Je trace ce titre instinctivement, me souvenant de l’avoir
lu, il y a quelque vingt-cinq ans, en tête d’un article émouvant qui fut le
dernier écrit par Georges Boillot.
Le grand champion de l’automobile des temps heureux, avant
de trouver une mort glorieuse en combat aérien, partit en effet dès le début de
l’autre guerre, d’abord comme chauffeur du Grand Quartier Général, puis comme
chargé de missions de haute envergure, nécessitant valeur, prudence et courage.
C’est dans la Vie au Grand Air que venait de faire
renaître le regretté Jacques Mortane que Georges Boillot énumérait, quatre
jours seulement avant de tomber au champ d’honneur, les innombrables services
rendus par l’automobile aux armées. D’une plume alerte, il décrivait l’héroïsme
et la hardiesse des soldats servant dans l’automobile, puis, à côté des
prouesses des auto-mitrailleuses, les mille et une fonctions les plus
inattendues confiées aux automobiles.
L’article de Georges Boillot — je le revois encore — était
illustré de petites images qui montraient successivement : l’auto légère
d’état-major, le tracteur pour le transport des pièces lourdes, le train
complet des escadrilles comprenant voitures légères, tracteurs et
remorques ; l’auto projecteur, l’auto radio, le camion atelier, l’automobile
mixte pouvant être employée à la fois sur rail et sur route, la cuisine
roulante, l’auto-bazar, l’autobus de ravitaillement, l’araba-colombier, l’auto coupe-fils,
le convoi de transports de troupes, l’auto citerne, et enfin toute la gamme des
autos mitrailleuses blindées des armées alliées, qui furent une des plus
éclatantes révélations de la guerre de mouvement.
« Jamais, disait le pauvre Boillot, nous n’oublierons
que les taxis de Paris amenèrent les renforts qui nous permirent de gagner la
bataille de la Marne et que des milliers de camions, comme une chaîne sans fin,
alimentèrent la résistance de Verdun. »
Ce sont là pages historiques.
Et pourtant, l’auto, comme l’avion, lorsque se déchaîna le
cataclysme d’août 1914, n’était pas préparée à son rôle de guerre !
Quand une mobilisation rigoureuse enrégimenta tous les
véhicules à moteur du territoire, le rôle essentiel auquel ils parurent
destinés, suivant leur classe, fut celui du ravitaillement ou de la liaison
légère.
L’adaptation de l’auto de façon efficace et intime à
l’action de guerre de toute la nation en marche se fit au long des batailles.
Son évolution alla de pair avec l’improvisation sublime de tout notre arsenal
de guerre moderne qui mit la science et la puissance de production de l’une de
nos grandes industries nationales au service de nos armées.
Les taxis de la Marne, les camions de Verdun, marquèrent
effectivement les deux épisodes les plus caractéristiques de l’apparition de
l’automobile dans la guerre.
Pour le premier, on sait que von Kluck, avec une
formidable armée, menaçait de déborder sur l’Ourcq la défense de Paris. Il
fallait d’urgence du renfort.
Idée magnifique de Gallieni : tous les garages des
taxis-autos sont mobilisés, tous les véhicules réquisitionnés dans Paris, et
1.100 taxis avec cinq soldats par voiture, accomplissent deux fois, dans la
nuit du 7 au 8 septembre, au « compteur », le voyage de Paris à Nanteuil-le-Haudouin,
tandis que l’artillerie faisait l’étape par la route et que les ravitaillements
prenaient la voie ferrée. Ces 11.000 hommes et cette randonnée nocturne des
taxis parisiens déterminaient la victoire.
Six mois plus tard, l’armée du Kronprinz assiège Verdun,
dont la position est terrible en raison de la pénurie des moyens de
communication.
Mais des milliers de camions automobiles, se succédant jour
et nuit sur la « Voie sacrée », entretiennent sans arrêt la liaison
entre le pays et le place forte menacée. « Les conducteurs épuisés de
fatigue, disait Jean Daçay, accrochés à leur volant comme les poilus à leurs
tranchées, permirent à nos soldats de tenir tête à l’ennemi. La ténacité de
cette armée roulante fut telle que le généralissime cita les camions et les
tracteurs à l’ordre de l’armée ! »
Les tanks, enfin, se révélèrent, à la prise du fort de la
Malmaison et cette fois, avec eux, l’automobile entrait directement,
glorieusement, dans la lutte.
Or l’automobile, qui, dès 1914, fut qualifiée d’auxiliaire
précieuse de la victoire, était loin d’avoir atteint au degré de perfection, de
développement et de popularité d’aujourd’hui.
Je puis en parler savamment, ayant conduit moi-même, en
1918, des autos sanitaires en Champagne.
On ignorait alors le démarrage automatique, la roue de
secours et les phares électriques. On lançait le moteur à la manivelle, on
démontait les pneus pour réparer les trous, et la nuit, sur les routes
défoncées, on allait en tâtonnant à la lueur de modestes feux à
acétylène !
Que de progrès depuis ! Pendant un quart de siècle,
entre deux guerres, on n’a cessé de mettre au point, de polir, d’améliorer, de
perfectionner cette merveilleuse machine de sport, de plaisir et de service de
paix, qui maintenant devient, par transposition, non seulement une aide de
toutes les armes, mais une arme elle-même.
Le moteur, qui a bouleversé l’existence du genre humain en
multipliant les déplacements rapides, les échanges économiques, les relations
intimes entre peuples et continents, bouleverse aussi, tout naturellement, la
technique de la guerre et de la stratégie.
L’armée étant motorisée de pied en cap, il faudrait des
pages et des pages pour dire où, quand et comment est employée l’automobile.
Encore, y parviendrait-on ? N’est-elle pas partout ? N’est-ce pas
elle qui assure, directement ou indirectement, la vie de l’arrière et toute
l’intense activité du front ? Plus encore que l’argent, l’essence est le
nerf de la vie moderne. On n’imagine pas la paix et encore moins la guerre sans
l’auto qui apporte tout, rapidement, en n’importe quel point.
L’auto, qui a gagné des batailles alors qu’elle n’était
qu’en adolescence, fera mieux encore dans son âge mûr, n’en doutons pas.
Et, puisque la guerre est un match à gagner comme nous
l’avons déjà dit ici, considérons que la victoire reviendra finalement à
l’équipe la plus entraînée, mais aussi la mieux outillée.
* * *
Quelques mots maintenant sur la motocyclette, dont le rôle,
en guerre, est très important.
Considérée comme engin de sport pur, la motocyclette, il
faut bien le dire, avait perdu, avant cette guerre, un peu de sa vogue. Les
raisons en étaient nombreuses : mille difficultés financières empêchaient
d’organiser des épreuves, et, d’autre part, les prix intéressants des
automobiles incitaient plutôt les particuliers à se payer une voiture qu’une
moto ou qu’un side-car.
Il fallut les préoccupations graves de la Défense nationale
pour remettre en vedette la moto, non plus comme appareil de sport et
d’agrément, mais comme véhicule utilitaire.
Aussi bien, vit-on se transformer peu à peu les vieux clubs
sportifs en écoles prémilitaires. Plus de courses ou de circuits touristiques,
mais des brevets d’estafettes ; plus d’objets d’art et de médailles, mais
des diplômes attestant les qualités des futurs soldats.
Et ce n’est pas une petite affaire, ma foi, que de décrocher
un brevet d’estafette motocycliste, brevet qui était ouvert, précisons-le, tant
aux prémilitaires qu’aux militaires ou aux réservistes.
Il m’a été donné, l’été dernier, d’assister à ces concours,
imposés par l’autorité militaire, encouragés par les pouvoirs publics, ce qui
ne laissait pas de prouver l’esprit de prévoyance de nos gouvernants.
Bien que le jeu d’équipes intervienne au classement général,
le concours entier se déployait sur une base individuelle. Aussi chaque
concurrent avait-il aménagé sa moto à sa façon et s’était-il entouré
d’instruments : planchettes, boussoles, etc., selon sa propre initiative.
Après un interrogatoire technique serré, la première épreuve
fut un tir à 200 mètres, chacun plaçant 5 balles en 30 secondes.
Puis ce fut l’exécution du croquis panoramique, consistant à
fixer sur le papier un coin de paysage, ceci pour éclairer les commandants
d’unités d’artillerie ou du train des équipages pour les tirs et défilements.
Et enfin les véhicules affrontèrent les routes et les
pistes. Sur route, ce furent des reconnaissances d’itinéraires à la carte et
des circuits en temps record ; sur piste, ce furent des gymkanas en
terrain varié, avec obstacles sérieux : fossés, ondulations, escalade de
collines, virages en épingles à cheveux, arrêt et départ en côte, passage dans
les pierres, les rochers, et même traversée d’une, mare !
Vingt minutes étaient accordées pour effectuer le
trajet ; or, on vit un cuirassier ayant crevé et changé de roue, terminer
en quinze minutes !
Aussi, nous pouvons faire confiance à nos motocyclistes
comme à nos automobilistes.
Le sport a fait d’eux des « as. », qui sont
admirablement préparés à la rude tâche qu’ils affrontent aux armées.
Distraction hier, l’auto et la moto sont aujourd’hui
instruments de défense. Le sport, quel qu’il soit n’était donc, pas un
« enfantillage » !
Ennemonde DIARD.
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