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Cidrerie

Eaux-de-vie de cidre et de poiré « piquantes »

Les cultivateurs cidriers qui distillent des cidres ou des poirés ou un mélange des deux, d’après la méthode dite « de repasse », sont, parfois, surpris très désagréablement par un accident de fabrication.

Ils constatent, au moment de la sortie des « petites eaux » du serpentin, qu’il se répand dans la brûlerie une odeur forte et suffocante qui les indispose rapidement, provoque le larmoiement des yeux et rend la respiration difficile. La repasse effectuée donne une eau-de-vie à odeur et à saveur piquantes et désagréables qui lui enlèvent toute valeur marchande.

Cause des défauts.

— La principale est due, d’après les recherches de M. Warcollier, à la présence dans les petites eaux et, plus tard, dans l’eau-de-vie, d’un excès de produits appelés aldéhydes résultant de l’oxydation de l’alcool ; mais d’où viennent-ils ?

Les producteurs qui cultivent des poiriers savent, tous, qu’un grand nombre de variétés de poires appartenant aux deux premières maturations blettissent facilement. Deux savants suisses, MM. Müller Thurgau et Osterwalder, ont trouvé, il y a plusieurs années, que les poires blettes, possèdent une petite quantité d’acétaldéhyde qui s’accroît d’autant plus que le blettissement est plus complet et que celle-ci communique à la chair des fruits, et par suite, au jus et au poiré, un goût caractéristique plutôt désagréable.

Lorsque le poiré de telles poires est distillé, comme l’aldéhyde est un liquide qui bout entre 20 et 21 degrés, elle passe tout au début avec les petites eaux, et elle détermine dans la brûlerie les phénomènes dont il est parlé plus haut et qui sont absolument caractéristiques d’un excès d’aldéhyde. M. Warcollier, qui a bien étudié autrefois ces mêmes caractères chez certains cidres, a trouvé que, dans les cas où l’aération est notable sans être exagérée, le séjour des lies dans les cidres favorise, grâce à des levures aérobies, la production des aldéhydes. De plus, les cidres destinés à la chaudière n’étant, en règle générale, jamais soutirés, le chapeau qui se forme à la surface porte toujours des levures dont le caractère aérobie est très prononcé, d’où cause de production d’aldéhydes, qui vient s’ajouter à la précédente, sans oublier, en outre, que la présence dans les cidres de certains microorganismes, ferments de maladies, renforce encore l’action de la levure mentionnée ci-dessus.

Toutefois, le rôle de l’aération est très complexe et semble parfois contradictoire, car, si celle-ci est exagérée, la production des aldéhydes s’augmente d’abord ; mais, comme elles sont très oxydables, elles peuvent se transformer en acide acétique et disparaître en grande partie avec ce dernier par combustion, mais il peut se produire aussi une réaction inverse.

Le mieux est de conduire la fabrication des boissons, de manière que leur aération soit faible, car, ainsi, il en résultera un ensemble de bouquets et de saveurs très intenses qui donneront finalement aux eaux-de-vie toutes leurs qualités.

Voici, maintenant, les traitements employés pour empêcher la présence d’un excès d’aldéhydes.

Traitements préventifs des fruits et des boissons.

— Ils consistent pour les poires :

    1° à soumettre celles-ci au pressurage, avant qu’elles n’aient été atteintes par le blettissement, que l’on peut, pour certaines variétés, diminuer ou reculer suffisamment en les conservant dans un grenier bien ventilé sous une faible épaisseur ne dépassant pas 0m,60 au maximum ;

    2° à faire entrer en fermentation rapidement et complètement le jus au sortir du pressoir, soit avec ses levures naturelles, soit avec des levures sélectionnées du commerce, en recourant à un pied de cuve et à une température de 25 à 28 degrés.

Mais, comme l’on sait que l’aération est un des facteurs de la production de l’aldéhyde éthylique, on aura soin de l’éviter le plus possible, en faisant fermenter dans un tonneau fermé à l’aide d’une bonde percée d’un trou permettant le dégagement de l’acide carbonique produit pendant la fermentation. On distillera aussitôt que celle-ci sera terminée, pour qu’il n’y ait pas de contact prolongé de la boisson avec les lies ou le chapeau.

Pour les pommes, on évitera leur échauffement en les mettant en tas, comme il est dit ci-dessus et l’on rejettera toutes celles qui seront atteintes d’une pourriture noire ou d’une pourriture blonde complète. Pour le reste, fermentation et distillation, on agira comme pour le poiré.

Afin d’éviter l’influence d’une longue aération, si, à l’époque de la distillation de ses cidres ou poirés, le cultivateur cidrier est forcé, pour une raison quelconque, de l’arrêter et de laisser en vidange le tonneau entamé, il devra le munir d’une bonde le fermant hermétiquement.

Traitements curatifs des boissons et eaux-de-vie.

Cidres et poirés. — Lorsqu’un cidrier possédant plusieurs tonneaux de l’une ou l’autre boisson provenant d’un même approvisionnement de fruits, s’apercevra à la distillation que les petites eaux d’un tonneau produisent les phénomènes décrits plus haut, il devra s’assurer, par des essais en petit, si les autres récipients ne présentent pas ces mêmes caractères et, dans l’affirmative, il les soutirera d’abord, s’il ne l’a déjà fait, pour que leurs liquides ne séjournent pas plus longtemps sur les lies. Puis, pour diminuer leur excès d’aldéhydes, il produira une forte aération en faisant arriver à la partie inférieure des tonneaux débondés un afflux d’air pendant cinq minutes au moyen d’une pompe. Cette opération sera répétée pendant quelques jours.

Petites eaux. — M. Warcollier a essayé divers traitements basés sur l’action de corps oxydants ou réducteurs : eau oxygénée, permanganate de potasse, poudre d’aluminium, et c’est cette dernière qui lui a donné les meilleurs résultats, mais ils ne peuvent encore être pratiqués à la ferme : nous nous contenterons de les signaler.

Eaux-de-vie. — On a conseillé aux producteurs de laisser débondés les fûts qui les contiennent, pendant un certain temps, parce que les aldéhydes disparaissent en grande partie et qu’on peut alors utiliser les eaux-de-vie en coupage avec de bonnes eaux-de-vie. Cependant, il arrive, parfois, que, si l’odeur et la saveur piquantes, qui leur enlèvent leur valeur marchande, sont très affaiblies, elles peuvent devenir acres et amères.

Mais certains distillateurs ont préconisé, dans ce cas, de les traiter par l’ammoniaque. C’est à tort, et il faut bien s’en garder, car cette manipulation serait considérée frauduleuse et susceptible de sanctions pénales.

Il vaudrait mieux, à notre sens, réduire l’eau-de-vie à 20 degrés par addition d’eau potable, et la redistiller en ayant grand soin de mettre de côté les produits de tête qui renfermaient la presque totalité des aldéhydes, puisque leur point d’ébullition est très bas, 21 degrés, pour ne conserver que l’alcool de cœur. Celui-ci, mélangé avec de l’eau-de-vie normale, constituerait une eau-de-vie ordinaire, mais de qualité marchande.

L. LANEUVILLE.

Le Chasseur Français N°597 Mars 1940 Page 164