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Tourisme

Un chemin de fer à 1.900 mètres.

En mettant de l’ordre dans mes archives, je retrouve quelques notes et quelques photos prises au cours d’un voyage qui remonte déjà à deux ans.

Je regrette de ne pas pouvoir mettre ces dernières sous les yeux des lecteurs du Chasseur Français ; mais je veux, tout au moins essayer, en utilisant les premières, de leur donner une idée de ce site si particulier, unique, on peut le dire, en France, par les moyens d’accès, tout d’abord, qu’il faut utiliser pour y accéder, et, ensuite, par le panorama unique qui s’y déroule.

C’est le plateau d’Artouste, dans les Basses-Pyrénées.

On y parvient en partant de Laruns, point terminus de la voie ferrée (embranchement Buzy-Laruns). On quitte la N. 139 bis qui se dirige vers Eaux-Bonnes et le col d’Aubisque pour s’engager, à droite, sur la N. 134 bis, dans l’étroite gorge boisée de Hourat où coule le gave d’Ossau. En avant, se découpe la silhouette caractéristique du Pic du Ger, tandis qu’à droite, comme prise dans la muraille de la gorge, se dresse une blanche statue de la Vierge.

La route s’élève tout de suite, dominant en corniche la rive droite du gave, entre deux parois où quelques arbustes essaient, tant bien que mal, de s’accrocher. Après avoir franchi un court tunnel et un pont qui enjambe hardiment une faille, on arrive aux Eaux-Chaudes.

Moins connue, moins fréquentée et, par suite, beaucoup moins animée que les Eaux-Bonnes, la station thermale des Eaux-Chaudes s’allonge le long du gave, comme étouffée par la masse énorme du Gourzy. Comme celles de sa rivale, quelques-unes de ses sept sources sont utilisées pour le traitement de l’appareil respiratoire ; d’autres, pour les affections gynécologiques. Elle est le centre de très jolies promenades, et aussi d’ascensions plus délicates, que je ne vous conseille pas de faire sans guide.

Après le Pont d’Enfer, la route passe sur la rive gauche du gave et pénètre plus nettement dans le massif que dominent le pic Biscau (2.020 m.), le pic de Goupey (2.209 m.), et, plus loin, le pic Lavigne (2.007 m.) et le pic de la Sagette (2.130 m.). On passe devant l’usine électrique Miégelat, et on traverse le torrent du Bitet. Là est l’origine d’un sentier qui permet d’atteindre, à un quart d’heure de marche environ, un gouffre sur lequel le coup d’œil est assez saisissant, mais dont l’approche n’est pas sans danger.

Bientôt apparaît le géant de la région, le pic du Midi d’Ossau (2.885 m.) avec sa forme si caractéristique, celle d’un pain de sucre qu’une étroite faille sépare en deux pointes.

Voici Gabas, très modeste village, au confluent du gave de Bions et du gave de Broussel dont la réunion va former le gave d’Ossau. On y trouve un hôtel qu’explique sa situation au point de départ de l’ascension du pic du Midi. Voici, d’autre part, sur la gauche, de nouveaux sommets, le pic Lurien (2.353 m.), aussi verdoyant et boisé qu’est dénudé et sauvage son voisin, le pic d’Arrious (2.825 m.). Voici, dans le lit du torrent les barrages et, enfin, l’usine hydro-électrique d’Artouste. C’est là que je voulais vous amener.

L’usine d’Artouste, comme celle de Miegebat et celle du Hourat, que nous avons rencontrées sur notre route, fut construite par l’ancienne Compagnie du Midi pour utiliser les eaux du lac d’Artouste, en vue de l’électrification de son réseau. Elles fournissent, à elles trois, une force de 130.000 CV. Le lac d’Artouste est sur un plateau, à 2.000 mètres d’altitude. Pour le transport des matériaux et du personnel, il fallut établir un téléphérique reliant la route au plateau, soit une différence d’altitude de 800 mètres, tandis qu’un petit chemin de fer à voie étroite joignait la station supérieure du téléphérique au lac, soit un parcours de 10 kilomètres environ. Une fois les travaux terminés, la Compagnie eut l’excellente idée d’ouvrir au public ce téléphérique, simple monte-charge au début et ce chemin de fer, humble desservant des chantiers. Ainsi fut révélé aux touristes un site quasi inconnu qu’on ne pouvait atteindre jusque-là qu’après une marche en montée de six heures par les trois cols d’Arrious, et une descente de quatre heures par le val sauvage du gave du Souséou.

Mais, plus encore que la facilité d’accès, c’est le spectacle inédit qui fait l’attrait de cette excursion.

Doucement, la cabine quitte son garage, la terre fuit sous les pieds des voyageurs. Bientôt on domine de haut les sapins altiers. Sur le flanc de la montagne où, jadis, l’eau tombait librement, belle et radieuse, comme une coulée d’argent, d’énormes cylindres noirs l’emprisonnent, serpentant entre deux massifs de béton qui marquent leur naissance et leur fin. Vers le Sud, la vue s’étend sur les sommets. Tout à coup, dans l’échancrure que laissent entre eux les pics Saoubiste et Moutarde, un sommet apparaît. C’est le pic du Midi. Il semble, à mesure que l’on avance, qu’il monte aussi sur l’horizon. L’illusion d’optique est telle qu’on s’y laisse prendre malgré soi. Il grandit, il s’élève, il exhausse un peu plus ses crêtes. C’est certainement un des plus beaux et des plus curieux coups d’œil que l’on puisse voir dans les Pyrénées. J’en ai eu le spectacle en été, dans le rayonnement du soleil, et en hiver sous la neige, et j’ai conservé un inoubliable souvenir ; le trajet de 1.314 mètres dure sept minutes, sur une pente de câble qui varie entre 74 et 83 p. 100.

Comme tous les téléphériques construits en France, et qui ne sont livrés à la circulation qu’après un consciencieux examen, le téléphérique d’Artouste assure toute sécurité. Mais j’ajouterai qu’il offre une sécurité supplémentaire : c’est qu’en cas d’arrêt de la cabine en un point quelconque du parcours, un câble tracteur auxiliaire permet d’actionner une cabine de secours et d’aller prendre les voyageurs, leur évitant une longue et déprimante attente, comme cela s’est produit déjà sur d’autres parcours.

Et maintenant, embarquons-nous sur le petit chemin de fer, le seul qui, en France du moins, ait son parcours entier au-dessus de 1.900 mètres. Les 10 kilomètres, qu’il franchit, à une paisible allure, en une heure à peu près, sont un émerveillement. Tantôt la voie est en encorbellement sur le vide, au-dessus du Souséou, tantôt elle traverse les herbages de la montagne, émaillés de fleurs, où paissent des vaches placides. La station d’arrivée est en contre-bas du barrage du lac. Une courte ascension permet d’atteindre la rive.

Entouré sur trois côtés par de hauts escarpements, libre vers le Sud, le joli lac d’Artouste mérite qu’on s’y arrête quelques instants. On peut même en faire le tour en barque, car la nacelle est là, toute prête à s’offrir à vos désirs.

Et, maintenant, il ne reste plus qu’à revenir. La descente s’effectue au même rythme que la montée, et la même illusion va vous enchanter. Cette fois, le pic altier semble s’enfoncer comme dans un décor de théâtre pour disparaître progressivement derrière l’écran d’où nous l’avions vu sortir.

Profiterons-nous de l’occasion pour faire un petit tour en Espagne ? Nous n’en sommes pas loin : c’est l’affaire d’une douzaine de kilomètres. La route continue à s’élever, mais la pente ne dépasse pas 7 p. 100. Voici les cabanes de Pont de Camps ; les bois s’éclaircissent et, bientôt, disparaissent ; ce n’est plus que des gazons maigres, des blocs de roches et des éboulis, et nous atteignons le Col du Pourtalet (1.792 m.) : à gauche, la dentelure du pic du Pourtalet ; à droite, la pointe aiguë du pic d’Arréou. Nous sommes à la frontière. Autrefois, elle n’était marquée par aucun poteau ; seul, le changement de pente indiquait qu’on passait de France en Espagne. Peut-être, depuis la guerre civile et depuis que nous, à notre tour, sommes en guerre, les choses ont-elles changé ? À mon dernier voyage, on ne pouvait accéder au col, on était arrêté, avant d’y arriver, par la garde mobile.

La vue sur le Sud est splendide. À gauche, le pic de Forata ; à droite, les crêtes déchiquetées d’Assayet. Dans le fond, les montagnes de Sallent, couvertes de neige. Le pays est d’ailleurs désertique. Seul le Rio Gallego, gazouillant sur un lit de galets, met une note gaie dans le paysage. On pouvait parcourir ainsi 6 kilomètres en territoire espagnol avant d’atteindre le poste de carabiniers de Lanuza, et 4 autres encore pour arriver à la douane de Sallent. Il est vrai que, de notre côté, la douane française est aux Eaux-Chaudes, c’est-à-dire à 35 kilomètres de là.

Mais il est probable qu’à l’heure actuelle, ce no mans land a subi quelques transformations.

Marcel VIOLLETTE.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 156