Comment chasse la loutre (suite).
— La loutre détruit-elle pour le seul plaisir de
détruire ? Je suis persuadé qu’elle n’agit pas ainsi habituellement. C’est
simplement une grosse mangeuse qui aime à avoir la panse bien garnie. À
certaines époques, cependant, certains sujets de forte taille peuvent se livrer
à des dévastations qui paraissent injustifiées.
Il m’a été assuré qu’avant la mise-bas, les femelles sont
souvent prises d’une folie de carnage. Lorsqu’elles ont leurs petits, elles
leur apportent successivement plusieurs proies, sans attendre que les premières
aient été dévorées. Il semblerait qu’elles aient alors pour but de les acharner
davantage, pour les exciter à devenir plus vite de plus ardents chasseurs.
Enfin, un vieil affûteur fort expert m’a assuré qu’au moment
du rut, quoiqu’ils consomment moins de chair qu’en temps normal, les vieux
mâles devenaient plus cruels et détruisaient davantage, afin d’assouvir leur
férocité. Il est de fait que c’est surtout à cette époque que j’ai pu remarquer
sur les berges la présence d’assez nombreux poissons morts, entamés, la tête
écrasée, mais non complètement dévorés, dans les parages passablement déserts
où je chassais habituellement le gibier d’eau. À tout autre moment de l’année,
ces reliefs sont beaucoup plus rares. Cela paraîtrait donner raison à ce vieux
professionnel.
Notons encore, pour finir, une remarque assez importante qui
provient de la même source. Quand on a repéré une cachette de loutre, il faut
venir souvent visiter ses environs pour être assuré qu’elle est habitée, car le
gîte d’un animal de cette sorte, mort accidentellement par le piège ou le
fusil, ne reste pas longtemps inoccupé dans une région où ces mustélidés sont
nombreux. Bientôt, après la disparition de l’ancien propriétaire, un autre
carnivore de taille sensiblement égale aura remplacé ce dernier.
Cette assertion, que j’ai pu vérifier, ne peut paraître bien
extraordinaire à nos confrères qui sont chasseurs en même temps que
pêcheurs ; ils n’ignorent pas avec quelle constance certains gîtes de
lièvres défunts sont occupés par un successeur bien vivant après un temps
relativement bref.
Moyens de destruction.
— Des constatations que nous avons relatées, il résulte
bien que la loutre est vraiment le redoutable ravageur que nous avaient annoncé
les deux auteurs cités au début de celles-ci.
Dans les cours d’eau accidentés dont les rives présentent de
grandes difficultés de parcours, ces carnassiers sont beaucoup plus nombreux
que partout ailleurs, et leurs méfaits bien plus considérables.
Ne nous imaginons pas, cependant, que les berges de nos
fleuves, assurément plus fréquentées, ne puissent donner asile à un certain
nombre de couples de ces mustélidés. Il est facile à un animal aussi rusé de
trouver des cachettes et, vu ses mœurs nocturnes, il passe le plus souvent ignoré
de tous.
Partout où la loutre s’établit, elle se montre un hôte fort
indésirable pour le poisson et même le gibier aquatique, notamment pour les
couvées de jeunes canards.
Il est donc de l’intérêt de tous les pêcheurs, sans
exception, qu’ils se servent de la ligne ou des filets et aussi, dans une
certaine mesure, des chasseurs de sauvagine, de débarrasser au plus vite de ces
redoutables concurrents le théâtre habituel de leurs exploits.
Nous le répétons, les moyens d’arriver à ce résultat ne sont
pas nombreux, ni toujours bien efficaces.
Ils se réduisent à quatre :
a) La chasse avec chiens ;
b) la chasse à l’affût, au fusil ;
c) le piégeage ;
d) l’empoisonnement.
Nos lecteurs voudront bien nous permettre de les passer
successivement en revue et nous pardonneront, nous voulons l’espérer, notre
insuffisance à cet égard.
a. CHASSE AVEC CHIENS.
— Elle se pratique de deux manières différentes :
1° À l’aide d’une meute plus ou moins nombreuse de chiens
courants dressés spécialement à cette chasse, qui la recherchent, la trouvent,
la poursuivent, finissent par la rejoindre et souvent la tuer.
2° À l’aide d’un ou deux chiens mordants, habitués à la
chasse sous terre et dans l’eau et avec le concours du fusil.
1° La chasse à courre de la loutre est un sport
actuellement fort peu pratiqué en France, mais qui jouit d’une grande vogue
chez nos voisins d’outre-Manche, particulièrement en Écosse, pays de lacs, de
marais, d’étangs et de nombreux cours d’eau, tous lieux où abondent les
loutres.
Les chiens employés à cette chasse sont les fameux otterhounds
ou chiens à loutres, dont l’aspect rappelle certains de nos grands griffons
continentaux, mais avec un poil plus long, plus épais et d’une teinte variant
entre le gris et le fauve. Ces chiens, en général de haute taille, ont un
caractère sauvage, irascible et féroce.
Cette chasse est fort dure ; chasseurs et auxiliaires à
quatre pattes doivent être robustes et bien entraînés. Voici, d’habitude,
comment les choses se passent : amenés de bon matin par les veneurs sur
les lieux propices, les otterhounds, tout comme nos chiens courants, prennent
connaissance de leur gibier par les traces de la nuit. Ils empaument une voie,
la suivent et, après un temps plus ou moins long, cette voie les conduit
ordinairement vers un des repaires de l’animal de chasse où celui-ci s’est remisé
à l’aube. Là, des chiens terriers interviennent ; ils pénètrent dans le
gîte et, après un combat souvent sanglant, débusquent la loutre qu’ils forcent
à sortir. Elle fuit, mais elle est aussitôt poursuivie par les grands chiens
qui la guettaient aux alentours de la cachette. Les chasseurs, qui, le plus
souvent, ne sont pas montés, tachent de ne pas quitter la meute et de
l’accompagner du plus près possible.
Après de très nombreuses péripéties, qu’il serait trop long
de décrire ici, la loutre est finalement atteinte par les chiens, entourée et
acculée, enfin saisie, coiffée et étranglée, non sans avoir fait tête à
plusieurs reprises et mordu cruellement les plus acharnés de ses assaillants.
Accablée sous le nombre, elle périt en se défendant. Parfois, un garde armé
d’un trident la cloue sur le sol et on s’empare de la blessée.
La lutte s’est déroulée, tantôt sur terre, plus souvent
encore dans l’eau, élément favori de la loutre ; il faut donc que les
chiens soient accoutumés à nager, plonger et barboter à plaisir. Les otterhounds,
loin de craindre l’eau, semblent au contraire s’y plaire beaucoup ; ils
nagent, plongent à merveille et sont fort résistants, ils sont donc les seuls à
choisir, quand on prétend s’adonner souvent avec succès à cette chasse toute
spéciale, fertile en incidents imprévus et en émotions violentes.
Quant aux chiens terriers, auxiliaires presque
indispensables de la meute, ils sont ordinairement confiés à un garde qui les
reprend et les met en laisse après qu’ils ont délogé la loutre du gîte ou elle
se cachait ; ils suivent à une certaine distance, sans se mêler à la
poursuite des otterhounds, capables, par leur caractère féroce, de leur faire
un mauvais parti dans la bagarre, mais restent prêts à intervenir de nouveau si
le besoin s’en faisait sentir, c’est-à-dire si la loutre poursuivie venait à
trouver une autre retraite souterraine dont les otterhounds, trop grands, ne
pourraient faire le siège.
On comprend aisément qu’en France, où les terrains sont
morcelés et le droit de suite aboli, ce sport soit fort peu pratiqué et que
notre pays ne compte que de très rares meutes de chiens à loutres dont
l’entretien, d’ailleurs, est fort dispendieux. Autrefois, aux temps lointains
déjà où la vénerie était en grand honneur, les seigneurs s’y livraient
volontiers de temps à autre.
Contrées de grandes propriétés, l’Angleterre et l’Écosse se
prêtent beaucoup mieux que le nôtre à cet exercice.
Quoi qu’il en soit, ne comptons guère sur la chasse à courre
et les otterhounds pour diminuer sensiblement le nombre de ces indésirables
mustélidés, d’autant plus que les véritables veneurs épargnent volontiers les
femelles.
(À suivre.)
R. PORTIER.
(1) Voir nos 595 et suivants.
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