Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°598 Avril 1940  > Page 251 Tous droits réservés

Le repérage par le son

En 1914, les physiciens ne s’intéressaient plus à l’acoustique. Certes ils en professaient les résultats fondamentaux avec enthousiasme et en particulier les magnifiques travaux d’Helmholtz qui leur paraissaient définitifs. Mais aucun d’eux n’aurait songé à y consacrer sa vie.

Comme toujours, c’est là où les recherches paraissaient vaines, où le terrain semblait désert, que leva brusquement la plus riche des moissons. Une moisson riche au point de vue théorique, nous apportant une connaissance plus approfondie, une compréhension plus générale de ces phénomènes : riche aussi au point de vue des applications et singulièrement des applications militaires.

Le repérage par le son est une de celles-là, qui permet de situer avec précision une batterie ennemie bien dissimulée, de déterminer la direction de vol d’un avion invisible, de déceler l’approche sournoise d’un sous-marin, d’être prévenus du creusement par l’adversaire de galeries de mines près des tranchées, etc. Beaucoup de personnes, qui n’ont jamais eu l’occasion d’aborder de près ces problèmes, se demandent comment on peut, par la simple écoute, arriver à une telle sûreté dans l’observation. Notre but est de leur donner quelques notions qui leur permettront d’avoir une idée générale des principes dont s’inspirent les services de repérage par le son ; toutefois, étant donnée l’étendue du sujet, nous limiterons cette causerie au seul repérage appliqué aux tirs d’artillerie.

Lorsqu’une pièce tire, à la condition que l’obus éclate après sa course dans l’air, il se produit :

    Un son de bouche à feu au départ ;

    Un son d’éclatement à l’arrivée ;

    Et, éventuellement, si la vitesse du projectile est supérieure à celle de la propagation du son, un troisième son formé par les sifflements du sillage qui se composent pour donner un claquement très sec, souvent pénible pour l’observateur. Nous laisserons, d’ailleurs, de côté ce dernier son qui ne peut donner lieu à aucune observation pratique.

Pour repérer l’emplacement d’une pièce d’artillerie adverse, on se base uniquement sur le son produit par la bouche à feu au départ du coup. Le bruit de l’éclatement de l’obus à l’arrivée sert au réglage de nos propres tirs à longue portée, lorsque l’on n’en peut suivre les résultats à la lunette. Dans les deux cas, le principe de repérage est le même.

Voyons comment on détermine la position d’une pièce par l’écoute du son de bouche.

Le son se propage avec une vitesse sensiblement constante, dépendant du vent et de la température, mais qu’on peut espérer, dans une atmosphère qui n’est pas trop turbulente, connaître à 1 p. 100 près. On sait que cette vitesse est voisine de 340 mètres à la seconde.

On place des microphones sensibles en trois points que nous dénommerons A, B et C, et on pointe au chronomètre l’instant exact où le son à observer provient à chacune de ces stations d’écoute. Si, par exemple, le son a mis 3 secondes de plus pour arriver à la station A que pour arriver à la station B, c’est que son origine est à 340 x 3 = 1.020 mètres plus loin de A que de B. Or, la géométrie nous indique que tous les points dont la différence des distances à deux points fixes (en l’occurrence, nos stations d’écoute A et B) est égale à une longueur donnée (en l’occurrence 1.020 mètres) se trouvent sur une ligne courbe appelée hyperbole, dont la partie utile est sensiblement une ligne droite, très facile à tracer sur la carte. Le point de départ de l’obus se trouve obligatoirement sur cette ligne.

On procède de même avec les différences de temps constatées entre les stations d’écoute B et C. La nouvelle ligne tracée vient couper la première quelque part chez l’ennemi, et ce point d’intersection donne, à quelques dizaines de mètres près, l’emplacement de la pièce qui a fait feu.

La mise en œuvre du procédé paraît donc, dans ses grandes lignes, très simple. Il y a un poste central qui délègue 3 oreilles électriques, 3 microphones aux stations d’écoute ; les courants, modulés par l’arrivée du son, y sont enregistrés ainsi que les temps. Et, comme les sons de bouche varient beaucoup avec le calibre, on a même une indication sur la puissance de la pièce qui a tiré. Quelques secondes après, elle est démasquée. Quelques minutes plus tard, elle sera peut-être contre-battue.

À vrai dire, le problème reste cependant assez délicat. Il faut que les postes d’écoute soient à grande distance les uns des autres, pour que les différences de temps ne soient pas trop faibles. Cela oblige à développer des kilomètres d’un fil téléphonique vulnérable qu’un seul obus peut briser. Et puis, si beaucoup de canons tirent simultanément, si le grondement continuel d’une grande bataille retentit, trop de sons arrivent ensemble et, en se superposant, rendent ces messages acoustiques indéchiffrables.

Aussi l’artilleur n’a-t-il plus le droit de tirer quand bon lui semble, pour prendre la hausse du jour comme un bourgeois méticuleux note le matin l’indication de son baromètre. Un peu avant le combat, toutes les batteries commencent leurs tirs au même moment et, pendant les heures d’attente, plus encore que dans les tramways des villes de l’arrière, le mot d’ordre est formé du texte de l’affiche fameuse : « Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies vous écoutent ». Quand un coup isolé se fait entendre, c’est qu’il est issu, soit d’une pièce nomade qui ne sera plus où elle a tiré lorsqu’une réaction — attendue par le repérage — se produira, soit d’un pétard qu’un sapeur astucieux aura fait partir pour faire croire au départ d’un coup.

Comme on le voit, le repérage par le son, de technique difficile, a une importance considérable. De part et d’autre du front, on l’utilise constamment et à grande échelle. Il a modifié l’aspect de la guerre.

Maurice JACOB.

Le Chasseur Français N°598 Avril 1940 Page 251