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Les chasses sédentaires

La chasse au poste.

La chasse au poste est spéciale au Midi ; elle est surtout pratiquée dans la région marseillaise, et, comme telle, a été blaguée bien souvent, surtout par les Marseillais, qui adorent se blaguer eux-mêmes ! Méry, le plus spirituel des Marseillais, l’auteur du fameux apophtegme: « Si Paris avait une Canebière, ce serait un petit Marseille », a consacré, au sport cynégétique national de ses concitoyens, des pages pleines d’humour !

Voici, d’après l’auteur de La Chasse au chastre et Marseille et les Marseillais, ce qu’est un poste :

« Un poste est un cabanon recouvert de feuillages et percé de meurtrières. Le chasseur va s’y installer avant le lever du soleil, pour ne pas effrayer les oiseaux absents ! C’est là que, son fusil à la main, et muni de la patience de Job, il attend les grives ... À onze heures, le chasseur, dont le fusil a gardé son innocence, ferme son poste à double tour et descend à la bastide ! Son gibier se nomme l’appétit ! »

Ce tribut payé à la galéjade, nous allons dire quelques mots de cette chasse au poste, qui, n’en déplaise à Méry, est loin d’être toujours infructueuse, et possède un agrément spécial ! Bien entendu, je ne parle que de la chasse aux grives, n’ayant jamais pu admettre celle aux petits oiseaux, qui est pourtant assez pratiquée !

Le chasseur au poste se lève avant l’aube, car il faut se trouver à pied d’œuvre, alors que le jour commence à poindre : il charge sur son dos les nombreuses cages dans lesquelles se trouvent les grives appelantes : puis, son fusil en bretelle, il se hâte vers le poste, par un petit sentier, où il pourrait aller, les yeux fermés, tellement il le connaît !

Tous les parfums des collines provençales se dégagent sous la fraîche rosée du matin, et c’est les poumons pleins d’oxygène embaumée que le chasseur parvient à son poste, dissimulé sous les branches de pin. Vite, il suspend les cages de grives à des piquets ad hoc, spécialement disposés autour du poste ! Puis il entre à l’intérieur du cabanon, charge son fusil et attend, aux aguets derrière les meurtrières, tout en savourant quelques sandwichs, soigneusement préparés, la veille au soir !

Dans le clair-obscur imprécis du matin, au sommet des pins qui entourent le poste, les « cimeaux », branches mortes attachées aux plus hautes branches, offrent aux grives qui passent le perchoir de leurs rameaux dénudés !

Mais voici qu’une des grives en cage fait entendre son mystérieux et discret « Psitt ! », que connaissent bien les praticiens de la chasse au poste ! Immédiatement, d’autres « Psitt ! », aussi délicatement susurrés, se font entendre, venant des autres cages, dont les occupantes appellent la nouvelle venue ... Puis, un silence ...

C’est alors que le chasseur, bien caché derrière les meurtrières, doit se dévisser le cou pour tâcher d’apercevoir l’oiseau, annoncé par les légers sifflements de ses congénères ! Cela est souvent difficile : il fait encore nuit : à peine si une vague barre claire commence à se dessiner du coté de l’Orient ! La silhouette et le plumage de la grive de passage se confondent avec le feuillage. Si le chasseur aux aguets s’énerve, fait un mouvement, il entend dans les branches un battement d’ailes : l’oiseau s’est envolé !

Mais il finit, avec de la patience, par dénicher la grive, perchée sur une branche et tournant, avec inquiétude, la tête vers les cages où se trouvent ses sœurs, en captivité ... Avec des précautions infinies, il attire son fusil, pose le canon sur le support feutré, placé à cet usage, vise soigneusement l’oiseau, en ayant soin de bien le voir au-dessus du guidon, appuie son doigt sur la gâchette ... le coup part et la grive tombe ...

Suivant l’importance du passage, le fait se renouvelle plusieurs fois dans la matinée : plusieurs grives sont tirées ... et tuées, car le tir est facile, dès que l’oiseau est repéré.

Mais le moment où les grives « donnent » est fort court, une demi-heure à trois quarts d’heure. Dès que la clarté de l’aurore devient plus nette, les oiseaux sont méfiants, et c’est par hasard qu’on peut tuer une grive retardataire ! À peine le soleil paraît, que la chasse est terminée !

Hélas, je dois dire de cette chasse ce que j’ai dit ou dirai d’autres chasses semblables ! Le gibier diminue d’année en année ! De nos jours, tuer une dizaine de grives au poste est un maximum rarement atteint pendant le mois que dure cette chasse ! Et il n’est pas rare de friser la bredouille …

Pourtant, il n’y a pas si longtemps, j’ai connu des postes où l’on faisait des « tableaux » fort appréciables ! Un de mes amis avait, il y a vingt ans, aux environs de Marseille, plusieurs postes renommés : il en était très fier et contait volontiers que, pendant le mois d’octobre, — époque du passage des grives —, il lui arrivait toujours, une fois ou deux, de dépasser les cent grives, à quatre postes !

De même dans toute la Provence ! On y faisait des matinées quadruples de celles d’aujourd’hui !

Encore une chasse amusante et intéressante qui disparaît ! Et c’est grand dommage pour les chasseurs ... et pour les gourmets ! ...

Jean RIOUX.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 262