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L’Allemagne et le pétrole

Notre revue des matières et produits indispensables à la conduite de la guerre nous amène à parler aujourd’hui du pétrole. Chacun sait l’importance du précieux « or noir », comme disent les Américains, dont les dérivés, essence, mazout, etc., constituent l’âme des moteurs, de guerre comme de paix.

Quelle est en pétrole la position de nos ennemis ? Côté production, nous trouvons qu’avant la guerre actuelle l’ancien Reich produisait environ 600.000 tonnes, ce qui est bien peu en face de besoins normaux de près de 8 millions. Et pourtant, ce chiffre modeste marque un progrès sensationnel sur les années précédentes. En effet, l’industrie d’extraction du naphte n’est pas en Allemagne une nouvelle venue ; bien avant la guerre de 1870, des puits étaient déjà en exploitation dans le Hanovre. Mais la production ne fut jamais bien importante, et, à la fin de la Grande Guerre, le chiffre total atteignait à peine 30.000 tonnes, soit le vingtième de la production actuelle. Cette avance remarquable a été obtenue grâce à des travaux de prospection acharnés ; tout le territoire national fut, pour ainsi dire, sondé, les Allemands ayant particulièrement la hantise de leur pénurie en pétrole, et ayant cherché par tous les moyens à y remédier. Leurs efforts furent relativement couronnés de succès, de nouveaux champs pétrolifères étant découverts en Bade et plus tard aux environs de Hambourg, tandis que le vieux Hanovre était exploité au maximum. Mais tout cela, ne couvrait même pas le dixième des besoins normaux de l’Allemagne. Quelles sont les perspectives d’avenir de la branche pétrole naturel, particulièrement du proche avenir ? À plusieurs reprises, la propagande nazie a fait courir le bruit que les nouveaux champs près de Hambourg possédaient un potentiel de production énorme ; lequel était soigneusement conservé comme suprême ressource pour le cas de guerre. Autant qu’il paraisse, il semble bien que ces assertions sont pour le moins très fortement exagérées, des observateurs neutres allant même jusqu’à les mettre complètement en doute. Donc, en réalité, peu de chances d’augmentation.

L’Anschluss fit passer la toute jeune industrie d’extraction autrichienne sous le contrôle nazi. Ici, les perspectives d’avenir sont probablement moins exagérées qu’ailleurs, tout en l’étant encore pour les besoins de la propagande. Mais, en tout état de cause, la production actuelle poussée à fond ne doit guère dépasser 100.000 tonnes par an, et ce chiffre ne peut guère monter avant un certain temps. Quant à la Tchécoslovaquie, sa production annuelle atteignait péniblement 20.000 tonnes et les perspectives d’augmentation sont pour ainsi dire nulles.

Donc, pour résumer, production naturelle d’environ 750.000 tonnes ; l’extraction étant poussée à fond depuis longtemps, la marge d’augmentation est des plus réduite.

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À cette situation de base très peu favorable, les Allemands ont essayé de porter remède par la tangente, en l’occurrence le pétrole artificiel. Comme c’est le cas pour pas mal d’ « ersatz » (sucre de betterave, soie artificielle, caoutchouc synthétique, etc. ), l’idée première et la réalisation du pétrole synthétique reviennent à un Français, ici Berthelot, dont les travaux sur l’hydrogénisation de la houille sont à la base des diverses techniques actuellement en usage outre-Rhin. Nous n’entrerons pas dans les détails techniques des diverses méthodes employées, et nous dirons simplement qu’il existe de nombreux procédés, tous très au point quant à l’usage industriel. La matière première employée est le charbon et le lignite, à raison d’environ trois quarts de tonne de charbon pour un baril de pétrole ersatz.

Financièrement parlant, ce n’est pas un succès, malgré les récentes améliorations, ce pétrole synthétique revenant à peu près au double du produit américain naturel rendu à quai ; les porteurs d’actions pétrolifères peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles. Mais cela n’est d’aucune importance dans un régime d’économie dirigée et totalitaire, où l’arithmétique doit céder le pas aux données subjectives de la politique. Mais chose plus grave, surtout dans le cas actuel, les critiques sur le plan simplement technique sont des plus nombreuses. Tout d’abord, malgré tous leurs efforts, les Allemands ne sont jamais arrivés à sortir de la gamme des carburants légers, et jusqu’ici le problème de l’huile lourde est resté sans solution. Quand on connaît l’usage intensif qui est fait outre-Rhin du moteur Diesel, on comprend immédiatement la lacune que cela représente pour nos adversaires. D’autre part, ces essences de synthèse manqueraient de « nervosité », et leur emploi dans l’aviation de ce fait s’avérerait des plus limité.

Les possibilités actuelles de la synthèse étant ainsi posées, quel apport représente-t-elle pour le Reich ? Les chiffres exacts de la production de pétrole synthétique en Allemagne sont inconnus, ou, plus exactement, ils sont contradictoires selon les sources consultées. Il est probable que, pour 1939, la vérité dût se tenir entre 1.600.000 et 1.800.000 tonnes, soit environ le quart des besoins du Reich. C’est beaucoup, mais c’est insuffisant. C’est, pourquoi, des plans gigantesques avaient été établis, tout au moins sur le papier. D’après la propagande, l’Allemagne devait être à même d’ici peu, grâce à la synthèse, de se suffire à elle-même en pétrole. Sans faire intervenir d’autres éléments, notons simplement que, pour couvrir les seuls besoins normaux du temps de paix par la voie artificielle, il eût été nécessaire de distiller 60 millions de tonnes de charbon en plus par an. Or, nous avons vu précédemment que la production charbonnière totale de 190 millions de tonnes suffisait tout juste aux besoins normaux. Il ne peut donc être question d’en distraire un tiers, et si, depuis la déclaration de la guerre, l’apport charbonnier de la Pologne donne à nos ennemis une certaine marge, elle est, ne l’oublions pas, plus que compensée par la vulnérabilité de la Rhur et de la Sarre, qui produisent à elles seules le quart du charbon allemand. Des projets moins spectaculaires prévoyaient simplement le doublement de la capacité totale pour les années à venir ; ce qui n’utiliserait qu’un peu plus du dixième des disponibles charbonniers. Tout en restant encore très sceptique sur les marges étendues de possibilités en charbon, admettons la possibilité d’exécution d’un tel plan, malgré la difficulté qu’il y a pour les dirigeants nazis de créer en pleine guerre un tel outillage, gros mangeur d’acier, et en particulier d’aciers spéciaux, ce dont l’Allemagne manque le plus. Supprimons toutes ces difficultés, et tablons sur une production synthétique double pour 1942, comme prévu. En étant très optimiste, cette progression ne laisse guère prévoir plus de 2 millions et demi de tonnes pour 1940 ; ce qui, joint à la production d’huile naturelle, donne un grand total de production de 3.250.000 tonnes. C’est au grand maximum tout ce que l’Allemagne peut tirer de son sol, et c’est sur ces bases qu’elle est entrée en guerre. En face, une consommation de paix de près de 8 millions de tonnes, pays « protégés » non compris.

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Le passage à l’état de guerre eut pour l’Allemagne, sur le plan pétrolifère, les conséquences suivantes :

    1° De lui donner une partie du contrôle de la production polonaise ;

    2° D’augmenter considérablement ses besoins militaires en carburants ;

    3° De diminuer dans une certaine mesure ses besoins civils.

L’industrie pétrolifère polonaise est ancienne, plus d’un demi-siècle d’existence. Et, comme c’est souvent le cas, les hauts chiffres de production sont passés depuis longtemps, et les niveaux actuels ont tendance à fléchir progressivement. Ces dernières années, la production totale se tenait aux environs de 500.000 tonnes. On sait que, dans cette région de la Galicie, les Russes se taillèrent la part du lion, et que l’Allemagne dut se contenter des districts pétrolifères les plus pauvres quant au rendement actuel (le quart environ du total), mais les plus favorables quant aux possibilités d’avenir. En tout cas, ce n’est pas faire preuve de pessimisme, quant aux intérêts allemands, que d’estimer l’apport galicien à 200.000 tonnes par an. Ce qui est peu pour les besoins que nous connaissons.

Ces derniers temps, des renseignements divers semblaient faire supposer que la Russie laisserait une plus grande partie du pétrole polonais à la disposition du Reich, peut-être même la totalité. Comme nous le verrons plus loin, les Russes ne sont pas dans la situation de se montrer excessivement généreux pour ce qui est du pétrole ; mais, en admettant même le pis, que toute la production polonaise passe sous la coupe allemande, le ravitaillement total de nos ennemis ne dépasserait pas 4 millions de tonnes. Et leurs besoins de guerre, que nous étudierons le mois prochain, dépassent, et de beaucoup, ce chiffre.

Marcel LAMBERT.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 249