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En forêt

Les busards.

Ce ne sont pas, à proprement parler, des oiseaux de forêt que ces rapaces très répandus dans nos plaines, dans nos vallées et le long de nos cours d’eau, les busards ; vous les verrez bien plus souvent hors bois que parmi les taillis ou les pineraies, encore qu’ils se tiennent dans certaines clairières, ainsi que dans les landes, les friches plus ou moins boisées et qu’ils y nichent. J’ai trouvé des nids de busards cendrés, et Saint-Martin au milieu de coupes de dix à douze ans, des nids grossièrement établis à terre, sur des places vides entre des cépées, et garnis d’herbes sèches ; la femelle, qui est de plumage brun, couvait en général quatre œufs verdâtres, à taches rousses, de la grosseur d’œufs de poule naine ; le mâle, en belle livrée gris clair avec l’extrémité des ailes noires, montait la garde aux alentours, à terre, car les busards ne se branchent pas, et ils nichent sur le sol, non pas sur les arbres.

Mâles gris clair, femelles brun roux, jeunes oiseaux brun gris ou brun clair, reconnaissables à leurs yeux foncés, tandis que les adultes ont l’iris jaune safran : voilà bien des différences de parure susceptibles de dérouter les naturalistes en herbe et de prêter à confusion chez les gardes, les campagnards, les chasseurs. Confusion qui n’a pas manqué, puisque de bons auteurs du début du XIXe siècle, tels que Jourdain, croyaient que la « soubuse », femelle des busards dont nous venons de parler, appartenait à une espèce distincte de « l’oiseau de saint Martin », son maître et seigneur. La troisième espèce de busards, la plus volumineuse, la plus nuisible aussi au gibier et aux oiseaux de basse-cour, est le busard harpaye, beau rapace dont la taille et l’envergure rivalisent avec celles de la buse, le mâle et la femelle étant tous deux vêtus de brun franc, et portant sur la tête un plumage jaunâtre. Si je passe sous silence le busard pâle ou de Swainson, c’est que nous ne le rencontrons qu’accidentellement en dehors des régions méridionales et de l’Algérie.

Ce qui distingue, de façon générale, les busards, outre leurs allures de bas vol, leur stationnement et leur nidification à terre dans les clairières, les landes, les marais ou même les champs, c’est leur conformation se rapprochant un peu de celle des rapaces crépusculaires : plumes moins dures que les plumes de buses ou de bondrées, yeux plus saillants, tête plus arrondie, bec plus haut et plus court, pattes et serres plus longues, plus grêles.

Ne nous fions pas à cette silhouette qui semble moins agressive. J’ai tout lieu de croire que bon nombre de méfaits attribués à la buse sont imputables au busard harpaye, très souvent confondu avec elle sous le nom de cosse, cossarde, buson, et j’en passe ...

En Aunis, j’ai relevé une telle affirmation de la part de braves gens, riverains d’un marais très fréquenté par les busards : les plaignants, ayant perdu près de soixante petits poulets sur une centaine dans un élevage récemment organisé, croyaient, dur comme fer, que ces rapts étaient à la charge de grosses buses venant d’un bois voisin. Le coupable était le busard harpaye, souvent dénommé buse des marais, et véritable pirate à l’égard des poussins, des canetons, des perdreaux, lapereaux, faisandeaux, des petits lièvres et du gibier d’eau.

Les busards Saint-Martin et cendré, plus faibles de taille et de serres que le harpaye, ne s’attaquent pas moins aux couvées et portées de gibier, sans dédaigner le poisson. Il est rare que de basses eaux, en rivière ou en étangs, ne provoquent la venue des busards qui foncent à la curée lorsque poissons blancs ou brochetons se débattent dans des lagunes, lorsque les judelles, les râles, les gallinules se risquent en dehors des roseaux. J’ai tué sur le fait plusieurs de ces rapaces, le dernier en date au bord d’une petite anse devant les dunes de la Coubre. Et j’ai débuté, en Dombes, par le coup double inattendu d’un busard et de la poule d’eau que ce braconnier à plumes emportait.

J’ai vu, dans un parc à lièvres des Deux-Sèvres, le Saint-Martin et le cendré qu’on appelle encore busard Montagu, et qui se distingue du Saint-Martin par une envergure un peu moindre et par des marques rousses sur le blanc des dessous ; j’ai observé ces patients chercheurs de proies, battant sillon par sillon, les champs et les prairies, pour s’acharner sur les levrauts : le garde du parc ne quittait pas les alentours des pièces moissonnées et, dissimulé dans un buisson, tirait à toute volée sur les busards. Non pas que la capture du gibier soit la seule à l’actif des harpayes, Saint-Martin et Montagu ; il faut reconnaître que les busards détruisent mulots, rats, campagnols, qu’ils se nourrissent aussi de criquets, ce qui, lors des invasions de petits rongeurs ou d’acridiens, donne aux allées et venues incessantes de nos rapaces sur la plaine une excuse et leur vaudrait même quelques éloges. Pour en avoir le cœur net, j’ai autopsié de nombreux busards qu’il est facile de tuer à l’aide de la hutte au grand duc, surtout en fin d’après-midi, entre bois, plaine et marais. La moitié environ des autopsies donnait dans le jabot des restes de campagnols ou d’insectes nuisibles ; pour le surplus, je trouvais d’authentiques débris de cailles, d’alouettes, de passereaux, de canetons, de petits poulets, ou encore de ces grosses sauterelles inoffensives vertes ou grises, qu’on appelle des « jeudis ». Pour plus de certitude, je choisissais de préférence l’époque de la coupe des céréales, qui est la plus dangereuse pour les perdreaux à la traîne, privés de leurs abris, la saison que guettent corneilles, pies ... et busards. Redoublons de vigilance du mois de juin au mois d’août, et nous sauverons bien des couvées.

Dans les bois, les landes et les marais où nichent à terre les busards, le tir au crépuscule des oiseaux qui regagnent leurs places de repos est efficace ; ces places sont faciles à reconnaître, car elles sont battues, parsemées de plumes et de fientes.

Le piégeage sur le sol, en jardinet, à proximité des fermes isolées, n’est pas moins utile, et l’on peut aussi, dans les marais à rouches, c’est-à-dire à roseaux fourrés, où des colonies de busards font souvent leurs nids, procéder par marches en ligne, avec quelques bons tireurs. Les busards s’envolent généralement de près, car les éclosions de leurs petits sont échelonnées dans un même nid et, à côté de jeunes busards volant comme père et mère, il se trouve des oiseaux balourds, partant avec peine, et même de gros poussins ne sachant que jouer des serres. La femelle du busard, surtout celle du harpaye, défend courageusement sa couvée contre un roquet : c’est un beau ferme, un joli vacarme pouvant laisser croire qu’il s’agit, vis-à-vis du chien, de tout autre adversaire, ainsi qu’il est arrivé, voici quelques années, dans un fourré marécageux des bois de pin de la Palmyre au nord de Royan, près de la Grande Côte ; je tiens le récit de l’un de mes anciens forestiers qui s’était demandé, d’après les dires d’un résinier, s’il ne fallait pas se munir de chevrotines pour seconder le chien dont on entendait les furieux abois. Dans la même région, le garde-chasse d’une propriété boisée, garnie de brandes et d’ajoncs, où nichaient les busards, les tirait à l’affût en se servant, comme leurre, d’une peau de renard piquée sur des bâtons : au premier essai, il vint autour du poste une quinzaine de busards ; parmi ceux qui furent tués, la plupart avaient dans le jabot des restes d’anguilles prélevées dans les marais voisins.

Un autre garde utilisait les bons offices d’un petit chien blanc, dont la silhouette claire attirait les harpayes, grands destructeurs des perdreaux en lisière de forêt.

Je m’en voudrais d’insister en chargeant outre mesure le casier judiciaire des busards.

« Jamais busart ne fict tour d’espervier », disait Clément Marot, meilleur juge dans ses poésies de la Renaissance que bien des prosateurs des siècles suivants, en matière d’histoire naturelle. C’est parfaitement exact ; le busard ne possède ni la rapidité d’attaque, ni le haut vol, ni la force de bousculade d’autres rapaces, moins volumineux, mais mieux armés. Il n’en serait pas moins indésirable, s’il venait à se multiplier en forêt lorsqu’il y niche et en dehors des bois où nous le voyons évoluer en saison estivale, évoluer avec une grâce nonchalante, mais dangereuse.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 260