en tête des races d’Artois et de Normandie.

Il y avait loin de l’homogénéité de ces chiens à ceux composant l’équipage notoire, qui, normand, aurait une parenté gasconne. Si certains estimaient qu’il y a eu faute, je m’écrie aussitôt : « felix culpa ».

Que peut avoir apporté le sang gascon ? Une plus grande sécheresse et densité de tissu, une gorge plus harmonieuse de hurleur dans les notes basses, une agilité améliorée, jugée désirable depuis longtemps et recherchée. Quant à l’architecture crânienne dans la formule en dôme, elle ne peut avoir été que confirmée, de même celle de l’oreille. Mais il y a les feux charbonnés et les mouchetures ! Caractères secondaires et sans intérêt. On se bat à ce propos ! Pourtant on penserait que nez, gorge, distinction, confirmation du modèle du gabarit osseux sont autrement intéressants.

L’histoire de cette affaire, sa genèse tient en ceci, que l’amateurisme ne s’intéresse pas assez à la zootechnie. Il oublie ou ignore que les prétendues nombreuses races de chiens courants que nous avons sont simplement variétés oscillant autour d’un nombre réduit de prototypes.

Il y a, allant du Nord au Sud : l’Artésien connu depuis le moyen âge avec son nain et son basset ; le Normand dérivé du Saint-Hubert, dont le Gascon est une autre variété ; le chien Poitevin aux formes graioïdes et ses variétés ; un chien à poil rude prototypique aussi dit Nivernais et datant des Gallo-Romains.

Des autres, beaucoup à dire. On a vu le chien de Vendée à tête courte, et souvent plat d’oreille, stop accusé, prendre peu à peu le crâne en dôme et l’oreille tournée, sans que, pour le moment, l’homogénéité soit acquise absolument.

Les avatars des chiens Comtois sont nombreux. Fin du XVIIIe siècle, cousin plus que germain du Briquet suisse, il s’imprègne fortement de sang normand au cours du siècle suivant. Maintenant plus élégant que jamais, son gabarit s’inspire des chiens à lièvre du Midi. Moyennant quelques coups de pinceau, on transformerait certains d’entre eux en charmants méridionaux. Mais ils ont toujours su conserver leur livrée blanc-orange ; c’est pourquoi leurs transformations successives n’ont ému personne.

Ceci prouve que l’habit a toujours fait le moine, aux yeux de quiconque ne creuse pas les choses. Or, pour ce pouvoir, il faut avoir étudié la hiérarchie des caractères, afin de leur accorder le rang dû à leurs mérites.

L’homogénéité pigmentaire sert de paravent à beaucoup de défaillances du côté morphologie.

On a souvent écrit que le Fox-hound n’était pas de modèle homogène. Eh bien, avec combien de nos races pourrait-on tenter l’expérience que voici : admission de la variété des livrées, de la taille et du poids, les chiens ainsi variés étant susceptibles d’être reconnus par l’amateur comme appartenant à la même race ?

Il n’en est guère. Or, qu’un Fox-hound soit tricolore, blanc-gris, blanc-orange, blanc-fauve, etc., lourd ou léger, grand ou de la taille d’un Beagle (il en a eu) ; pour qui sait ce qu’est un Fox-hound, il n’y aura jamais la moindre hésitation. On peut en dire autant du Beagle qui, en son pays, est autorisé à prendre aussi bien la livrée du Gascon, que celle du Porcelaine, que celle du Saint-Hubert, outre celle que nous lui reconnaissons seule, en lui cherchant querelle pour les feux charbonnés éventuels.

Nous sommes incorrigibles ! Pourtant, quel observateur averti ne conviendra que, du fait qu’on reconnaît sans hésitation des chiens de robes très diverses, de tailles et volumes différents, comme appartenant à la même race, la querelle des couleurs est absurde. Elle est absurde et dangereuse. C’est à la classification par robe qu’on doit la fragmentation en tronçons isolés de variétés appartenant au même type, qu’il serait plus expédient de réunir que de séparer. La consanguinité maintenue des générations durant, et un jour mortelle, est la conséquence de cette funeste habitude. D’un autre point de vue, c’est à elle qu’il faut, dans une large mesure, imputer l’impossibilité de classer les races méthodiquement, en fixant le nombre, réduit de beaucoup, de celles méritant le titre. C’est aussi la classification coloromaniaque à laquelle on doit de ne point s’apercevoir combien hétérogènes sont des groupes réputés races, dont la variation désordonnée est la caractéristique.

La structure, céphalique et somatique, conditionne vraiment le type : celui-ci conditionne un certain moral. Vous ne verrez jamais un courant de la formule crâne en dôme et oreille basse et tournée, jouant les emballeurs, ni aucun de la formule graioïde qui soit musard.

Tous les types bien définis et connus présentent un ensemble de qualités et de défauts ne varietur. En mariant les chiens du même prototype, quelles que soient leur pigmentation et l’étiquette officielle sous laquelle on les désigne, on sait ce qu’on obtiendra. En réalité, il y a là croisement entre deux variétés de même race, c’est-à-dire qu’on ne devrait pas prononcer, en l’occurrence, tel mot, à réserver aux mariages entre races nettement différenciées.

Aux yeux qui ne sauraient admettre cette opération, elle devrait sembler, dans le premier cas, moins scandaleuse. La logique, d’ailleurs, plaide dans le même sens.

Mais en matière de croisement, certaines audaces peuvent se révéler heureuses. Celui qui, le premier, croisa le Fox-hound et une lice française, certainement, et quelle que fût sa race, très différente au physique comme au moral du chien anglais, ne manquait pas de goût pour l’aventure. Or, la suite a prouvé l’excellence de l’idée. Certains s’en sont inspirés jusqu’à l’abus, en pratiquant le croisement de substitution ; mais ceci ne prouve rien contre la bienfaisance de cette retrempe. Quand on a su en jouer sagement, la race douée des plus hautes qualités a absorbé l’autre en héritant vigueur et santé.

Notre goût pour les races chimiquement pures se trouve heurté par ces pratiques. Mais, outre que beaucoup se font une idée fausse de la notion de race qu’ils envisagent d’un point de vue très étroit, la confondant en particulier avec celle de famille, l’histoire des races canines enseigne que la majorité de celles servant à la chasse n’ont aucun droit à revendiquer la pureté zoologique. On peut même remarquer, parmi les plus fameuses et répandues, un fort lot, entièrement de culture et tout ce qu’il y a de plus manufacturé, suivant l’expression anglaise. Le précité Fox-hound rentre dans la catégorie, et plus encore le Pointer, bien connus et appréciés pourtant.

En vérité, on comprend mal qu’on se soit ému d’une opération rendue nécessaire, après l’autre guerre, par la pénurie des effectifs. On en verra bien d’autres. Depuis vingt ans, ou peu s’en faut, qu’eurent lieu ces événements, on ne saurait reprocher aux descendants de ces croisements anciens, ni manque de qualité, ni péché contre le type. Ce que les puristes munis d’une loupe peuvent découvrir sur un carré de peau n’a que mince ou même aucun intérêt. S’abaisser à prendre en considération tels détails équivaut à tout stériliser. Voir les ensembles, en premier lieu et avant tout ; descendre ensuite aux particularités secondaires, en leur attribuant l’importance qui leur revient. Telle semble la leçon de la sagesse, dont l’oubli mène aux sentiers de l’erreur.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 144