Ce titre surprendra peut-être quelques lecteurs, et ceci à
juste raison. Si je m’attaque à ce sujet, c’est que, depuis longtemps,
plusieurs confrères ont émis, soit en causeries, soit sous forme d’articles
parus, des procédés visant à la capture des nuisibles au moyen du collet. Cette
conception a toujours trouvé en moi un ennemi irréductible. Le colletage,
quelles que soient ses formes, est formellement à rejeter. Je n’en discute pas
les résultats, mais le principe légal et moral. La loi autorise l’emploi des
pièges sous certaines conditions, mais elle ne peut et ne pourra jamais, en
France, autoriser celui du collet.
Au point de vue technique, et strictement dans le domaine
« nuisibles » le collet ne prend ni plus, ni mieux que le piège. Les
méthodes d’emploi du collet sont multiples et remontent à la plus haute
antiquité. Je pourrais même dire qu’elles sont universellement connues, Tous
les vieux traités d’ornithologie français leur consacrent de nombreuses pages
ornées de croquis. En Allemagne, même état de choses. En Amérique, aux
États-Unis, des volumes entiers sont consacrés au colletage sous toutes ses
formes : en coulée autant qu’avec appât, à attache fixe autant qu’avec
attache mobile, bascule, traînante ou relevante, etc. Or, aux États-Unis, où
quelques provinces autorisent l’emploi du collet pour les nuisibles, le piège
reste indiscutablement le maître parmi les professionnels. C’est la meilleure
preuve de la supériorité du piège sur le collet.
Si nous examinons le piégeage et le colletage, nous pouvons
constater que ces deux procédés sont intimement voisins l’un de l’autre, au
point de se confondre même, techniquement parlant. En effet, qu’il s’agisse de
poser un piège ou un collet, la science de l’opérateur réside uniquement dans
le choix de l’emplacement et dans la façon de tendre l’engin (le collet n’est-il
pas lui-même un piège ?). Or ce choix est identique dans les deux cas ;
il l’est encore dans la façon d’opérer en coulée ou avec appât.
La comparaison ne peut donc s’établir uniquement que sur le
prix du matériel, car la question commodité ou rapidité de pose (1) n’a pas à
intervenir : si le collet se pose plus rapidement que le piège dans la
coulée, il nécessite le même temps de pose chaque fois qu’on veut opérer avec
un appât ou un système à bascule. D’un autre côté, les risques de voir l’animal
capturé se libérer du collet sont toujours, dans le domaine strictement
« nuisibles », plus grands qu’avec le piège (le fil pouvant être
cassé par traction, cisaillé par les dents, rompu par torsions successives), à
moins de n’employer que des câbles spéciaux en acier, du type de ceux en usage
aux États-Unis, ou de se livrer aux constructions de bascules devant soulever
les captures (ce qui les met bien en évidence dans les régions où les honnêtes
gens sont clairsemés et les tentations faciles ...)
Si maintenant nous examinons le côté légal de l’affaire, il
est indiscutable que, dès l’instant où l’on touche un collet, on se met en
contravention avec la loi. À juste raison, le code n’a pas à faire de discrimination
entre le collet, engin de braconnage redoutable, et le collet destiné aux
nuisibles. On ne peut demander en effet aux représentants de l’autorité de
savoir distinguer entre le collet de la « bonne cause » et celui
« de la cause braconnage ».
Ce serait, en effet, ouvrir la porte à deux battants, à tous
les abus possibles des braconniers, et Dieu sait s’ils sont déjà largement
suffisants ...
Si nous prenons le cas d’un collet à renard, tendu en coulée
par exemple, et qui ressemble à peu de chose près au collet à lièvre, le
braconnier surpris en train de relever ses collets aurait réellement trop beau
jeu de déclarer que ses engins étaient destinés au renard ...
Si, par hasard, on le prenait au moment où il ramassait un
lièvre dans un collet, quelle belle excuse : « Mais c’est un simple
accident; il s’est pris dans un collet que j’avais tendu pour un renard ;
du reste, j’allais le porter au garde ... »
Étant donné qu’à chaque espèce de gibier correspond, au
point de vue de la taille, une espèce nuisible (au lapin correspondent la
fouine et le putois, au lièvre le renard), les braconniers auraient ainsi toute
une gamme variée d’excuses à présenter selon le gibier colleté.
Mais, direz-vous, ces collets ne sont pas toujours tendus en
coulée ; on met un appât qui s’adresse spécialement aux nuisibles. Là, au
point de vue technique, j’émets les mêmes doutes qu’en piégeage ; j’ai
déjà signalé la capture de chiens avec ces fameux appâts que les chiens ne
touchent soi-disant jamais, surtout quand ils commencent à être
faisandés ... De plus, dès l’instant où la loi, ou l’arrêté préfectoral,
spécifie les engins ou procédés autorisés, vous n’avez pas le droit d’en
employer d’autres. Et ceci est parfaitement raisonnable, puisqu’au point de
vue technique les engins et procédés autorisés suffisent et qu’au point de vue
pratique les résultats sont identiques.
Quant à l’emploi du colletage des nuisibles par les gardes,
il est inadmissible, et ici je ne parle même pas au point de vue légal,
mais au point de vue psychologique. Comment, vous avez un garde, qu’il
soit garde de Fédération ou garde particulier, et vous aller l’éduquer ou
tolérer qu’il pose des collets à nuisibles ?
Mais ce garde, aux yeux de tout le monde, doit être un
modèle d’honnêteté ; n’oubliez pas que tous les bracos épient ses moindres
gestes. Quelle belle partie vous leur donnez, je vois ça d’ici, quel beau petit
dialogue entre « chevaliers du collet » !
« — Dis donc, tu sais pas qui j’ai vu
c’matin ? — Non. — Le père Pévé, le garde de la Fédé, et tu sais
pas c’qui faisait, c’fainéant là ? — Non. — Ben, mon yeux, y
posait des collets ... Tu parles si qu’on s’rait gourdes de s’en priver,
nous ... »
Que penser de cette puissante logique ? Croyez-vous que
les bracos iront voir s’il s’agit de collets pour nuisibles ou pour gibier.
Non, le colletage des nuisibles ne peut pas et ne doit pas être admis
par qui que ce soit, et c’est pourquoi je n’en ai jamais soufflé le premier mot
aux douze promotions de gardes qu’on m’a fait l’honneur de me confier à l’École
de Cadarache. Par contre, le colletage sous toutes ses formes figure dans mon
cours de contre-braconnage comme l’un des plus dangereux pour le gibier et la
chasse de France, et je me refuserai de toutes mes forces à le voir entrer dans
le domaine pratique, même pour les nuisibles. Quelles que soient les opinions
diverses, ceci ne m’empêchera pas de condamner le colletage du renard, du
blaireau et de la fouine, malgré les magnifiques résultats qu’on pourrait
obtenir et que le piège aurait très certainement aussi facilement acquis. Pour
la même raison : « Porte ouverte au braconnage », je condamne la
chasse de la fouine de nuit à l’aide de la lanterne et du chien soi-disant « dressé. »
Ces quelques lignes soulèveront peut-être des
« mouvements divers » ... ; mais il faut bien se pénétrer,
et je parle ici pour les chasseurs dignes de ce nom, qu’un même procédé
appliqué par des braconniers peut aboutir à des résultats catastrophiques.
Supposez, par exemple, que l’emploi des mues de reprises pour faisan ou
perdreaux ne soit pas soumis à une sévère réglementation. C’est alors qu’on
pourrait dire adieu pour toujours à ce qui reste de gibier plume.
Restons donc sagement dans le cadre des lois quand elles
sont raisonnables, et ne nous torturons pas la cervelle à « redécouvrir »
des procédés employés dans le bon vieux temps sous toutes les latitudes, ou qui
figurent déjà dans nombre d’ouvrages tant anciens ou modernes que français ou
étrangers.
A. CHAIGNEAU.
(1) Pour mettre en œuvre un dispositif à bascule et à appât,
quel que soit le modèle adopté parmi les 20 ou 30 dispositifs plus ou moins
pratiques, il faut bien compter de vingt à trente minutes.
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