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Il faut réorganiser le tourisme

Parler de tourisme, après neuf mois d’une guerre dont personne ne peut prévoir, sinon l’issue qui n’est pas douteuse, mais du moins la fin, peut paraître hors de raison.

Et cependant ...

Et cependant, sans parler des entrées de devises étrangères, dont nous avons plus besoin que jamais, n’est-ce point un devoir de montrer aux neutres, amis ou indifférents, dans quel calme la population de notre France vit ces jours de guerre et avec quelle tranquillité elle en attend le dénouement. Certes, ce n’est pas un pays en joie que le touriste rencontrera, mais un pays fier de son droit, confiant dans la force de ses armes et dans la collaboration de ses alliés.

Les réductions des communications ferroviaires que la prévoyance de M. de Monzie a instituées, les restrictions alimentaires ne sont pas des obstacles à faire reculer ceux qui ont envie de faire connaissance avec la France en guerre. Les unes comme les autres sont, de l’autre côté du Rhin, d’un tout autre ordre de grandeur, et elles n’empêchent pas l’Allemagne de continuer sa propagande pour amener chez elle les touristes étrangers.

On aurait pu, un instant, craindre des difficultés de logement. À la mobilisation, les hôtels avaient été réquisitionnés un peu à tort et à travers. Ils sont restés vides pendant des mois. Fort heureusement, une entente avec les Services de santé a permis d’en libérer un nombre assez important pour que les stations thermales, aussi bien que celles de tourisme ou celles des plages, soient en mesure de donner asile aux malades comme aux touristes. Les uns et les autres sont certains d’y trouver un confort et une table que les villes d’eaux allemandes ou autrichiennes seraient bien incapables de leur offrir.

Et puis, sans même penser aux touristes de chez nous, car il en reste encore, il y a les jeunes et les vieux, et les femmes et les enfants, il faut bien aussi penser à l’après-guerre. Un jour viendra, souhaitons qu’il vienne le plus tôt possible, où cet horrible cauchemar prendra fin. Alors, comme en 1919, de tous les points du monde afflueront vers la belle France victorieuse les touristes de toutes les nations. Il n’est pas trop tôt pour y penser.

Qu’y a-t-il donc, à l’heure actuelle, comme organisation du tourisme ? C’est bien simple, il n’y a rien du tout.

Je m’explique.

J’ai déjà eu l’occasion d’exposer aux lecteurs du Chasseur Français comment avait été conçue cette organisation.

Elle était, certes, compliquée.

L’Office national du Tourisme, créé en 1910, modifié en 1919, avait été supprimé en 1935 et remplacé par un commissariat général, assisté d’un organisme d’exécution dénommé Centre d’Expansion touristique.

Un décret-loi du 17 juin 1938 était venu apporter de nouvelles modifications à cette organisation. Le Commissaire général, au lieu de se borner à contrôler le Centre d’Expansion, en devenait l’administrateur, assisté d’un Conseil d’administration dont il était le président.

Théoriquement, en cette double qualité, le Commissaire général se voyait donc chargé de l’administration et de la direction des services officiels du tourisme. Dans la pratique, ses pouvoirs se trouvaient répartis, disséminés en une pluralité de fonctionnaires et d’organismes. C’est ainsi qu’on notait, tout d’abord, auprès de lui, la présence d’un « délégué général » nommé par le ministre des Travaux publics et d’un « conseiller financier » désigné par le ministre des Finances. Venait ensuite le Comité consultatif, composé de quatre-vingts membres, au sein duquel fonctionnait une « Section permanente » de onze membres. À côté, le Centre d’Expansion, géré par un Conseil d’administration de seize membres qui désignait une « Commission exécutive » de quatre membres pris dans son sein.

Comment une aussi lourde machinerie, — qui est bien, hélas ! dans l’esprit de notre administration française, mais il faudra bien que tout cela change et disparaisse avec la paperasserie d’avant-guerre, — comment aurait-elle pu fonctionner immédiatement sans à-coups ? Cette réforme survenait précisément au moment où la situation internationale s’aggravait, où le malaise économique s’augmentait, où l’inquiétude commençait à sévir dans tous les milieux. Malgré sa grande valeur, la vieille expérience administrative qu’il avait acquise à la Bibliothèque Nationale et à la Préfecture de Strasbourg, malgré sa haute culture générale et sa connaissance des hommes, M. Roland Marcel ne put triompher des obstacles extérieurs et intérieurs qui se dressaient devant lui. On ne lui laissa pas le temps de roder les engrenages de la lourde machine dont on lui avait mis dans les mains — sur le papier — les leviers de commande. En juillet dernier, il donna sa démission. Le délégué général le suivait dans sa retraite.

On sait que M. Roland Marcel, qui avait rejoint son poste à l’état-major du général Prételat, est mort il y a cinq mois, à la suite d’une opération consécutive à une maladie que les amertumes subies au Commissariat général du Tourisme ont peut-être contribué à aggraver.

Il n’a pas été remplacé. Le 5 août dernier, un communiqué du ministre des Travaux publics annonçait que, pour l’expédition des affaires courantes, la Commission exécutive se réunirait, sous la présidence du vice-président. D’autre part, la gestion financière des services administratifs du Commissariat général était confiée à un fonctionnaire avec le titre de délégué général.

Or, les textes organiques n’ont été ni abrogés, ni modifiés.

Rien dans ces textes ne confère au vice-président du Conseil d’administration ou au délégué général tout ou partie des pouvoirs du Commissaire général, en cas de décès ou de démission de celui-ci. Bien plus, ils spécifient que toute modification doit être approuvée par décret pris en la forme des règlements d’administration publique. Il en résulte que les services du tourisme fonctionnent dans des conditions d’illégalité flagrante.

C’est ce qu’a très bien exposé, dans le rapport présenté par lui au Sénat, au nom de la Commission des Travaux publics, M. Antoine Borrel, sénateur de la Haute-Savoie, ancien ministre.

Si l’état de guerre relègue à l’arrière-plan les problèmes se rattachant au mouvement touristique, il n’en reste pas moins que la France doit être prête à reprendre, le moment venu, sa place de terre d’élection du tourisme mondial. Or, ajoute M. Antoine Borrel, ces errements sont en train de compromettre une situation privilégiée que la France ne doit pas seulement à son merveilleux patrimoine de beautés naturelles et de richesses monumentales, mais encore au long effort désintéressé de ses syndicats d’initiative et de ses grandes associations de tourisme.

En cette matière, la continuité des vues, la permanence de l’énergie sont plus nécessaires qu’en aucune autre. Une organisation et une propagande touristique sérieuses exigent des études de longue haleine, des programmes échelonnés sur plusieurs années. La concurrence étrangère connaît des succès dus aux méthodes sévères dont elle ne se départit jamais. Abandonnant cette persévérance et cette obstination dans l’effort, nous faisons le jeu de nos rivaux, dans une période où les difficultés économiques eussent, précisément, exigé de nous une lutte acharnée pour améliorer ou, au moins, conserver nos positions.

Nous verrons, dans un prochain article, le système d’organisation que propose le sénateur de la Haute-Savoie.

Marcel VIOLLETTE.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 283