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La chasse au chien courant

Le sanglier (1).

La chasse du sanglier à courre est une des plus prenantes et des plus passionnantes : l’animal que l’on courre étant un rude adversaire qui se défend magnifiquement jusqu’à la dernière minute.

Il en existe de plus savantes et de plus brillantes, mais pas une qui ne nous fasse vibrer plus intensément, du lancer à la prise ; car, à l’enivrement de la poursuite et à l’idée que l’on chasse un animal méchant, nuisible et redoutable, s’ajoute cette griserie spéciale que produit tout exercice violent. Galoper pendant des heures à plein train, passer partout, soutenir de la voix et de la trompe une meute qui ne doit laisser nul répit à l’animal de chasse, est un sport rude et dur ; c’est ainsi qu’il faut courir le sanglier, si l’on veut prendre.

Le sanglier s’attaque, soit à la billebaude, soit sur une brisée. La première méthode est celle qu’emploient souvent les petits vautraits, d’une quinzaine de chiens, où l’on découple, en fin de chasse, le relais de miséricorde, ou, pour mieux dire, où on raccourcit l’animal de meute d’un coup de fusil. Montés sur un pied modeste, ces équipages n’ont souvent pas le personnel suffisant pour faire le bois avec méthode ; ils doivent donc se contenter d’indications : cantons fréquentés par les bêtes noires, voie de bon temps d’un animal que l’on n’a pu finir de rembûcher, etc., pour lancer.

Pour ce faire, beaucoup découplent de grand matin. Ils parcourent assez rapidement avec leurs chiens, et il est nécessaire que parmi eux il y ait d’excellents rapprocheurs, les bons endroits de la forêt, les bordures, enveloppant un assez grand territoire de façon à croiser une voie sur laquelle les chiens se rabattent. Ils procèdent ensuite, pendant le rapprocher, un peu comme le valet de limier, cherchant à avancer la quête et aidant de leur mieux les chiens.

Il est bon de savoir où les sangliers aiment demeurer pendant les différentes époques de l’année, car leurs habitudes varient suivant les saisons. Pendant les premiers mois de la chasse, en octobre et novembre, les bêtes noires quittent peu les grands bois, car ils y trouvent une abondante nourriture avec les glands, les faînes, les noisettes ; c’est l’époque où ils sont au mieux de leur forme, gras, vigoureux, en pleine venaison, mais aussi des plus résistants et des plus méchants.

Le mois de décembre voit l’époque du rut ; à ce moment, les animaux sont toujours en mouvement à la recherche des laies et on en revoit partout ; ils se remettent au jour dans le premier fourré qu’ils rencontrent, mais ils y restent parfois peu de temps.

Dès que les froids sévissent, en janvier et février, ils se recèlent dans les forts les plus épais, à l’abri des arbres résineux, dans les endroits les mieux exposés au soleil, car on peut dire qu’on n’en trouvera presque jamais sur quelque pente exposée au Nord.

Quand la température devient plus clémente avec mars et avril, c’est dans les fourrés des cantons exposés au Midi où les sangliers vivent de racines, de glands et de vers. L’été, ils gagnent les bordures de la forêt pour être à portée des récoltes où ils donnent régulièrement.

Rapprocher ainsi un cochon, par un bon temps et avec un bon équipage, est une grande joie pour un vrai veneur ; il y trouve autant de plaisir que pendant la chasse ; souvent même davantage, car il a joui du merveilleux travail de ses rapprocheurs, défaisant sous ses yeux toute la nuit du goret, passant sans broncher, parmi les hardes d’animaux leur partant à vue, les voies qui s’emmêlent ; toutes choses qui font mieux ressortir et leur finesse de nez et leur sagesse.

Certains ne découplent que leurs rapprocheurs les plus sûrs ; c’est évidemment le vrai principe, et ils écartent ainsi le risque de nombreuses bêtises que de jeunes chiens, moins créancés et aguerris, pourraient commettre sur des animaux leur bondissant sous le nez. Mais, il existe alors une réelle difficulté : c’est de donner la meute à propos. Il faut que le gros des chiens soit conduit par un homme adroit et capable ; sans cela, on s’expose à ne chasser qu’avec les rapprocheurs. Pour nous, c’est à l’attaque de meute à mort, où vont, comme toujours, nos préférences : bien que paraissant plus hasardeux, nous estimons que les difficultés qui se produisent pendant le rapprocher ne sont pas irréparables ; on peut arrêter quelques chiens qui s’emballent et les faire rallier aux rapprocheurs ; il en est tout autrement pour faire rallier à ces mêmes rapprocheurs qui viennent de lancer un sanglier, le train du début étant tel que tout contact devient impossible, à moins que l’on ne « motorise » la meute à l’aide de quelque camionnette dont le pays, permet l’usage ; mais ceci est une autre histoire ...

Un grand vautrait n’attaque que sur une brisée. Nous avons décrit, dans ces mêmes colonnes, le travail du valet de limier, rembûchant avant la chasse un animal ; nous n’y reviendrons donc pas, si ce n’est pour dire que ce travail est le plus pénible et le plus délicat de tous quand il s’agit de détourner un sanglier. Ce nomade, véritable vagabond, fait facilement trois, quatre ou six lieues dans sa nuit ; il ne se rembûche pour ainsi dire jamais dans l’enceinte où il est sorti ; il fait des faux rembûchements des plus compliqués ; ce simple résumé contient les principales difficultés dont nous parlions, elles ne sont pas minces.

Il ne faudra donc pas être trop sévère vis-à-vis du valet de limier qui donne un buisson creux : cela peut échoir à beaucoup de bons veneurs ; il arriverait vite à ne plus rien indiquer au rapport de peur d’être réprimandé, et il vaut mieux une mauvaise brisée que rien du tout. Mais là encore c’est de la valeur du maître d’équipage que dépendra celle des hommes ; à un connaisseur, à un passionné qui lui-même ira au bois le matin, prenant une quête qu’il parcourra avec son limier, qui sera capable de juger un animal par le pied, on n’ira pas raconter d’histoires comme certains porte-plaques peu scrupuleux le font à des patrons un peu ... jeunes dans le métier !

Pour prendre un sanglier, il faut se souvenir que :

1° Il faut l’étouffer dès l’attaque ;

2° Si, pendant la chasse, il peut se reposer, souffler et pisser, il sera presque imprenable ;

3° Le change est difficile à garder, surtout si l’on a attaqué sur une compagnie, car les sangliers attaqués ensemble se suivent presque toujours, et les chiens trouvent devant eux des animaux également échauffés. Les bons chiens, avec de la pratique, arriveront à garder change, à condition qu’ils chassent et percent vaillamment au fourré, si l’animal s’y fait battre ; ceux qui le lâchent ou qui prennent les routes, risquent de partir sur le premier animal qui videra l’enceinte où tourne l’animal de chasse. Le bon chien de sanglier — comme tous les bons chiens — est rare : il faut qu’il soit brave, vigoureux, chasseur tenace, vite et perçant, ne craignant pas le fourré et aimant la voie des bêtes noires ; ce n’est pas impossible à trouver ; la vraie difficulté est d’avoir des chiens de même pied, car, les défauts étant inexistants, la menée se déroule à plein train et il faut que tout le monde suive.

Tous les vieux auteurs s’accordent à dire qu’on doit attaquer le sanglier de meute à mort, surtout s’il est méchant et bien armé ; à notre avis, c’est le meilleur moyen de faire démolir inutilement ses meilleurs chiens.

Dressés, en notre plus jeune âge, par un excellent, bien que modeste, chasseur de sanglier, nous avons pu voir que sa méthode d’attaquer était bien supérieure. Il ne découplait que trois ou quatre rapprocheurs sur un animal supposé méchant ; ceux-ci arrivaient à la bauge et aboyaient leur goret ; s’il décampait, on découplait la meute à l’écoute et tout volait. Si, au contraire, l’animal faisait tête et refusait de partir, un garde — sans bruit et sans appuyer les chiens, afin qu’ils ne prennent pas trop de hardiesse — tâchait de l’approcher et de lui cingler les fesses d’une volée de petits plombs ; je n’en ai jamais vu qui résistaient à ce dernier argument ; on découplait alors et la chasse commençait sur le bon pied.

Il est dangereux aussi d’attaquer de meute à mort sur une compagnie, plusieurs chasses pouvant se former, et quiconque a chassé le sanglier sait combien il est parfois difficile de rompre des chiens à l’attaque. Dans ce cas, les rapprocheurs sont plus indiqués pour lancer.

Mais, si on a affaire à un animal isolé — dont rien ne prouve la méchanceté, et c’est le cas le plus fréquent, car les animaux vraiment dangereux sont rares — il faut découpler toute la meute à ses trousses et essayer de l’affoler par une attaque en trombe, dans le concert des récris furieux, des fanfares de trompes et des vlôo des hommes, afin que l’animal détale grand train et soit effrayé, car, plus il sera poussé vite au départ, et plus vous aurez des chances de le prendre.

(À suivre.)

Guy HUBLOT.

(1) Voir numéro de mars 1940.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 196