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Par quoi remplacer la viande ?

Les hostilités n’ont pas tardé à avoir leur répercussion sur notre alimentation ; nous sommes privés de viande plusieurs jours par semaine, et certaines ménagères s’en trouvent quelque peu dans l’embarras. Ne surestimons pas, mais ne minimisons pas non plus l’intérêt de ce problème alimentaire. Car il ne suffit pas de remplacer un plat de viande par n’importe quel plat de légumes. Il est nécessaire de savoir équilibrer un menu. Or, bien des personnes ne savent pas établir cet équilibre, parce qu’elles ignorent la valeur des aliments. Beaucoup, par exemple, ne savent pas distinguer l’albumine de l’amidon, ou bien elles ignorent dans quels aliments ils se trouvent. Pourtant il importe que les éléments nutritifs soient en proportion tant au cours d’un repas que dans l’ensemble de la journée.

Dans tout menu quotidien, il y a huit éléments importants à considérer. Ce sont :

    Les albumines, éléments bâtisseurs des tissus ;
    Les hydro-carbones, éléments producteurs de chaleur et d’énergie ;
    Les graisses, éléments également producteurs de chaleur et d’énergie ;
    Les sels minéraux, éléments bâtisseurs et régulateurs des fonctions ;
    Les vitamines, éléments régulateurs des fonctions ;
    La masse non digestible, balai nettoyeur des régions intestinales ;
    L’eau, élément nettoyeur et véhicule des aliments digérés ;
    L’équilibre des acides et des bases, ceux-ci agissant chimiquement sur les humeurs.

On doit s’efforcer d’introduire un aliment riche en albumines dans chaque menu. Les différentes viandes sont précisément riches en albumines. Mais il existe des aliments de composition à peu près analogue et qui peuvent très bien la remplacer.

Tels sont : les poissons, les œufs, le lait, les fromages et les légumes secs et fruits gras, ces derniers contenant une aussi forte proportion d’albuminoïdes que les précédents et, en plus, une très forte proportion d’hydro-carbones.

Les poissons : leur composition est extrêmement variable selon l’espèce considérée et l’origine ; mais tous contiennent comme les viandes des aliments simples azotés, des corps gras, des sels minéraux et des vitamines. Cependant, les matières albuminoïdes s’y trouvent surtout sous forme de gélatine, moins nutritive que l’albumine des viandes ; d’autre part, la proportion d’aliments simples azotés est moindre ; voilà pourquoi, il est utile de donner une ration supérieure : 200 grammes de poisson doivent normalement remplacer 80 à 100 grammes de viande désossée. Enfin les corps gras sont moins abondants, même dans les poissons dits gras : augmenter la quantité de beurre ou d’huile ingérée ce jour-là.

Mais les poissons, surtout les poissons de mer, sont très riches en sels minéraux et en vitamines, et par là excellents pour les enfants. Dans les régions de France où cela est possible, on peut donc, dans un menu, remplacer plusieurs fois par semaine la viande par du poisson. La ménagère devra veiller à varier la nature et la qualité du poisson absorbé.

Le lait : substituer le poisson à la viande n’est possible et économique que dans certaines régions de France ; substituer le lait à la viande est partout possible et économique.

Le lait contient évidemment une très forte proportion d’eau (900 grammes par litre) ; mais il contient en outre des aliments simples azotés sous forme de caséine coagulable par la présure ou les acides et sous forme d’albumine (pellicule qui se forme quand on fait chauffer du lait) ; des corps gras sous forme de crème ; des sels minéraux divers et toutes les vitamines ; une petite quantité d’hydrates de carbone sous forme de sucre de lait ou lactose. Il n’y a rien dans une demi-livre de la meilleure des viandes qu’il n’y ait dans un litre de lait, et le litre de lait, bien meilleur marché, apporte une foule d’éléments n’existant pas dans la viande. Le lait, qui doit continuer à être la base de l’alimentation des enfants, peut aussi être très avantageusement employé dans l’alimentation des adultes. Quand on n’aime pas le lait, il est une foule de préparations à base de lait — dont nous donnerons quelques recettes dans notre prochaine causerie — dans lesquelles le goût du lait est tout à fait masqué.

Les fromages, surtout les fromages à pâte dure peu fermentée, contiennent, à poids égal, une proportion plus forte d’aliments simples azotés que n’importe quelle viande ; ils peuvent donc se substituer à elle dans un menu, soit en nature, soit dans des préparations culinaires.

Les œufs : en hiver, les œufs sont aussi chers que la viande ; mais, pendant la moitié de l’année au moins, ils sont meilleur marché qu’elle et peuvent la remplacer.

Les œufs contiennent une forte proportion d’aliments simples azotés, autant le blanc qui est de l’albumine presque pure, que le jaune ; le jaune est, d’autre part, très riche en une matière grasse phosphorée, la lécithine, qui est l’aliment par excellence des cellules nerveuses de l’organisme ; enfin, sels minéraux, vitamines, surtout la vitamine A de croissance, abondent dans le jaune d’œuf. Comme la viande, l’œuf ne contient pas du tout d’hydrates de carbone.

Les œufs frais, entièrement assimilables, sont une nourriture de premier ordre pour les enfants et les adolescents et doivent se substituer à la viande, et non s’ajouter à elle. Les nombreuses préparations culinaires auxquelles ils se prêtent permettent de les utiliser largement dans les menus.

Légumes secs : haricots, pois, lentilles, fèves, etc., contiennent à poids égal, une aussi forte proportion d’aliments simples azotés que la plus nutritive des viandes, et contiennent en outre une très forte proportion d’hydrates de carbone ; ils sont assez pauvres en corps gras, mais on en ajoute pour les préparer ; et ils sont très riches en sels minéraux (la lentille est particulièrement riche en fer) et vitamines, lorsqu’on emploie ces légumes entiers, non décortiqués. À noter cependant :

a) Qu’une petite quantité d’azote animal paraît souhaitable dans un menu : ajouter donc lait, ou fromage, ou œufs, ou poisson, en petite quantité, à un menu ne contenant que des légumes secs comme source d’azote.

b) Que les vitamines, surtout les vitamines B, sont indispensables à l’utilisation par l’organisme des hydrates de carbone contenus dans les légumes secs. Or, ces vitamines sont surtout abondantes sous les téguments et autour du germe : ne pas user de légumes décortiqués ou cassés qui ont perdu leurs vitamines en même temps que téguments et germes.

c) Pour être attaqués par les sucs digestifs, les légumes secs doivent être très cuits, presque réduits en purée (le tégument extérieur s’oppose à l’action des sucs digestifs sur le contenu de légume sec). On peut les réduire en purée en utilisant le moulin à légumes (ce conseil est surtout utile pour les lentilles très petites et dont beaucoup ne sont pas écrasées par la mastication, donc perdues), mais en choisissant des légumes entiers non décortiqués.

Les fruits gras : noix, noisettes, amandes, etc., sont, en même temps que très riches en corps gras, très riches en aliments simples azotés. Ne les introduire que dans un menu légèrement azoté et les très bien mastiquer. N’en pas trop donner aux enfants et aux vieillards qui ne mâchent pas suffisamment.

En résumé, la plupart des aliments courants peuvent entrer dans l’une des trois catégories suivantes :

    Aliments très azotés : viandes rouges, œufs, fromages secs, légumes secs, fruits gras ;

    Aliments moyennement azotés : viandes blanches, poisson, lait, fromage aqueux, pâtes, riz, farine, pain ;

    Aliments peu ou pas azotés : tous les autres légumes, salades, fruits, beurre, sucre, chocolat.

On doit donc s’arranger pour que tous les menus comportent, soit un plat très azoté, soit deux plats moyennement azotés, une partie de cet azote étant toujours d’origine animale.

De plus, par une préparation culinaire appropriée, on peut unir plusieurs aliments de composition différente et arriver à former un plat suffisamment azoté et très nourrissant. Ce sera là l’objet d’une prochaine causerie.

A. PEYREFITTE.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 305