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Un terrible ennemi du pêcheur.

La loutre (1)

La reproduction (suite).

— La loutre femelle est un peu plus petite que le mâle d’âge égal ; la teinte de son poil est moins sombre.

Un peu ayant de mettre bas, elle entasse, dans son gîte, feuilles mortes, roseaux secs, herbes flétries, etc., pour en faire un liteau moelleux à l’intention de ses petits.

Elle porte un peu plus de deux mois après l’accouplement et met au monde le plus souvent deux petits, parfois trois, beaucoup plus rarement davantage.

Ces petits loutreaux ont un pelage grisâtre et soyeux, ils sont fort jolis, et ressemblent à de tout petits chiens ; ils naissent les, yeux, fermés, mais sont moins longs à les ouvrir que nos petits toutous.

La femelle les allaite pendant un mois environ et, après le sevrage, leur apporte les meilleurs morceaux des gros poissons qu’elle peut prendre.

Le mâle n’assiste la femelle que pendant un temps relativement court. Dès que les petits peuvent sortir et aller à l’eau, il s’en sépare pour reprendre sa vie vagabonde et aventureuse.

La femelle, au contraire, veille sur eux tant qu’ils demeurent incapables de pourvoir eux-mêmes à leur subsistance.

Ce n’est qu’au moment où ils sont arrivés à pouvoir le faire avec fruit qu’elle les chasse du gîte et les force à aller s’établir ailleurs. Ces jeunes ne deviendront vraiment adultes que vers leur troisième année. Certains auteurs ont admis que la loutre pouvait vivre trente ans ; je ne voudrais pas les contredire, mais j’estime que peu de ces animaux doivent dépasser leur vingtième année.

Comment chasse la loutre.

— La loutre ne chasse d’habitude que pendant la nuit. Elle commence à errer peu après le crépuscule et, si elle n’a pas de petits à nourrir ou à dresser à la pêche, elle ne rentre au gîte que peu avant l’aube.

D’ordinaire, elle débute en remontant la rivière pour aborder de suite les endroits qu’elle sait poissonneux.

Elle ne suit pas constamment la voie d’eau, mais, au contraire, emprunte souvent le sol de la rive, coupant au plus court par la corde les arcs de cercle des méandres. À certains indices, tels qu’herbes foulées, aplaties, sol piétiné, damé, le chasseur se rend compte de ses cheminements coutumiers.

Dans l’eau, il est rare qu’elle procède par poursuite directe du poisson convoité, car, toute nageuse émérite qu’elle soit, elle ne peut espérer le devancer dans sa course. Elle emploie plus volontiers la ruse, bat l’eau avec violence, nage, plonge avec grand bruit.

Effrayés, les gros poissons se réfugient sous les berges ou dans les herbes aquatiques, où ils sont plus faciles à saisir.

Si la nuit est claire, la lune dans tout son éclat, elle se met volontiers à l’affût à la pointe d’un îlot ou sur un cap avancé de la rive. Sa vue perçante et adaptée à la demi-obscurité lui permet d’apercevoir les belles pièces évoluant dans une eau transparente et peu profonde ; elle bondit comme un tigre sur la plus rapprochée et s’en empare par surprise. Elle a un faible tout particulier pour les poissons de belle taille, et on a même vu de grosses loutres s’attaquer avec succès à des saumons adultes.

Sans nul doute, les belles pièces sont moins agiles dans leurs évolutions que les petits poissons et, de ce fait, plus faciles à saisir et puis ... le morceau en vaut la peine. Jamais la loutre ne mange un poisson dans l’eau. Dès qu’elle s’en est emparée, le tenant à pleine gueule par le travers du corps, elle s’empresse de nager vers la rive, y aborde et transporte sa prise à quelques mètres de la limite des eaux. Là, elle lui ôte aussitôt le moyen de fuir, soit en lui écrasant la tête de ses dents puissantes, soit en lui brisant la colonne vertébrale d’un seul effort de sa terrible mâchoire ; elle dévore ensuite sa victime encore pantelante. Gourmande, elle s’attaque surtout aux parties charnues du dos et de la queue, alors que les loutreaux visent tout d’abord les intestins du poisson ; la mère maintient celui-ci immobile avec ses pattes de devant ; nos mustélidés laissent souvent des restes.

La loutre ne mange pas, habituellement, d’autre poisson mort que celui qu’elle a capturé elle-même et dévoré seulement en partie. Si elle n’a pas fait bonne pêche, elle revient parfois finir ses reliquats de la veille, mais c’est rare et n’a guère lieu qu’en temps de glace, car elle est habile, courageuse et entreprenante.

Si la proie est de taille, elle s’en tient là pour l’instant ; elle ne retourne pas à l’eau de suite, mais, au contraire, va et vient sur terre, se roule sur le sol, s’arrête pour écouter et déposer ses excréments sur ou à côté d’une grosse pierre de couleur claire qui a, on ne sait trop pourquoi, un réel pouvoir attirant sur elle. Sa course errante se poursuit ensuite, soit sur la berge, soit dans la rivière.

Mais, dans moins d’une couple d’heures, la faim inexorable se fera de nouveau sentir, car son appétit est robuste et son estomac complaisant. Elle reprendra alors sa chasse, et bientôt une nouvelle victime viendra s’ajouter à la première.

C’est ainsi que, sur le parcours habituel d’une grosse loutre que je recherchais depuis plusieurs jours sans succès, j’ai constaté la présence de restes de quatre poissons différents : une carpe d’environ une livre, deux perches un peu plus petites et un chevenne de 400 grammes environ, à peine entamé ; c’était bien la première fois que je constatais pareil carnage.

Une fois repu, notre mustélidé songe à reprendre le chemin de son gîte, mais il ne se presse pas et s’attarde souvent à muser aux endroits où il pense n’avoir rien à craindre.

D’ailleurs, hormis l’homme ou le chien de forte taille, qui donc songerait à l’inquiéter depuis que les loups ont à peu près disparu du territoire ? Or, il est fort rare qu’elle vienne à rencontrer ces deux redoutables ennemis en pleine nuit dans les campagnes désertes ; la finesse de son ouïe et de son odorat est là, aussi, pour lui permettre de les éviter.

Quand une épaisse couche de glace recouvre la rivière, la recherche de la nourriture s’avère plus ardue ; il faut trouver les endroits où la croûte solide, fissurée et brisée, puisse lui permettre de s’introduire au-dessous pour chasser le poisson.

C’est alors qu’on peut le mieux constater la singulière faculté dont elle a été douée par la nature, celle de pouvoir rester sous l’eau jusqu’à cinq ou six minutes, sans reparaître pour venir respirer. À part les pinnipèdes et les cétacés, il n’existe probablement aucun autre mammifère capable de pareille performance. On sait que l’homme le mieux exercé ne peut guère rester en plongée plus de trois minutes, et encore cela répété souvent ne serait pas sans de graves inconvénients pour sa santé.

(À suivre.)

R. PORTIER.

(1) Voir nos 595 et 596

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 146