La culture de la betterave a cheminé lentement dans notre
pays, aussi bien sous l’aspect d’une plante fourragère que sous les apparences
d’une culture industrielle. Les mots aspect et apparence, venus sous notre
plume, prennent même tout leur sens en songeant aux formes que présentent les
betteraves allant vers l’animal ou vers l’usine ; des betteraves
intermédiaires, ainsi que les appelait volontiers Florimond Desprez à la fin du
XIXe siècle à la suite des travaux de P.-P. Dehérain, on a tiré en effet
des racines que l’on a substituées aux anciennes betteraves jaunes et
rouges ; pendant ce temps, cette forme intermédiaire persistait encore
longtemps en vue de la distillerie ; ce stade est d’ailleurs dépassé.
Ainsi la betterave a pénétré partout et, si elle constitue
un élément précieux pour les exploitations des trois quarts du pays, elle se
concentre là où les conditions de milieu sont favorables pour nous fournir du
sucre, aliment de plus en plus apprécié de l’alcool dont l’emploi s’accroît.
Mais n’oublions pas que la betterave est, par excellence,
une plante qui appelle à son secours une main-d’œuvre abondante, et,
précisément, les temps actuels ne se prêtent guère à ce genre
d’application ; à peine trouve-t-on les éléments courants pour labourer,
semer ; comment recruter ce qu’il faut pour donner des soins
d’entretien ?
Et cependant, la culture de la betterave ne devrait pas
subir trop de réductions : la racine constitue un aliment de premier ordre
pour l’hiver ; elle convient admirablement aux vaches laitières et l’on ne
peut négliger cette production tant pour le lait en nature que pour les
dérivés, fromages et beurre, dont nous avons de grands besoins. La betterave
plaît également aux bovins d’élevage, aux animaux d’engraissement pour former
un fond de ration ; elle a sa place dans l’auge des moutons et, de temps à
autre, les chevaux et les porcs utilisent avec profit en quantité modérée cet
aliment rafraîchissant. Il n’est pas jusqu’aux volailles privées de verdure qui
sont contentes de détacher des fragments d’une betterave suspendue dans leur
parc. Faut-il ajouter que, si l’on a recommandé avec raison de développer
l’élevage des lapins, quelques tranches saupoudrées de son restent appréciées
par ces petits animaux.
Plus massive apparaît la betterave industrielle ; ce
n’est pas la plante qui a pénétré dans la plupart des fermes où existent des
bovins ; c’est la racine plus exigeante à laquelle correspondent les sols
suffisamment profonds pour que la racine puisse s’y loger, tout en conservant
une forme régulière. Les secteurs de culture sont donc peu étendus ; mais
la difficulté de main-d’œuvre éclate alors que se dessine l’urgence de la
production du sucre et de l’alcool. Toute récolte obtenue sur le territoire
métropolitain, c’est une tranquillité pour le ravitaillement, c’est une
sécurité pour la lutte.
Un effort est donc nécessaire pour cette plante, quel que
soit l’angle sous lequel on envisage la question. La pierre d’achoppement est
constituée par la main-d’œuvre. Dès que la culture prend un peu d’extension par
rapport à l’ensemble des cultures de la ferme, il apparaît que la main-d’œuvre
normale est insuffisante, et la main-d’œuvre saisonnière entre en jeu.
C’est alors qu’on peut regretter le déséquilibre qui s’est
accentué peu à peu dans les campagnes ; ne rencontre-t-on pas encore des
localités où, au village, habite une main-d’œuvre suffisamment souple, variée,
pour être en état de fournir l’appoint, sans qu’aucune importation soit
nécessaire. Ainsi se rend-on compte du souci qu’il faudrait avoir pour assurer
une existence convenable à toute la population rurale. C’est difficile ;
les petits métiers ont disparu ; les femmes qui donnent cet appoint
devraient trouver quelques journées au long des mois de repos, pour que les
salaires obtenus portent à un taux suffisant les ressources de la famille. On
voit des chefs d’exploitation plus entreprenants qui poursuivent inlassablement
un programme d’améliorations ; évidemment, les dépenses ainsi faites n’ont
pas leur répercussion immédiate sur le produit net de la ferme, mais, aux jours
utiles, la masse de manœuvre existe qui emporte le résultat. Enfin, signalons
toujours que les salaires sont en relation avec le prix des produits vendus.
Pour le moment, il faut aller au plus pressé dans les
décisions, voir les possibilités et remettre à des jours meilleurs un programme
constructif qui ne peut être basé que sur une rémunération équilibrée des
productions de l’agriculture. Aujourd’hui, on proclame la betterave indispensable,
on constate la faiblesse des effectifs. Que faire ? les effectifs ne
surgiront pas bien importants, malgré toute la diligence que l’on pourra
apporter dans la répartition des hommes mobilisés, et il apparaît utile
parallèlement d’essayer d’adapter la betterave à la période de guerre. C’est
une tâche à laquelle on a songé au Comité interprofessionnel, pour
l’amélioration de la culture de la betterave.
Le souci n’est pas né d’hier; il a pris plus d’acuité dans
ces dernières années, et l’on assiste à cette chose paradoxale : la
betterave doit s’adapter à l’état de guerre, alors qu’elle était accoutumée à
faire tout plier devant elle ; n’a-t-on pas dit avec juste raison que la
betterave ne supporte pas la médiocrité. But à atteindre, mener la culture à
bien, au terme de son exploitation. Difficultés : la main-d’œuvre pour
soigner et récolter.
Les soins sont d’ordre divers : la bineuse passe entre
les rangs, ceux qui la conduisent n’auront pas toujours l’expérience du meneur
habitué qui frôle la racine et laisse une place infime non travaillée ; le
cheval bien dressé est parti lui aussi ; un plus jeune encore peu habile,
ou bien un ancien aux pas plus lourds et maladroits, est venu à l’écurie. Pour
éviter les accidents, organiser un semis avec un écartement légèrement plus
grand, une petite modification aux socs de la bineuse, et le travail sera
convenable ; ou bien on dispose d’une houe à 3 rangs, à un semoir à
6 rangs ; ordinairement, les lignes sont à 40, la houe passera deux
fois, pour assurer l’entretien de la largeur du train de betterave, monter les
socs ainsi 35-50-35-35-50-35; tout le terrain est occupé, mais on a ménagé un
passage de 50 pour le cheval. Une autre solution consisterait à remplacer
6 fois 40 par 5 fois 48 ; cela peut être dangereux si le milieu
n’est pas assez fertile ni assez humide ; le nombre des pieds ne sera plus
aussi élevé, et une année sèche provoquerait une diminution sensible de la
récolte.
En semant, mettre un peu plus de graines que dans une année
normale ; en premier lieu, par suite des pluies de l’automne dernier, des
lenteurs de la récolte, beaucoup de graines ne germeront pas très bien ;
ensuite, la levée plus serrée permettra de procéder à des opérations précédant
le démariage et les travaux pourront en être facilités, nous l’avons déjà dit
et nous y reviendrons à propos des façons d’entretien. En résumé, aujourd’hui,
il s’agit d’aider à la solution de la culture des betteraves, de toutes les
betteraves ; une attention par-ci, une innovation par-là et, si l’on
assure des cours avantageux tant pour les produits du bétail que pour le sucre
qui commande le prix de la betterave, l’effort sera donné. Cela ne diminue en
rien le besoin général de main-d’œuvre, qui commande des solutions appropriées.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole, professeur à Grignon.
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