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Un terrible ennemi du pêcheur.

La loutre (1)

2° CHASSE AVEC CHIEN ET FUSIL.

— Il n’est pas besoin de posséder toute une meute pour trouver et tuer des loutres. Parmi un peu plus de la douzaine de chiens divers qui m’ont permis de chasser pendant un demi-siècle, deux surtout étaient acharnés spécialement à leur poursuite.

Le premier était un gros basset au poil rougeâtre, d’un type se rapprochant assez du type que l’on prête aux ardennais. Il avait fort bon nez, grand courage et forte mâchoire. Chose rare chez un chien courant, rien ne lui plaisait davantage que de barboter dans l’eau, même en hiver ; il nageait et plongeait fort bien. Le second était un petit griffon au poil épais et hirsute, dont la vigueur et la méchanceté étaient proverbiales. En un clin d’œil il étranglait un matou et faisait reculer des chiens trois fois gros comme lui. Chose remarquable, ces deux bêtes, de caractère rude, entier et indépendant, s’entendaient en chasse comme larrons en foire. Le petit griffon pénétrait dans le repaire de la loutre et la forçait à en sortir ; au dehors, tous deux la poursuivaient sur terre et dans l’eau, cherchaient à l’acculer et donnaient ainsi parfois à leur maître l’occasion de faire parler la poudre.

Avec leur aide précieuse, j’ai pu réussir à découvrir et tuer en plein jour quelques loutres.

3° L’AFFUT DE NUIT.

— S’il était couramment pratiqué par de nombreux chasseurs, l’affût de nuit au fusil pourrait se montrer plus efficace que la chasse avec chiens qui ne s’exerce que de jour.

Pour avoir chance de réussir, il faut choisir un lieu où l’on peut supposer la proche présence d’un de ces carnassiers ou avoir la preuve qu’il y vient très souvent au cours de ses randonnées nocturnes. Pour cela, inspecter minutieusement, pendant le jour, le terrain de chasse.

Apercevons-nous, dans les herbes aquatiques des bords, des vides qui semblent tracer de petits sentiers aboutissant à l’eau ? C’est la preuve du passage d’un animal de rapine, qui peut être un renard, un blaireau venus s’abreuver, mais qui peut tout aussi bien être le fait de la loutre. Cherchons si cette amorce de sentier se continue sur terre, dans les herbes hautes ou le taillis, formant ce que nous, chasseurs, dénommons une « coulée ». Suivons et recherchons les places où le sol assez mou, assez plastique, aura pu conserver quelques traces des pattes de l’animal qui l’a suivie et, alors, nous serons fixés.

Apercevons-nous encore d’autres petits chemins semblant réunir les extrémités d’un arc de cercle formé par une boucle de la rivière ? Nous savons déjà que la loutre n’a guère l’habitude de suivre toutes les sinuosités de la berge, mais bien de couper au plus court, pour aborder plus vite les endroits poissonneux. Enfin, rencontrons-nous, en plusieurs points assez voisins les uns des autres, ces fientes caractéristiques, parsemées d’écailles, d’arêtes, de fragments de carapaces d’écrevisses ? Ces « épreintes », si elles sont assez fraîches, nous prouvent que la loutre a passé par là et que son passage est récent. Trouvons-nous, à peu de distance de l’eau, quelque gros poisson mort, la colonne vertébrale brisée, la tête mâchonnée, les chairs du dos arrachées, aux bords irréguliers et sanguinolents ? Voici les traces indubitables d’un repas de loutre interrompu. Si tous ces signes sont sur un espace de terrain peu considérable, nous serons à peu près certains que le repaire du carnivore se trouve dans les environs.

Le plus souvent, on attend la loutre au passage, à peu de distance d’un débouché d’une de ses coulées aboutissant à l’eau ; c’est là un très bon poste. On peut également en choisir un autre, à courte distance d’une petite éminence de terrain, d’une roche ou d’une grosse pierre de couleur claire, si nous avons pu remarquer, aux environs de ces objets, les « épreintes » dont nous avons parlé. Il n’est pas très rare non plus d’observer des places plus ou moins circulaires où l’herbe paraît foulée, la terre battue, cirée et durcie. Ce sont là les endroits où notre carnassier a pris l’habitude de se rouler sur le sol, à l’instar des chats et des chiens.

On se met à l’affût le soir, à la tombée de la nuit, avant l’heure où la loutre quitte son repaire, pour entrer en chasse, ou bien encore le matin, avant la pointe du jour, quand, revenant de sa longue randonnée nocturne, elle s’apprête à réintégrer son gîte.

Une fois postés, l’immobilité et le silence sont de rigueur. Pas de quinte de toux, d’éternuement subits ; pas de pipe, ni de cigarette : la loutre est attentive à tous les dangers, et son odorat puissant aura vite discerné, à courte distance, le relent du tabac. Pour plus de précaution, à se placer à bon vent de l’endroit supposé de l’apparition du mustélidé, sur la rive, tout près de l’eau et à environ une vingtaine de mètres de l’aboutissement à la rivière de la coulée que nous avons pu repérer, bien dissimulés dans la végétation du bord qui, cependant, ne devra jamais gêner notre tir, et l’attendre patiemment.

Le soir, elle débouchera venant de terre, sautera à l’eau et se mettra aussitôt à la nage. Le matin, au contraire, elle arrivera par la rivière, pour aborder la berge, prendre terre et regagner sa cachette. Il se peut aussi qu’elle cherche à monter à un endroit autre que l’extrémité de la coulée ; dans ce cas, elle passera devant nous à la nage, offrant une cible plus petite et plus incertaine.

L’attention de l’affûteur restera constante ; l’ouïe et la vue continuellement en éveil, il surveillera le petit espace commandé par son fusil : la loutre sait, en effet, nager en silence et ne mène grand bruit que si elle le veut bien. Contrairement à ce qui est de règle pour l’affût aux canards, pendant lequel le chasseur a la face tournée du côté du couchant afin de voir les vols de palmipèdes mieux se détacher sur le ciel, il est préférable, pour la loutre, d’adopter, si possible, la position contraire. La lune dans le ciel, surtout si cet astre luit derrière le chasseur et éclaire bien la rivière, augmente sensiblement les chances du tireur en lui permettant de beaucoup mieux distinguer son objectif.

Il faut être prompt à lâcher le coup, en visant à la masse et sans chercher une plus grande précision. Pour tuer la loutre raide, une forte charge de poudre et du gros plomb sont absolument indispensables ; elle a la vie dure et à une certaine distance sa fourrure d’hiver, épaisse, la protège toujours un peu.

Je me suis toujours bien trouvé de l’emploi du plomb durci no 0 et des cartouches à croisillons dispersants. La vitalité de la loutre étant très grande, il faut que ces atteintes soient énergiques et pénétrantes ; le petit plomb, absolument insuffisant à cet égard, détériore aussi davantage la fourrure.

(À suivre).

R. PORTIER.

(1) Voir nos 595 et suivants.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 272