La chasse du sanglier à courre est une des plus
prenantes et des plus passionnantes : l’animal que l’on courre étant un
rude adversaire qui se défend magnifiquement jusqu’à la dernière minute.
Il en existe de plus savantes et de plus brillantes, mais
pas une qui ne nous fasse vibrer plus intensément, du lancer à la prise ;
car, à l’enivrement de la poursuite et à l’idée que l’on chasse un animal
méchant, nuisible et redoutable, s’ajoute cette griserie spéciale que produit
tout exercice violent. Galoper pendant des heures à plein train, passer
partout, soutenir de la voix et de la trompe une meute qui ne doit laisser nul
répit à l’animal de chasse, est un sport rude et dur ; c’est ainsi qu’il
faut courir le sanglier, si l’on veut prendre.
Le sanglier s’attaque, soit à la billebaude, soit sur une
brisée. La première méthode est celle qu’emploient souvent les petits
vautraits, d’une quinzaine de chiens, où l’on découple, en fin de chasse, le relais
de miséricorde, ou, pour mieux dire, où on raccourcit l’animal de meute
d’un coup de fusil. Montés sur un pied modeste, ces équipages n’ont souvent pas
le personnel suffisant pour faire le bois avec méthode ; ils doivent donc
se contenter d’indications : cantons fréquentés par les bêtes noires, voie
de bon temps d’un animal que l’on n’a pu finir de rembûcher, etc., pour lancer.
Pour ce faire, beaucoup découplent de grand matin. Ils
parcourent assez rapidement avec leurs chiens, et il est nécessaire que parmi
eux il y ait d’excellents rapprocheurs, les bons endroits de la forêt, les
bordures, enveloppant un assez grand territoire de façon à croiser une voie sur
laquelle les chiens se rabattent. Ils procèdent ensuite, pendant le rapprocher,
un peu comme le valet de limier, cherchant à avancer la quête et aidant de leur
mieux les chiens.
Il est bon de savoir où les sangliers aiment demeurer
pendant les différentes époques de l’année, car leurs habitudes varient suivant
les saisons. Pendant les premiers mois de la chasse, en octobre et novembre,
les bêtes noires quittent peu les grands bois, car ils y trouvent une abondante
nourriture avec les glands, les faînes, les noisettes ; c’est l’époque où
ils sont au mieux de leur forme, gras, vigoureux, en pleine venaison, mais
aussi des plus résistants et des plus méchants.
Le mois de décembre voit l’époque du rut ; à ce moment,
les animaux sont toujours en mouvement à la recherche des laies et on en revoit
partout ; ils se remettent au jour dans le premier fourré qu’ils
rencontrent, mais ils y restent parfois peu de temps.
Dès que les froids sévissent, en janvier et février, ils se
recèlent dans les forts les plus épais, à l’abri des arbres résineux, dans les
endroits les mieux exposés au soleil, car on peut dire qu’on n’en trouvera
presque jamais sur quelque pente exposée au Nord.
Quand la température devient plus clémente avec mars et
avril, c’est dans les fourrés des cantons exposés au Midi où les sangliers
vivent de racines, de glands et de vers. L’été, ils gagnent les bordures de la
forêt pour être à portée des récoltes où ils donnent régulièrement.
Rapprocher ainsi un cochon, par un bon temps et avec un bon
équipage, est une grande joie pour un vrai veneur ; il y trouve autant de
plaisir que pendant la chasse ; souvent même davantage, car il a joui du
merveilleux travail de ses rapprocheurs, défaisant sous ses yeux toute la nuit
du goret, passant sans broncher, parmi les hardes d’animaux leur partant à vue,
les voies qui s’emmêlent ; toutes choses qui font mieux ressortir et leur
finesse de nez et leur sagesse.
Certains ne découplent que leurs rapprocheurs les plus
sûrs ; c’est évidemment le vrai principe, et ils écartent ainsi le risque
de nombreuses bêtises que de jeunes chiens, moins créancés et aguerris,
pourraient commettre sur des animaux leur bondissant sous le nez. Mais, il
existe alors une réelle difficulté : c’est de donner la meute à propos. Il
faut que le gros des chiens soit conduit par un homme adroit et capable ;
sans cela, on s’expose à ne chasser qu’avec les rapprocheurs. Pour nous, c’est
à l’attaque de meute à mort, où vont, comme toujours, nos préférences :
bien que paraissant plus hasardeux, nous estimons que les difficultés qui se
produisent pendant le rapprocher ne sont pas irréparables ; on peut
arrêter quelques chiens qui s’emballent et les faire rallier aux
rapprocheurs ; il en est tout autrement pour faire rallier à ces mêmes
rapprocheurs qui viennent de lancer un sanglier, le train du début étant tel
que tout contact devient impossible, à moins que l’on ne « motorise »
la meute à l’aide de quelque camionnette dont le pays, permet l’usage ;
mais ceci est une autre histoire ...
Un grand vautrait n’attaque que sur une brisée. Nous avons
décrit, dans ces mêmes colonnes, le travail du valet de limier, rembûchant
avant la chasse un animal ; nous n’y reviendrons donc pas, si ce n’est
pour dire que ce travail est le plus pénible et le plus délicat de tous quand
il s’agit de détourner un sanglier. Ce nomade, véritable vagabond, fait
facilement trois, quatre ou six lieues dans sa nuit ; il ne se rembûche pour
ainsi dire jamais dans l’enceinte où il est sorti ; il fait des faux rembûchements
des plus compliqués ; ce simple résumé contient les principales
difficultés dont nous parlions, elles ne sont pas minces.
Il ne faudra donc pas être trop sévère vis-à-vis du valet de
limier qui donne un buisson creux : cela peut échoir à beaucoup de bons
veneurs ; il arriverait vite à ne plus rien indiquer au rapport de peur
d’être réprimandé, et il vaut mieux une mauvaise brisée que rien du tout. Mais
là encore c’est de la valeur du maître d’équipage que dépendra celle des
hommes ; à un connaisseur, à un passionné qui lui-même ira au bois le
matin, prenant une quête qu’il parcourra avec son limier, qui sera capable de
juger un animal par le pied, on n’ira pas raconter d’histoires comme certains
porte-plaques peu scrupuleux le font à des patrons un peu ... jeunes dans
le métier !
Pour prendre un sanglier, il faut se souvenir que :
1° Il faut l’étouffer dès l’attaque ;
2° Si, pendant la chasse, il peut se reposer, souffler et
pisser, il sera presque imprenable ;
3° Le change est difficile à garder, surtout si l’on a
attaqué sur une compagnie, car les sangliers attaqués ensemble se suivent
presque toujours, et les chiens trouvent devant eux des animaux également
échauffés. Les bons chiens, avec de la pratique, arriveront à garder change, à
condition qu’ils chassent et percent vaillamment au fourré, si l’animal s’y
fait battre ; ceux qui le lâchent ou qui prennent les routes, risquent de
partir sur le premier animal qui videra l’enceinte où tourne l’animal de
chasse. Le bon chien de sanglier — comme tous les bons chiens — est
rare : il faut qu’il soit brave, vigoureux, chasseur tenace, vite et
perçant, ne craignant pas le fourré et aimant la voie des bêtes noires ; ce
n’est pas impossible à trouver ; la vraie difficulté est d’avoir des
chiens de même pied, car, les défauts étant inexistants, la menée se déroule à
plein train et il faut que tout le monde suive.
Tous les vieux auteurs s’accordent à dire qu’on doit
attaquer le sanglier de meute à mort, surtout s’il est méchant et bien
armé ; à notre avis, c’est le meilleur moyen de faire démolir inutilement
ses meilleurs chiens.
Dressés, en notre plus jeune âge, par un excellent, bien que
modeste, chasseur de sanglier, nous avons pu voir que sa méthode d’attaquer
était bien supérieure. Il ne découplait que trois ou quatre rapprocheurs sur un
animal supposé méchant ; ceux-ci arrivaient à la bauge et aboyaient leur
goret ; s’il décampait, on découplait la meute à l’écoute et tout volait.
Si, au contraire, l’animal faisait tête et refusait de partir, un garde — sans
bruit et sans appuyer les chiens, afin qu’ils ne prennent pas trop de hardiesse
— tâchait de l’approcher et de lui cingler les fesses d’une volée de
petits plombs ; je n’en ai jamais vu qui résistaient à ce dernier
argument ; on découplait alors et la chasse commençait sur le bon pied.
Il est dangereux aussi d’attaquer de meute à mort sur une
compagnie, plusieurs chasses pouvant se former, et quiconque a chassé le
sanglier sait combien il est parfois difficile de rompre des chiens à
l’attaque. Dans ce cas, les rapprocheurs sont plus indiqués pour lancer.
Mais, si on a affaire à un animal isolé — dont rien ne
prouve la méchanceté, et c’est le cas le plus fréquent, car les animaux vraiment
dangereux sont rares — il faut découpler toute la meute à ses trousses et
essayer de l’affoler par une attaque en trombe, dans le concert des récris
furieux, des fanfares de trompes et des vlôo des hommes, afin que l’animal
détale grand train et soit effrayé, car, plus il sera poussé vite au départ, et
plus vous aurez des chances de le prendre.
(À suivre.)
Guy HUBLOT.
(1) Voir numéro de mars 1940.
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