La chasse sous terre n’est pas pratiquée en France autant
qu’il se devrait ; mais elle l’est beaucoup plus que chez nos bons alliés
du Royaume-Uni. Il est curieux que les chiens aptes à ce sport soient tous
d’origine étrangère. L’Angleterre a toute la gamme de ses nombreuses races,
dont certaines, il est vrai, n’ont du Terrier de travail que le nom. Les
Allemands ont leur Tekel très répandu maintenant chez nous, mais le plus
souvent à l’état de chien de luxe, chose très regrettable. Nous n’avons pas et
n’avons jamais eu un Terrier national, quoique les amateurs n’aient jamais
manqué, du déterrage, en nombre de nos provinces.
Ou, pour mieux dire, car il faut être juste, nous eûmes,
durant un temps, un petit Bull bien à nous, variant du bringé au fauve à masque
noir et aussi différent qu’il se peut de celui qui fréquente maintenant les
bancs sous le nom de bouledogue français. Beaucoup moins crapaudin que ce
dernier et même pas du tout, la face moins écrasée, l’oreille plus petite,
plutôt portée en rose qu’en chauve-souris, tels j’ai connu les derniers il y a
cinquante ans et même un peu plus, hélas ! Ils n’avaient qu’un
défaut ; c’était leur nez plus que moyen, compensé, il est vrai, dans une
certaine mesure, par une persévérance inlassable.
Je ne sais si l’objet d’exposition moderne descend de cet
ancêtre. Si oui, on peut penser à la malfaisance de l’exposition non complétée
par l’épreuve pratique pour les races de chasse et d’utilité.
Il est de fait que la mode, les modes, mises en faveur par
les expositions, ont sévi en grand sur toutes les races de chiens terriers,
sans aucun profit pour leur valeur et peut-être pour leur esthétique.
Actuellement, la seule race officielle de Terriers ayant la
structure convenant à la chasse sous terre est le Tekel des familles entraînées
à ce travail. La force de l’avant-main, très marquée chez lui, est, en effet,
indispensable à tout animal appelé à remuer des terres. Par conséquent, les
pieds minuscules, recherchés chez le fox-terrier d’exposition, sont, pour un
fouisseur, une erreur absolue. Il est curieux d’observer combien il est
difficile de faire admettre la qualité de terrier dudit Tekel, alors qu’il en
présente toutes les caractéristiques physiques et morales, qu’il est enfin
appelé chien de blaireau dans le pays d’où il vient. Charles Huge, tout
particulièrement qualifié pour en parler, a conclu, sans aucune réserve, aux
aptitudes surtout terrières de la race.
Après l’autre guerre, nombreux furent les Tekels amenés dans
l’Extrême-Ouest par les démobilisés, convaincus de leurs vertus pour la chasse
au lapin. J’ai vu beaucoup d’entre eux à l’œuvre ; mais la plupart
suivaient à la muette. Un seul donnait d’une voix aigrelette, et conduisait
lestement son lapin au terrier, quitte à l’y suivre et à faire des manières
avant de consentir à en sortir. Ces chiens disparurent donc assez vite, et il
ne reste guère que des issus de croisements avec notre Basset fauve de
Bretagne, meilleurs lapiniers, mais pourvus d’un habit appelant le coup de
fusil.
Le Tekel est donc un chien terrier de travail surtout. S’il
présente certaines aptitudes pisteuses, il a cela de commun avec la plupart des
Terriers anglais tant soit peu de travail.
De ceux-ci, le Fox-terrier est le prototype, car aucun cynologue
n’hésitera à reconnaître chez tous les Terriers faits en hunters, quels qu’en
soient le pelage, la couleur ou la taille, le gabarit de ce chien
universellement connu.
Les chasseurs qui firent leurs premières armes avant le
début de ce siècle ont connu un Fox-terrier assez différent de celui d’à présent.
Il suffit de consulter les gros volumes de la Monographie des Races de
chiens, du comte de Bylandt, parue antérieurement à 1900, pour se
renseigner. Plus étoffés quoique bâtis en hunters aussi, l’épaule plus forte,
la face jamais plus longue que le crâne, le stop plus marqué, les chiens
d’alors étaient des prototypes de matinoïdes. Rien dans leur physionomie, ni
dans le corps, ne marquait traces de sang graioïde. Enfin, et j’estime ce
pelage précieux pour le déterrage, la plupart étaient à poil plat. Quand on a
pratiqué les deux variétés, on sait qu’il faut deux et trois fois plus de temps
pour nettoyer après une chasse les sujets de la variété à poil dur, presque
toujours pourvus d’une bourre fournie. En fait des griffons, par conséquent. Le
blaireau, lui, est bien à poil dur et plat, avec une bourre discrète. Il y a
quelques Welsh-terriers qui sont ainsi, mais malheureusement fort peu de
Fox-terriers prétendus à poil dur. Donc, vive le poil plat, dont la faveur est
renaissante.
Les Fox-terriers d’autrefois étaient d’une ténacité au ferme
sous terre, que l’on rencontre plus rarement aujourd’hui. Toutefois, il y a
amélioration au regard de l’époque qui coïncida avec la transformation du
cheptel. Dans ces temps, maintenant lointains, les déboires ne manquèrent pas.
En ce qui me concerne, du fait d’avoir mis deux fois du sang de chiens très
indifférents à la chasse, et sortant d’une famille vouée aux expositions, dans
celle exclusivement de travail que j’avais, je la compromis sans retour.
J’entends parler des aptitudes au terrier, car je dois constater qu’étaient
conservées des qualités les rapprochant des courants : la chasse au
sanglier plaisait à ces chiens et celle de la fouine.
Tout cela est le passé. Il ne manque pas, à présent, de
Fox-terriers de race pure ayant le goût de la chasse souterraine. Peut-être,
pourrait-on reprocher, aux mâles particulièrement, d’être mordants à l’excès.
Un renard n’existe guère devant ces intrépides, mais les rencontres avec le
Blaireau ne vont pas sans dommages.
Il ne faudrait jamais vanter et encourager la tendance à
mordre et à bagarrer, mais bien plutôt rechercher la ténacité, le nez, et
exiger structure et taille plus adaptées qu’elles ne le sont souvent.
J’ai connu autrefois des chiens bâtis comme le fameux « Stipendiary »,
prix record vers 1897. Il est très bien représenté dans la monographie de Bylandt.
C’est un hunter, mais avec une côte développée et des épaules musclées, dont la
mode des expositions ne veut plus.
Or, un chien appelé à beaucoup travailler de l’avant-main
l’aura nécessairement assez fort et les épaules réputées chargées par ceux pour
qui les Terriers sont chiens de surface. Les théoriciens vous disent un chien
plat mieux organisé pour se couler sous terre. C’est une vue de cabinet. Tous
les animaux sauvages, vivant au terrier sont plus ou moins cylindriques et
présentent un fort développement de la partie antérieure du corps. Encore une
fois, le Tekel est fait à cette image ; de même, en était-il de feu notre
Bull-terrier national.
La destruction du blaireau, devenu de plus en plus carnivore,
violant les poulaillers comme jamais, est nécessité. Considéré comme
indifférent en certains pays, il est, ici, nettement nuisible, destructeur de
gibier, mangeur d’œufs, concurrençant le renard dans la chasse aux volailles
errantes ; trouvant à ce régime plus de charmes qu’à celui des
coléoptères. Il a la réputation littéraire, avec la pie, d’être grand amateur
de la larve du hanneton. Celle-ci, profondément cachée dans le sol, est surtout
victime de la charrue qui la met à l’air où elle périt. Il n’y a donc aucun
motif de modérer la chasse au blaireau, si sympathique soit-il lorsque
apprivoisé.
Nous ne sommes plus aussi bien pourvus de chiens ad hoc
que nous l’avons été. Beaucoup de jeunes ignorent et méprisent le
déterrage ; nombre de vétérans de ma génération ont vu leur ardeur se
modérer, devant la difficulté rencontrée à découvrir des auxiliaires à quatre
pattes tenant des heures durant leur animal. Tout est là en matière de chasses
sous terre.
On conterait certains faits datant d’il y a une trentaine
d’années, que beaucoup seraient maintenant incrédules. Je ne résiste cependant
pas à narrer l’un d’entre eux qui eut plusieurs témoins. Lors d’un courre de
lièvre chez un vieux veneur de mes parents, un petit Fox-terrier, réputé
d’ailleurs, vint rejoindre son propriétaire et demeura en dépit des menaces.
Vers quatre heures du soir, il disparut dans un taillis où nous savions
qu’était un grand terrier. La nuit vint, pas de chien. Le lendemain, à sept
heures, on envoya le garde et un aide, voir si le toutou était par là. Il y
était si bien, qu’à neuf heures, ils avaient pris un blaireau. Indispensable
d’ajouter que le héros n’avait pas une égratignure, à son habitude. Ténacité,
adresse, beaucoup de nez, taille permettant les déplacements rapides dans les
couloirs, il faut tout cela. Mordre comme un fou ne sert ; un chien ne
peut rien contre un blaireau adulte. Ceux qui ont écrit le contraire sont des
romanciers. Quant aux chiens tueurs de renards, j’en ai vu un grand
nombre ; mais ceci est une autre histoire et une autre chasse. Les initiés
me comprendront.
Les conditions actuelles de la cynégétique font craindre
qu’à la fin de cette guerre, comme de l’autre, les nuisibles n’aient beaucoup
augmenté. Que ceux possesseurs d’une bonne famille de Terriers de travail
n’hésitent pas à pratiquer l’élevage et à faire naître des portées. Je ferai,
d’ailleurs, le reproche aux gardes et praticiens qui ont de ces chiens, de ne
pas assez en faire commerce. Les périodiques cynégétiques, en Angleterre, ont
une rubrique pour les « Working-terriers » mieux garnie en
propositions de vente que celle de chez nous. Pourtant, nous sommes beaucoup
plus chasseurs sous terre que nos alliés.
J’ose dire qu’un peu plus de persévérance de notre part,
plus d’indépendance vis-à-vis des modes, un sens commercial plus aiguisé, nous
auraient valu un chien national bien adapté à nos besoins. L’aurons-nous un
jour ? Cela dépend d’initiatives méritant d’être encouragées.
R. DE KERMADEC.
|